Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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ou, si c'est devant lui, qu'en usant comme de concert ensemble il verra bien que ce n'est rien, puisqu'elles le prennent pour témoin de ce qu'elles font, ou qu'en tout cas, s'il se fâche, les douceurs qu'elles lui feront et les promesses de n'y plus retourner l'obligeront à se radoucir, tout cela est fort sujet à caution. L'on ne trompe pas long-temps un amant. S'il ne découvre aujourd'hui, il découvrira demain.

      Disant: Lon la la,

      Il vous quittera là.

      Et quand la passion seroit si forte qu'il ne s'en pourroit guérir, les reproches et les fracas qu'il fera donneront plus de chagrin à la maîtresse coquette que tous ces ménagemens ne lui auront fait de plaisir. Il y a des coquettes qui croient être en si mauvaise réputation dans le monde qu'elles n'oseroient avoir de la rigueur pour personne, de peur que cela ne passe pour un sacrifice à quelqu'un, et qui ne songent pas qu'il vaudroit mieux pour leur honneur qu'elles fussent convaincues du sacrifice. Voilà, Madame, la manière des coquettes. Il faut maintenant que je vous fasse voir celle des honnêtes maîtresses55.

      Pour elles, ou elles sont satisfaites de leur amant, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le sont pas, elles tâchent de le ramener à son devoir par une conduite tendre et honnête; si cela ne se peut absolument, elles rompent sans bruit, sur un prétexte de dévotion ou de jalousie d'un mari, après avoir retiré, si elles peuvent, leurs lettres et tout ce qui les peut convaincre; et, sur toutes choses, elles font en sorte que leurs amans ne croient pas qu'elles les quittent pour d'autres.

      Si elles sont contentes de leurs amans, elles les aiment de tout leur cœur, elles le leur disent sans cesse et leur écrivent le plus tendrement qu'elles peuvent; mais, comme cela seulement ne leur prouve pas leur amour, parceque les coquettes en disent autant ou plus tous les jours, leurs actions et leurs procédés justifient assez le fond de leur cœur, parcequ'il n'y a que cela d'infaillible. On peut toujours dire qu'on aime, quoiqu'on n'aime pas; on ne peut avoir long-temps un procédé tendre pour quelqu'un sans l'aimer.

      Une honnête maîtresse craint plus que la mort de donner de la jalousie à son amant, et, quand elle le voit alarmé sur quelque soupçon qu'il a pu prendre de l'opiniâtreté de son rival, elle ne se contente pas du témoignage de sa conscience; elle redouble ses soins et ses caresses pour celui-là, et ses rigueurs pour celui-ci. Elle ne remet pas la dernière sévérité pour une autre fois, croyant qu'elle se défera toujours d'un importun trop tard. Elle sçait qu'autant de momens qu'elle différeroit de chasser ce rival, elle donneroit autant de coups de poignard dans le cœur de celui qu'elle aime; elle sçait que, d'abord que son amant commence à avoir des soupçons, le moindre petit soin qu'elle prendra de les lui ôter lui conservera l'estime et l'amour qu'il a pour elle; au lieu que, si elle négligeoit de le satisfaire et de le guérir, il viendroit à avoir si peu de confiance en elle, qu'elle ne le pourroit rétablir en lui offrant même de perdre sa réputation; elle sçait qu'un amant croiroit toujours que ce seroit la crainte qu'elle auroit de lui qui lui arracheroit les sacrifices qui passeroient dans son esprit, en un autre temps, pour des grandes marques d'amour; elle sçait que des femmes en qui on a de la confiance on excuse tout, qu'on ne pardonne rien à celles de qui on se défie; elle sçait enfin qu'on vient quelquefois à être fatigué du tracas qu'on reçoit d'une maîtresse et des reproches qu'on lui a faits après lui avoir pardonné mille fautes considérables, et qu'on rompt sur une bagatelle, lorsque la mesure est pleine et qu'on ne peut plus souffrir tant de chagrins.

      Il y a des femmes qui aiment fort leurs amans qui ne laissent pas de leur donner de la jalousie par leur mauvaise conduite, et cela vient de ce qu'elles se flattent trop de l'assurance qu'elles ont de leurs bonnes intentions, et de ce qu'elles ne tranchent pas assez nettement les espérances aux gens qui leur parlent d'amour, ou qui seulement leur en témoignent par des soins et des assiduités. Elles ne sçavent pas que les civilités d'une femme qu'on aime sont des faveurs dont tous les amans se flattent quelquefois, parcequ'ils ont du mérite, ou souvent parcequ'ils en croient avoir, tantôt parcequ'ils n'ont pas bonne opinion des gens à qui ils s'adressent, et pensent que la résistance qu'on fait n'est seulement que pour se faire valoir. De sorte que, si une femme qui n'a jamais donné lieu de parler d'elle est toujours fort jalouse de sa réputation, elle doit prendre garde, comme j'ai déjà dit, de n'entretenir en nulle manière les espérances de tout ce qui a de l'air d'amant; que, si c'est une femme qui n'ait pas eu jusque là assez de soin de sa conduite, et qu'elle en veuille prendre à l'avenir, comme vous, Madame, il faut qu'elle soit plus rude qu'une autre, et surtout qu'elle soit égale en sa sévérité, car la moindre bonté à quoi elle se relâche rengage plus un amant que cent refus ne le rebutent.

      Une honnête maîtresse a tant de sincérité pour son amant que, plutôt que de manquer à lui dire les choses de conséquence, elle lui dit jusqu'à des bagatelles, sachant bien que, s'il alloit sçavoir par d'autres voies de certaines choses indifférentes, que l'on rend criminelles en les redisant, cela feroit le plus méchant effet du monde. Elle ne garde aucune mesure avec lui sur la confiance; elle lui dit non seulement ses propres secrets, mais ceux même qu'elle a pu savoir autrefois, ou qu'elle apprend d'ailleurs tous les jours. Elle traite les gens de ridicules qui disent qu'étant maîtresse du secret d'autrui, nous ne le devons pas dire à nos amans. Elle répond à cela que, s'ils nous aiment toujours, ils n'en diront jamais rien, et que, s'ils viennent à nous quitter, nous aurions bien plus à perdre que le secret de notre ami; mais elle croit qu'on ne les doit jamais regarder comme n'en devant plus être aimées, et qu'autrement nous serions folles de leur accorder des faveurs.

      Sa maxime est enfin que qui donne son cœur n'a plus rien à ménager; elle sait qu'il n'y a que deux rencontres où elle se pourroit dispenser de dire tout à son amant, l'un s'il étoit fort étourdi, et l'autre s'il avoit eu quelque galanterie auparavant la sienne: car il seroit imprudent à elle de lui en parler, à moins qu'il la pressât fort, et en ce cas-là ce seroit lui qui attireroit le chagrin qu'il en recevroit.

      Enfin une honnête maîtresse croit que ce qui justifie son amour même auprès des plus sévères, c'est quand elle est vivement touchée, quand elle prend plaisir à le faire bien voir à son amant, quand elle le surprend par mille petites grâces à quoi il ne s'attend pas, quand elle n'a rien de réservé pour lui, quand elle s'applique à le faire estimer de tout le monde, et qu'enfin elle fait de sa passion la plus grande affaire de sa vie. À moins que cela, Madame, elle tient que l'amour est une débauche, et que c'est un commerce brutal et un métier dont des femmes perdues subsistent.

      Mademoiselle Cornuel ayant cessé de parler: «Bon Dieu! dit madame d'Olonne, les belles choses que vous venez de dire! mais qu'elles sont difficiles à pratiquer! J'y trouve même un peu d'injustice, car enfin, puisque nous trompons bien même nos maris, que les lois ont faits nos maîtres, pourquoi nos amans en seroient-ils quittes à meilleur marché, eux que rien ne nous oblige d'aimer que le choix que nous en faisons, et que nous prenons pour nous servir, et tant et si peu qu'il nous plaira? – Je ne vous ai pas dit, reprit mademoiselle Cornuel, que nous ne devions quitter nos amans quand ils nous déplaisent, ou par leur faute ou par lassitude, mais je vous ai fait voir la manière délicate dont il vous falloit dégager pour ne leur pas donner sujet de crier dans le monde: car enfin, Madame, puisqu'on a mis si tyranniquement l'honneur des dames à n'aimer pas ce qu'elles trouvent aimable, il faut s'accommoder à l'usage, et se cacher au moins quand on veut aimer. – Eh bien! ma chère, lui dit madame d'Olonne, je m'en vais faire merveille: j'y suis tout à fait résolue; mais avec tout cela je fonde les plus grandes espérances de ma conduite sur la fuite des occasions. – Que ce soit fuite ou résistance, dit mademoiselle Cornuel, il n'importe, pourvu que votre amant soit satisfait de vous.» Et là-dessus, l'ayant exhortée à demeurer ferme en ses bonnes intentions, elle lui dit adieu.

      Pendant qu'ils furent séparés, madame d'Olonne et Marsillac, ils s'écrivirent fort souvent; mais, comme il n'y a rien de remarquable, je ne parlerai point de leurs lettres, qui ne parloient de leur amour et de leur impatience de se voir que fort communément. Madame d'Olonne revint la première à Paris. Le comte de Guiche, pendant le voyage de Lyon, persuada à Monsieur56, frère du roi, auprès duquel il étoit fort bien, de faire une galanterie, à son retour à Paris, avec madame d'Olonne, et s'étoit offert de l'y servir et de lui faire avoir bientôt


<p>55</p>

Tout cela est long, bien long. Aussi, dans quelques éditions, a-t-on supprimé en cet endroit quatre ou cinq pages. Sans vouloir faire le juré-mesureur de style, il me semble que ces quatre ou cinq pages ne sont pas les meilleures de Bussy, si elles sont de lui. Il a ordinairement la plume plus légère, le tour plus libre, la pensée plus claire.

<p>56</p>

M. le duc d'Anjou auroit pu prétendre au rôle des Candale et des Guiche; mais il préféra aux belles quelques uns de ses amis. Madame de Motteville l'a peint lorsqu'il étoit encore jeune (1647, t. 2, p. 267): «Il seroit à souhaiter, dit-elle, qu'on eût travaillé à lui ôter les vains amusemens qu'on lui a soufferts dans sa jeunesse. Il aimoit à être avec des femmes et des filles, à les habiller et à les coiffer; il sçavoit ce qui seyoit à l'ajustement mieux que les femmes les plus curieuses, et sa plus grande joie, étant devenu grand, étoit de les parer et d'acheter des pierreries pour prêter et donner à celles qui étoient assez heureuses pour être ses favorites. Il étoit bien fait; les traits de son visage paroissoient parfaits; ses yeux noirs étoient admirablement beaux et brillans, ils avoient de la douceur et de la gravité; sa bouche étoit semblable en quelque façon à celle de la reine, sa mère; ses cheveux noirs, à grosses boucles naturelles, convenoient à son teint, et son nez, qui paraissoit devoir être aquilin, étoit alors assez bien fait. On pouvoit croire que, si les années ne diminuoient point la beauté de ce prince, il en pourroit disputer le prix avec les plus belles dames; mais, selon ce qui paroissoit à sa taille, il ne devoit pas être grand.» Il ne le fut pas en effet, et sa figure s'épaissit un peu; mais il n'en fut pas moins beau à la façon des efféminés. Il eut de temps en temps des velléités d'amour naturel, mais jamais elles ne durèrent. Madame d'Olonne, et, un peu plus tard, la gracieuse et plaintive duchesse de Roquelaure, faillirent être aimées. Pour ce qui est de madame d'Olonne, mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 405; 1659) vient en aide à Bussy et développe son texte: «Comme le roi fait toujours la guerre à Monsieur, un jour il lui demandoit: «Si vous eussiez été roi, vous auriez été bien embarrassé; madame de Choisy et madame de Fienne ne se seroient pas accordées, et vous n'auriez su laquelle vous auriez dû garder. Toutefois, ç'auroit été madame de Choisy; c'étoit elle qui vous donnoit madame d'Olonne pour maîtresse. Elle auroit été la sultane reine; et, lorsque je me mourois, madame de Choisy ne l'appeloit pas autrement.» Monsieur étoit fort embarrassé sur tout cela, et disoit au roi, d'un ton qui paroissoit sincère, qu'il n'avoit jamais souhaité sa mort, et qu'il avoit trop d'amitié pour lui pour se résoudre à le perdre. Le roi lui répondit: «Je le crois tout de bon.» Puis il disoit: «Lorsque vous serez à Paris, vous serez donc amoureux de madame d'Olonne? Le comte de Guiche le lui a promis, à ce que l'on mande de Paris.» Monseigneur rougit, et la reine lui dit d'un ton de colère: «C'est bien vous faire passer pour un sot que de promettre ainsi votre amitié! Si j'étois à votre place, je trouverois cela bien mauvais. Pour vous, qui admirez en tout le comte de Guiche, vous en êtes ravi.» Puis elle ajouta: «Cela sera beau de vous voir sans cesse chez une femme qui peste continuellement contre vous, et qui n'a ni honneur, ni conscience. Vous deviendrez un joli garçon!» Monsieur dit qu'il ne la verroit pas.»

Tout efféminé qu'il étoit, et peut-être même en raison de son caractère, Monsieur paroît avoir eu quelques grands élans de sensibilité. Il éclate en sanglots à la mort de sa mère; il est alors plus affligé fils que Louis XIV (Montp., t. 4, p. 95). À la mort de madame de Roquelaure il montre aussi une tristesse enfantine. Nous demanderons à sa femme, madame la Palatine, de nous achever son portrait. Il aimoit passionnément le bruit des cloches, jusqu'à revenir exprès à Paris la veille de toute grande fête carillonnée: à l'automne, quand les dernières feuilles, jaunies, déjà glacées, tremblent au bruit des sonneries de la Toussaint; au printemps, quand le chant joyeux des cloches de Pâques s'envole, comme un essaim de jeunes oiseaux, au travers des sérénités du ciel bleu. Avec cela il étoit joueur, mauvais joueur même (Lettres, t. 1, p. 48). Il n'aimoit pas la chasse et il ne consentoit à monter à cheval que pour aller à la guerre, où il se conduisit en bon capitaine. Il écrivoit avec une telle négligence qu'il ne pouvoit se relire; du reste, il écrivoit peu (t. 1, p. 257). Madame raconte tranquillement qu'elle n'avoit pas grand plaisir au lit avec lui (t. 1, p. 300) et qu'il ne vouloit pas être dérangé pendant son sommeil. Il étoit superstitieux (t. 2, p. 276), et Madame le surprit à promener des médailles bénites, la nuit, sur les diverses parties de son corps de la santé desquelles il doutoit.

Il n'est pas probable que ce soit Madame qui ait tort (t. 1, p. 402), et les libelles ou les couplets qui aient raison, lorsqu'elle dit: «La maréchale de Grancey étoit la femme la plus sotte du monde. Feu Monsieur feignit d'être amoureux d'elle; mais si elle n'avoit pas eu d'autre amant, elle auroit certes conservé toute sa bonne renommée. Il ne s'est jamais rien passé de mal entre eux. Elle-même disoit que, s'il venoit à se trouver seul avec elle, il se plaignoit aussitôt d'être malade: il prétendoit avoir mal de tête ou mal de dents. Un jour la dame lui proposa une liberté singulière: Monsieur mit vite ses gants. J'ai vu souvent qu'on le plaisantoit à cet égard, et j'en ai bien ri. Cette Grancey avoit une fort belle figure et une belle taille lorsque je vins en France, et tout le monde n'avoit pas pour elle le même dédain que Monsieur, car, avant que le chevalier de Lorraine ne fût son amant, elle avoit déjà eu un enfant.»

La femme défend bien son mari. Mieux vaudroit pour lui qu'elle pût se plaindre. Elle ne le flatte pas, d'ailleurs, et raconte parfaitement (27 janvier 1720) tous ses travers: «Feu Monsieur aimoit beaucoup les bals et les mascarades; il dansoit bien, mais c'étoit à la manière des femmes; il ne pouvoit danser comme un homme, parcequ'il portoit des souliers trop hauts.»

Achevons avec dix lignes de Saint-Simon (t. 3, p. 170):

«Monsieur, qui, avec beaucoup de valeur, avoit gagné la bataille de Cassel, et qui en avoit montré toujours de fort naturelle en tous les siéges où il s'étoit trouvé, n'avoit d'ailleurs que les mauvaises qualités des femmes. Avec plus de monde que d'esprit et nulle lecture, quoique avec une connoissance étendue et juste des maisons, des naissances et des alliances, il n'étoit capable de rien. Personne de si mou de corps et d'esprit, de plus foible, de plus timide, de plus trompé, de plus gouverné, ni de plus méprisé par ses favoris, et très souvent de plus mal mené par eux.»