Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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effet.

      – Ce qui revient à dire qu'il n'y a qu'une seule morale possible: celle de l'amour.

      – Et le mariage?

      – Mon Dieu, Madame, il me semble que le mariage, dès qu'il n'est pas l'amour, est immoral.

      – C'est une conclusion à laquelle nous ne sommes pas habituées, nous autres femmes, mais qui, je l'avoue, s'impose presque.

      – Et comme l'amour, poursuivit Odon, n'obéit point à des lois humaines et n'est point sujet aux prescriptions d'un code, il s'ensuit que l'amour libre seul est moral.

      – Ce qu'il fallait démontrer! dit Julienne en riant. Mes compliments, monsieur de Rocrange: vous entortillez les choses si bien, qu'à vous entendre on se laisserait aller à vivre comme des sauvages.

      – Votre présence, Madame, suffirait cependant à établir l'immense avantage de la civilisation.

      Tous sourirent; Julienne pinça les lèvres; Pauline fut incroyablement heureuse de cette impertinente riposte.

      La sonnette de l'entr'acte mit fin à l'entretien.

      «C'est extraordinaire ce que cet homme, en dix minutes de conversation, s'est emparé de moi!» pensait Pauline, tandis qu'Odon prenait congé d'elle.

      Et Odon de Rocrange, regagnant sa loge, légèrement troublé, se disait:

      «Je vais l'aimer… je l'aime déjà… O mon pauvre cœur!»

      Un instant, Julienne et Pauline se trouvèrent seules.

      – Comment trouvez-vous M. de Rocrange? demanda Julienne avec un clignement d'œil intrigué.

      Pauline eut envie de la souffleter.

      – Indifférent, répondit-elle.

      Chandivier arrivait tout essoufflé. Dans le couloir, il rencontra Facial.

      – Je viens de voir Rébecca. Nous soupons après le théâtre. Vous en êtes?

      Facial fronça le sourcil.

      – Non, dit-il, je dois rentrer avec Pauline. Je suis un homme marié, moi.

      – Et moi, donc?

      – Que faites-vous de Mme Chandivier?

      – Oh! un de ces messieurs la reconduira.

      Ils reprirent leurs places.

      Chandivier, se penchant vers Facial, lui chuchota:

      – Vous allez voir la scène du deux: vous m'en direz des nouvelles!

      Le rideau se leva.

      IV

      Odon dut s'avouer que, depuis la soirée de la veille, il n'avait fait que penser à Pauline.

      «Quelle étrange femme! Elle a eu l'air de goûter ce que je lui disais. Vraiment c'est la première fois que cela m'arrive: ouvrir ainsi mon cœur, parler sérieusement, presque philosophiquement, devant une femme que je n'avais, pour ainsi dire, jamais vue, dont j'ignorais le caractère et les idées! D'habitude, je fais comme tous les hommes: j'offre les boîtes de bonbons de l'esprit, je déploie l'éventail du flirt. Faut-il croire qu'elle m'a inspiré? Je me suis terriblement découvert: c'était plus fort que moi.»

      Il alluma une cigarette et s'étendit sur un divan.

      «D'où vient-elle? Que fait-elle? N'ai-je pas tort de lancer mon imagination sur cet inconnu d'où elle pourrait revenir trop imprégnée de désirs pour que je n'en souffre pas? Ah! les femmes! comme elles sont décevantes, lorsqu'on les touche de près! Mais celle-là me paraît être d'une race à part. Au moins, ce que j'ai éprouvé auprès d'elle diffère complètement de mes émotions ordinaires. Faut-il faire courir à mon cœur les risques d'une nouvelle aventure? Ne vaut-il pas mieux qu'il jouisse du calme relatif qu'avec mille précautions j'avais enfin réussi à lui rendre? Hélas! à peine instaurée, il faut que ma fragile tour d'ivoire s'écroule, comme un château de cartes, sous le souffle d'une femme! Car je sens bien que mon cœur est déjà pris.»

      L'image de Pauline flottait devant ses yeux, et elle se précisait, se revêtait d'un charme grandissant, à mesure qu'il y fixait quelque détail de plus dont il se souvenait. C'était surtout le son de sa voix qu'il se rappelait avec un vrai délice, cette voix si joliment murmurante, si harmonieuse, qui l'avait remué si profondément. Il l'entendait encore lui dire:

      – «La sympathie va toujours à l'amour, quoi qu'on fasse.»

      «C'est qu'elle est spirituelle, continua-t-il à rêver, elle a une âme fine, originale, intelligente. Elle doit comprendre à merveille les raisonnements sur la vie, et cependant elle est fraîche comme une jeune fille et ses observations les plus inquiétantes ont encore la grâce de la candeur. Que je voudrais savoir le fin fond de son être, aborder d'intimes sujets en compagnie de cet esprit captivant et singulier! Que pense-t-elle vraiment de l'amour? A-t-elle aimé? Elle ne doit pas avoir fait de bien cruelles expériences, mais elle en a fait. Comme une femme est mystérieuse, quand on y songe! Il suffit de s'intéresser un instant à une femme, pour se trouver en présence d'un paquet de hiéroglyphes qu'il s'agit de déchiffrer. Me donnerai-je cette peine? Oh! oui, car ce séduisant sphinx m'attire par toutes les fibres réunies de mon cœur et de mon imagination.»

      Il se leva, erra d'un coin à l'autre, rêvant toujours, à la fois joyeux et triste.

      «C'est que j'en ai déjà aimé des femmes! J'ai déjà cherché des solutions d'énigmes qui n'existaient pas! J'ai déjà cru trouver des trésors, et, soulevant la pierre qui semblait les sceller, je n'ai découvert que le vide, des chiffons, de la verroterie ou du fumier. N'importe! L'amour même déçu est encore de l'amour; il y a une douceur jusque dans la lie de cette coupe fatale et enchanteresse. Se lancer à corps perdu dans la destinée est peut-être le meilleur moyen d'en moins souffrir.»

      Il ouvrit un carton, où se trouvaient des portraits de femmes à l'aquarelle, des dessins, des photographies, des lettres dont beaucoup étaient jaunies par le temps. Il considéra ces choses où restaient accrochés tant de souvenirs.

      «Celle-ci, c'est Anne, ma première maîtresse. J'avais vingt ans, à peine. Oh! la première chair de femme à soi! Quelles émotions charmantes! Quels frissons extatiques! Que de délices dans les moindres gestes féminins! On est baigné de ravissement. Il semble que l'on soit un voyageur de génie qui découvrirait le paradis. Je garde très vives ces impressions de printemps. Qu'était Anne, en réalité? Je n'en sais rien: je ne la vois qu'à travers ce mirage… Voici Gabrielle. Pauvre fille! Elle m'aimait, je crois. Mais, à ce moment, je succombais à tant de sensualités diverses! La curiosité, le plaisir me jetaient, pour une nuit ou deux, dans les bras des unes et des autres. C'était l'époque cruellement exubérante de la jeunesse. Et Gabrielle pleurait; elle voulait me tenir par le cœur: c'était trop tôt pour moi. Pauvre Gabrielle! J'en ai conçu plus tard quelques remords… Dolorès! Rencontrée dans un voyage en Espagne. Ce fut celle-ci qui éduqua ma sensibilité. Oh! je me passionnai d'elle. Quels yeux brûlants! Quels embrassements magnétiques! Un amour de feu qui dura deux mois. J'étais ensorcelé. Puis, tout à coup, des soupçons atroces me poignirent. Je découvris que je n'étais plus seul. Un rival! Je connus la haine que ce mot peut enfanter. Les journées et les nuits tragiques commencèrent. J'épiai, je menaçai, je m'humiliai, je criai d'angoisse. Lâche jusqu'à songer au meurtre ou au suicide, brutal jusqu'à vouloir m'approprier par la force cette femme qui s'était éprise d'un autre et me détestait maintenant, j'épuisai les tortures et les hontes de la jalousie. Est-il possible que je sois descendu si bas! Chaque fois que je revois cette figure d'ange déchu, belle comme les ténèbres, sauvage comme la tempête, j'ai pitié de moi-même; et cependant d'anciennes blessures se rouvrent et recommencent à saigner… Henriette! Eveline! Mortes toutes deux. Eveline avait une grâce d'enfant; Henriette se compliquait d'un grain de folie. Elles étaient jolies vraiment, mais bien superficielles… Et Thérèse, qu'est-elle devenue? La dernière fois que je l'ai aperçue, c'est au Bois, il y a trois ou quatre ans. Elle conduisait un élégant tilbury. Son groom anglais prenait à côté d'elle des airs insolents. Elle me fit un léger signe de tête: