Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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cher, comme elle étoit belle ce jour-là! Tout ce que l'on peut dire est au dessous des agrémens qu'elle avoit: sa gorge étoit à demi découverte; elle avoit plus de cheveux abattus58 qu'à l'ordinaire et tout annelés; ses yeux étoient plus brillans que les astres; l'amour et la couleur de son visage animoient son teint du plus beau vermillon du monde. «Eh bien, mon cher! me dit-elle, me sçaurez-vous bon gré de ce que je vous épargne la peine de soupirer long-temps? Trouvez-vous que je vous fasse trop acheter les grâces que je vous fais? Dites, mon cher? ajouta-t-elle. Mais quoi! vous me paroissez tout interdit. – Ah! Madame, lui répondis-je, je serois bien insensible si je conservois du sang-froid en l'état où je vous vois! – Mais puis-je m'assurer, me dit-elle, que vous ayez oublié la petite Beauvais et la comtesse de Fiesque? – Oui, lui dis-je, Madame, vous le pouvez. Et comment me souviendrois-je des autres, ajoutai-je, que vous voyez bien que je me suis presque oublié moi-même. – Je ne crains, répliqua-t-elle, que l'avenir: car, pour le présent, mon cher, je me trompe fort si je vous laisse penser à d'autres qu'à moi.» Et en achevant ces paroles elle se jeta à mon col, et, me serrant avec ses bras que vous connoissez, elle me tira sur elle. Ainsi tous deux couchés, nous nous baisâmes mille fois, n'en voulant pas demeurer là, et cherchant quelque chose de plus solide, mais de ma part inutilement. Il faut se connoître, Vineuil, et savoir à quoi l'on est propre. Pour moi, je vois bien que je ne suis pas né pour les dames; il me fut impossible d'en sortir à mon honneur, quelque effort que fît mon imagination et l'idée et la présence du plus bel objet du monde. «Qu'y a-t-il, me dit-elle, Monsieur, qui vous met en si pauvre état? Est-ce ma personne qui vous cause du dégoût, ou si vous ne m'apportez que le reste d'une autre?»

      «La honte que me fit ce discours, mon cher, acheva de m'ôter les forces qui me restoient. «Je vous prie, Madame, lui dis-je, de ne point accabler un misérable de reproches; assurément je suis ensorcelé.» Au lieu de me répondre, elle appelle sa femme de chambre: «Dites, Quentine, mais dites-moi la vérité, comme suis-je faite aujourd'hui? Ne suis-je pas malpropre? Ne trompez pas votre maîtresse: il y a quelque chose à mon fait qui ne va pas bien». Quentine n'osant répondre en la colère où elle la vit, madame d'Olonne lui arracha un miroir qu'elle avoit. Après avoir fait toutes les mines qu'elle avoit accoutumé de faire quand elle vouloit plaire à quelqu'un, pour juger si mon impuissance venoit de sa faute ou de la mienne, elle secoua sa jupe, qui étoit un peu froissée, et entra brusquement dans son cabinet qu'elle avoit à la ruelle de son lit. Pour moi, qui étois comme un condamné, je me demandois à moi-même si tout ce qui s'étoit passé n'étoit point un songe, avec toutes les réflexions qu'on peut faire en pareil rencontre. Je m'en allai au logis de Manicamp, où, lui ayant conté toute mon aventure: «Je vous ai bien de l'obligation, mon cher, me dit-il, car assurément c'est pour l'amour de moi que vous avez été insensible auprès d'une si belle femme. – Quoique peut-être vous en soyez cause, lui dis-je, je ne l'ai pas fait pour vous obliger. Je vous aime fort, ajoutai-je, je vous l'avoue; mais avec tout cela je vous avois oublié en ce rencontre. Je ne comprends pas une si extraordinaire foiblesse; je pense qu'en quittant les habits d'un homme j'en avois quitté les véritables marques. Cette partie est morte en moi par laquelle j'ai été jusqu'ici une espèce de chancelier59. Comme j'achevois de parler, un de mes gens m'apporta une lettre de la part de madame d'Olonne qu'un des siens lui avoit donnée. La voici dans ma poche; je vous la vais lire.» En disant cela, le comte lut cette lettre à Vineuil:

LETTRE

       Si j'aimois le plaisir de la chair, je me plaindrois d'avoir été trompée; mais, bien loin de m'en plaindre, j'ai de l'obligation à votre foiblesse: elle est cause que, dans l'attente du plaisir que vous ne m'avez pu donner, j'en ai goûté d'autres par imagination qui ont duré plus long-temps que ceux que vous m'eussiez donnés si vous eussiez été fait comme un autre homme. J'envoie maintenant savoir ce que vous faites, et si vous avez pu gagner votre logis à pied; ce n'est pas sans raison que je vous fais cette demande, car je n'ai jamais vu un homme en si méchant état que celui où je vous laissai. Je vous conseille de mettre ordre à vos affaires; avec plus de chaleur naturelle que je ne vous en ai vu, vous ne sçauriez encore vivre long-temps. En verité, Monsieur, vous me faites pitié, et, quelque outrage que j'aie reçu de vous, je ne laisse pas de vous donner un bon avis: fuyez Manicamp 60 . Si vous êtes sage, vous pourrez recouvrer votre santé, mais restez quelque temps sans le voir. C'est assurément de lui que vient votre foiblesse, car, pour moi, à qui mon miroir et ma représentation ne mentent point, je ne crains pas qu'on me puisse accuser, ni me faire reproche.

      «À peine eus-je achevé de lire cette lettre que j'y fis cette réponse:

LETTRE

      Je vous avoue, Madame, que j'ai bien fait des fautes en ma vie, car je suis homme et encore jeune; mais je n'en ai jamais fait une plus grande que celle de la nuit passée: elle n'a point d'excuse, Madame, et vous ne sçauriez me condamner à quoi que ce soit que je n'aie bien mérité. J'ai tué, j'ai trahi, j'ai fait des sacrilèges; pour tous ces crimes-là vous n'avez qu'à chercher des supplices; si vous voulez ma mort, je vous irai porter mon épée; si vous ne me condamnez qu'au fouet, je vous irai trouver nu, en chemise. Souvenez-vous, Madame, que j'ai manqué de pouvoir, et non de volonté; j'ai été comme un brave soldat qui se trouve sans armes lorsqu'il faut qu'il aille au combat. De vous dire, Madame, d'où cela est venu, j'en serois bien empêché; peut-être m'est-il arrivé comme à ceux de qui l'appétit se passe quand ils attendent trop à manger; peut-être que la force de l'imagination a consumé la force naturelle. Voilà ce que c'est, Madame, de donner tant d'amour: une médiocre beauté, qui n'auroit pas troublé l'ordre de la nature, auroit été plus satisfaite. Adieu, Madame; je n'ai rien à vous dire davantage, sinon que peut-être me pardonnerez-vous le passé, si vous me donnez lieu de faire mieux à l'avenir: je ne demande pour cela que jusqu'à demain, à la même heure qu'hier.

      «Après avoir envoyé par un de mes laquais ces belles promesses à celui de madame d'Olonne qui attendoit sa réponse à mon logis, je m'en allai, et, ne doutant point que mes offres ne fussent bien reçues, je voulus prendre un soin particulier de moi. Je me baignai, et me fis frotter avec des essences de senteur; je mangeai des œufs frais, des culs d'artichauts, et pris un peu de vin; ensuite je fis cinq ou six tours de chambre et me mis au lit sans Manicamp. J'avois si fort en tête de réparer ma faute que je fuyois mes amis comme la peste. Le lendemain m'étant levé gaillard de corps et d'esprit, je dînai de fort bonne heure, aussi légèrement que j'avois soupé, et ayant passé l'après-dînée à donner ordre à mon petit équipage d'amour, je m'en allai chez madame d'Olonne à la même heure que l'autre fois. Je la trouvai sur son même lit, ce qui me donna d'abord quelques appréhensions qu'il ne me portât malheur; mais enfin, m'étant assuré le mieux que je pus, je m'allai jeter à ses genoux. Elle étoit à demi déshabillée et tenoit un éventail dont elle jouoit. Sitôt qu'elle me vit, elle rougit un peu, dans le souvenir assurément de l'affront qu'elle avoit reçu la veille; et, Quentine s'étant retirée, je me mis sur le lit avec elle. La première chose qu'elle fit fut de me mettre son éventail devant les yeux. Cela l'ayant rendue aussi hardie que s'il y eût eu une muraille entre nous deux: «Eh bien! me dit-elle, pauvre paralytique, êtes-vous venu aujourd'hui ici tout entier? – Ah! Madame, lui répondis-je, ne parlons plus du passé.» Et là-dessus me jetant à corps perdu entre ses bras, je la baisai mille fois et la priai qu'elle se laissât voir toute nue. Après un peu de résistance qu'elle fit pour augmenter mes désirs et pour affecter la modestie qui sied si bien aux femmes, plutôt que par aucune défiance qu'elle eût d'elle-même, elle me laissa voir tout ce que je voulus. Je vis un corps en bon point et le mieux proportionné du monde et un fort grand éclat de blancheur. Après cela, je recommençai à l'embrasser. Nous faisions déjà du bruit avec nos baisers; déjà nos mains, entrelacées les unes dans les autres, exprimoient les dernières tendresses d'amour; déjà le mélange de nos âmes avoit fait l'union de nos corps, quand elle s'aperçut du pauvre état où j'étois. Ce fut alors que, voyant que je continuois à l'outrager, elle ne songea plus qu'à la vengeance. Il n'y a point d'injures qu'elle ne me dît; elle me fit les plus violentes menaces du monde. Pour moi, sans faire ni prières ni plaintes, parceque je sçavois ce que j'avois mérité, je sortis brusquement de chez elle et me retirai chez moi, où, m'étant mis au lit, je tournai toute ma


<p>58</p>

Au dessous des deux raies circulaires qui s'élevoient du milieu du front et gagnoient le derrière de l'oreille.

<p>59</p>

J'ignore absolument ce que signifie cette manière de parler, et ne l'expliquerai pas.

<p>60</p>

Voyez ce qu'on a dit de Guiche et de Manicamp.