Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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dont la mort la laissait seule, s'était alors adonnée aux œuvres pies, leur consacrant la plus grande part de sa fortune.

      Claude lui avait dit vrai, comme toujours, en parlant avec sa sincérité hautaine, la veille. Hors de l'atmosphère qu'Élisabeth créait autour d'elle, Mlle de Villebon lui apparaissait comme une façon de phénomène dont la mentalité lui était singulièrement étrangère. Quant à Mme de Ryeux, c'était pour elle, une respectable vieille dame, cordialement ennuyeuse, guère intelligente.

      Aussi, elle avait dû faire effort pour s'en aller lui porter le message de Mlle de Villebon, laissant son violon qu'elle avait travaillé avec amour depuis le matin.

      Dehors, elle se consola instantanément de cette course forcée, car la matinée était délicieuse. Encore des rafales, mais un large ciel pur d'un bleu lavé, où couraient, haletantes, balayées par le vent, de grosses nuées floconneuses… Un ruissellement de soleil sur les feuilles rousses, sur l'herbe humide que courbait le bon souffle salé; et jusqu'à l'horizon, une mer houleuse, couleur d'opale, dont les vagues venaient, dans une poussière de neige, battre le rivage de galets.

      A son ordinaire, Claude marchait vite, parce qu'elle était à l'âge où la marche est un vol. Et si violemment, elle jouissait de la saveur un peu âpre de ce matin de septembre, qu'elle ne pensait à rien d'autre. Elle oubliait le départ si proche, l'avenir incertain, autant que la beauté de ce ciel tourmenté où le soleil semblait une clarté fugitive.

      De même, elle avait oublié un petit incident qui l'avait amusée un instant, tout à l'heure, tandis qu'elle finissait de jouer un adagio de Franck… Du dehors, un invisible promeneur criant: «Bravo! Bravo!» avec un accent d'enthousiasme et de conviction, flatteur comme les plus flatteurs applaudissements qu'elle eût reçus.

      Et, certes, si jeune fût-elle, déjà elle avait été acclamée, depuis le jour de son prix triomphal, au Conservatoire; et ensuite, dans les divers milieux mondains, ou purement artistiques, qui s'étaient ouverts à sa jeune carrière. Car elle était prodigieusement douée, fille d'une mère qui s'était révélée une rare artiste pendant une courte apparition au théâtre, interrompue par la mort. Et, de plus, elle avait été une travailleuse dirigée par l'inflexible volonté d'arriver. D'ailleurs, elle aimait l'art pour l'art. Même sans la nécessité de parvenir, elle se fût donnée à la musique avec la même fougue qui mettait dans son jeu une flamme dont la puissance échauffait les plus profanes.

      Dans ses premiers succès, il y avait eu aussi une part pour son type d'étrange gamine, son masque d'éphèbe, couronné de boucles lourdes, le mince visage, sévère et un peu dédaigneux, semblant éclairé par quelque obscur foyer qui épandait son reflet dans l'ombre chaude des prunelles, dans le dessin frémissant des lèvres. Devant le public, elles ne souriaient guère ces lèvres, ardemment pourpres; elles s'ouvraient à peine dans le monde; surtout pour répondre aux félicitations, qui semblaient la laisser très indifférente; comme si elle eût joué pour elle seule, pour réaliser un idéal qui lui était cher.

      Élevée par une créature d'élite, de volonté forte et douce, qui aimait ses frères comme les autres s'aiment eux-mêmes, elle l'avait vue, par ses actes bien plus que par ses paroles, lui enseigner que la femme, surtout quand elle est pauvre, doit tracer bravement son sillon, sans escompter l'appui de l'homme qui, neuf fois sur dix, le lui accorde en égoïste.

      Dans une atmosphère d'altruisme, de science, de devoir, de féminisme aussi, elle avait ainsi grandi, entendant frémir autour d'elle le monde des idées, qu'elle accueillait avec une avidité insatiable.

      Le souci des humbles lui apparaissait tout naturel… Et cependant, c'était par un effort vers la loi du dévouement, sans cesse prêchée par Élisabeth Ronal, qu'elle s'était résignée, en cette matinée de septembre, à quitter son violon, pour porter des nouvelles des petites pensionnaires à leur bienfaitrice.

      – Puis-je voir Mme de Ryeux, un moment? Voulez-vous lui demander si elle veut bien me recevoir? dit-elle au domestique apparu au tintement de la cloche d'arrivée.

      – Si Mademoiselle veut entrer, je vais m'informer.

      Claude pénétra dans le petit salon, clair sous ses tentures de Jouy, et resta debout devant la fenêtre, regardant la course des vagues qui bondissaient jusqu'aux plus lointaines profondeurs de l'horizon.

      – Que Mademoiselle veuille bien me suivre; Madame la marquise est au premier, dans la bibliothèque.

      Claude obéit. Le domestique ouvrit une porte et elle se trouva dans la vaste pièce, pareille à une galerie, où dans la haute cheminée d'antan, crépitait une belle flambée de bois.

      Mme de Ryeux n'était pas seule. Devant elle, qui était assise près de la cheminée, occupée à tricoter dans sa bergère, se tenait un homme jeune que Claude ne connaissait pas; hardiment campé, la silhouette élégante, malgré sa robustesse, des cheveux coupés en brosse au-dessus du front, bruns mais striés de blanc. La moustache était plus claire sur les lèvres dessinées d'un trait presque violent, comme le menton carré, soigneusement rasé.

      Mme de Ryeux accueillit Claude avec un sourire de grand'mère.

      – Bonjour, ma petite fille. Venez vous chauffer. Il fait froid ce matin…

      – Je ne m'en suis pas aperçue, madame, fit Claude, souriant un peu de l'idée de la vieille dame, qu'il pût «faire froid» par cette radieuse matinée d'automne. Elle trouvait, au contraire, trop chaude l'atmosphère de la pièce qu'éclairait l'ardente flambée.

      – Heureuse enfant! Ah! la belle chose que la jeunesse! N'est-ce pas? Raymond.

      Elle se tournait à demi vers son compagnon.

      – C'est vrai, vous êtes toute rose, ma petite. Ah! mais j'oublie de vous présenter mon fils, qui m'a fait, hier, le plaisir de venir me surprendre; tout seul, hélas! ne m'amenant pas sa femme.

      M. de Ryeux s'inclinait, correct, et son regard tout ensemble vif, ironique et d'une hardiesse caressante, se posa sur Claude qui lui rendit un coup d'œil non moins désinvolte, avec de l'indifférence en plus. Elle pensait:

      – Comment cet homme, qui a une mine de condottiere, peut-il être le fils de cette vieille dame moutonnière?

      Lui, répondait à la réflexion de sa mère:

      – Ma femme ne goûte pas du tout les courses en auto; et comme c'est ainsi, ma mère, que je venais vous voir, elle est restée paisiblement à Deauville.

      – C'est que, aussi, Raymond, tu vas d'une telle allure!.. C'est effrayant!

      – Mère, c'est la seule allure qui soit amusante… N'est-ce pas? mademoiselle.

      Il se tournait vers Claude qui, restée debout, écoutait vaguement les paroles de la mère et du fils, toute droite dans sa veste de tricot couleur d'émeraude, sa tête bouclée coiffée du simple polo de même nuance.

      Interpellée, elle dit, la voix un peu brève:

      – Vous me demandez, monsieur, ce que j'ignore. Jamais je ne vais en auto… Et pour cause!

      Cette fois, elle souriait un peu.

      – Je suis sûr que vous seriez une fervente automobiliste.

      – Sûr?.. Parce que?

      – Parce que vous êtes jeune, parce que vous avez un air très… résolu et des yeux qui doivent être avides de voir.

      – Raymond, Raymond, interrompit Mme de Ryeux, tu es très indiscret d'inspecter ainsi la personne de Claude! Tout au plus, il t'est permis de regarder ses mains qui savent faire chanter le violon, de manière à me donner des distractions quand je l'entends le dimanche, à la grand'messe.

      – Ah! vous jouez du violon, mademoiselle… mademoiselle…

      – Mlle Claude Suzore, acheva Mme de Ryeux. C'est vrai, je n'avais pas fini les présentations…

      Une curiosité luisait soudain dans les prunelles de Raymond de Ryeux.

      – Peut-être vous allez trouver à votre tour, mademoiselle, comme ma mère, que