Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
j'ai tort.» La comtesse craignant que cette lettre perdue fût retrouvée par quelqu'un qui fît une histoire d'elle qui réjouît le public: «Allez, lui dit-elle, la chercher par tout, et ne revenez pas que vous ne me la rapportiez.» Manicamp sortit aussitôt, et revint le soir lui dire qu'il n'avoit rien trouvé, que le comte de Guiche ne le vouloit plus voir, et qu'il venoit la supplier de les remettre bien ensemble. – Je le ferai, dit-elle, quoi que vous ne le méritiez pas. J'irai demain chez mademoiselle Cornuel51; dites à votre ami qu'il s'y trouve. – Je n'ai plus de commerce avec lui, dit Manicamp, et rien ne le peut radoucir pour moi qu'un billet de votre part. – Moi, écrire au comte de Guiche! reprit la comtesse; vous êtes fort plaisant de me proposer cela! – Quoique nous soyons brouillés, Madame, répondit Manicamp, je ne sçaurois m'empêcher de vous dire encore qu'il mérite bien cette grâce; ne le regardez pas en ce rencontre, donnez ce billet à l'amitié que vous avez pour moi, et je vous promets, quand il aura fait son effet, que je vous le remettrai entre les mains. La comtesse, lui ayant fait donner sa parole que le lendemain il lui rapporteroit son billet, écrivit ainsi:

BILLET

      Je ne vous écris que pour vous demander la grâce de ce pauvre Manicamp. Il faut pourtant vous en dire davantage pour vous obliger de me l'accorder: croyez ce qu'il vous dira de ma part; il est assez de mes amis pour faire que je ne lui refuse rien de tout ce qui lui peut être utile.

      Le comte de Guiche, ayant reçu ce billet, le trouva trop doux pour le rendre; il crut qu'il en seroit quitte pour désavouer Manicamp, et cependant il le chargea de cette réponse:

RÉPONSE AU BILLET

      Je souhaiterois infiniment que vous eussiez autant de penchant à m'accorder ce que je désirerois de vous, qu'il m'a été facile d'accorder la grâce au criminel. Je vous avoue qu'avec une telle recommandation il étoit impossible de rien refuser. Si j'étois assez heureux pour vous en pouvoir donner des preuves par quelque chose de plus difficile, vous connoîtriez que vous m'avez fait injure lorsque vous avez douté de la vérité de mes sentimens; ils sont, je vous assure, aussi tendres qu'une aussi aimable personne que vous les peut inspirer, et seront toujours aussi discrets que vous les pourrez souhaiter, quoi qu'en disent nos gouverneurs. Je vous conjure de déférer beaucoup aux avis du criminel, car, quoiqu'il soit homme assez mal soigneux, il mérite qu'on se loue de son zèle pour notre service.

      Ces avis étoient de se défier fort du chevalier, qui faisoit tout ce qu'il pouvoit pour traverser son neveu, et pour le faire paroître à la comtesse indiscret et infidèle. Après cela, Manicamp lui dit que le comte de Guiche étoit tellement transporté de joie pour le billet qu'elle lui avoit écrit qu'il lui avoit été impossible de le retirer; mais qu'elle ne s'en mît point en peine, qu'il étoit aussi sûrement dans les mains de son ami que dans le feu; qu'au reste, il n'avoit jamais vu d'homme si amoureux que le comte, et qu'assurément il l'aimeroit toute sa vie. – «Mais, interrompoit la comtesse, qu'est-ce que veut dire tant de visites de votre ami chez madame d'Olonne? La va-t-il prier de le servir auprès de moi? – Il n'y va point, Madame, répondit Manicamp; c'est-à-dire qu'il y a été une fois ou deux, mais je vois déjà l'esprit du chevalier dans ce que vous me venez de dire, et je suis assuré que le comte de Guiche reconnoîtra son oncle à ce trait de fripon. Mais, Madame, écoutez mon ami avant que de le condamner. – J'en suis d'accord, lui dit-elle.»

      Manicamp en jugeoit fort bien. Le chevalier avoit dit à la comtesse que le comte de Guiche étoit amoureux de madame d'Olonne; qu'elle ne servoit que de prétexte, et mille autres choses de cette nature, qui lui parurent si vraisemblables, que, quoiqu'elle se défiât du chevalier sur le chapitre du comte de Guiche, elle ne se put empêcher d'y ajouter foi en ce rencontre. Le lendemain, une de ses amies l'étant venue presser d'aller à la campagne, elle se laissa persuader, et la certitude qu'elle crut avoir de la tromperie du comte de Guiche fit qu'elle ne voulut point d'éclaircissement avec lui; et pour ne pas tout rompre, elle voulut prévenir Guitaud par une fausse confidence, de peur qu'il n'apprît par d'autres voies la vérité de toutes choses: elle lui envoya donc la copie de la dernière lettre du comte de Guiche, et partit après cela avec son amie. Le chevalier, qui étoit alerte sur toutes les actions de la comtesse, et qui avoit gagné tous ses gens, eut le paquet qu'elle envoyoit à Guitaud deux heures après qu'il fut fermé; il tira copie de la lettre du comte de Guiche, et jeta le paquet au feu. Deux jours après, ayant appris que la comtesse étoit partie, il lui écrivit cette lettre:

LETTRE

      Si vous eussiez eu autant d'envie de vous éclaircir des choses dont vous témoignez douter que j'en avois de vous ôter par mille véritables raisons toutes sortes de scrupules, vous n'eussiez pas entrepris un si long voyage, ou du moins eussiez-vous témoigné du chagrin de paroître si bonne amie. Je ne voudrois pas vous défendre d'avoir de la tendresse, mais je souhaiterois fort d'avoir quelque part à l'application, et je vous avoue que, si j'étois assez heureux pour y parvenir par la même voie, j'essaierois de n'en être pas indigne par ma conduite.

      Dans le temps que l'on porta cette lettre à la comtesse, le chevalier alla trouver son neveu, chez lequel il rencontra Manicamp. Après quelque prélude de plaisanterie sur les bonnes fortunes du comte de Guiche en général: «Ma foi, mes pauvres amis, leur dit-il, vous êtes plus jeunes et plus gentils que moi, je l'avoue, et je ne vous disputerai jamais de maîtresse que je ne connoîtrai pas de plus longue main; mais aussi il faut que vous me cédiez la comtesse et celles qui ont quelque engagement avec moi. La vanité que leur donne le grand nombre d'amans les peut obliger à vous laisser prendre quelques espérances. Il n'y en a guère qui rebutent d'abord les vœux des soupirans, mais tôt ou tard elles se remettent à la raison, et c'est alors que le nouveau venu passe mal son temps et que le galant dit, d'accord avec sa maîtresse: Serviteur à Messieurs de la sérénade. Vous m'avez promis, comte de Guiche, de ne me plus tourmenter auprès de la comtesse; vous m'avez manqué de parole et fait une infidélité qui ne vous a servi de rien, car la comtesse m'a donné toutes les lettres que vous lui avez écrites. Je vous en montrerai les originaux quand vous voudrez; cependant voici la copie de la dernière, que je vous ai apportée.» Et, disant cela, il tira une lettre du comte de Guiche, et, l'ayant lue: «Hé bien! mes chers52, leur dit-il, vous jouerez-vous une autre fois à moi?»

      Pendant que le chevalier parloit, le comte de Guiche et Manicamp se regardoient avec étonnement, ne pouvant comprendre que la comtesse les eût si méchamment trompés. Enfin, Manicamp, prenant la parole et s'adressant au comte: «Vous êtes traité, lui dit-il, comme vous méritez; mais, puisque la comtesse n'a pas eu de considération pour nous, ajouta-t-il se tournant du côté du chevalier, nous ne sommes pas obligés d'en avoir pour elle. Nous voyons bien qu'elle nous a sacrifiés, mais il y a eu des temps, chevalier, où vous l'avez été aussi; nous avons grand sujet de nous plaindre d'elle, mais vous n'en avez point du tout de vous en louer; quand nous nous sommes réjouis quelquefois à vos dépens, la comtesse a été pour le moins de la moitié avec nous. – Il est vrai, reprit le comte de Guiche, que vous n'auriez pas raison d'être satisfait de la préférence de la comtesse en votre faveur si vous saviez l'estime qu'elle fait de vous, et cela me fait tirer des conséquences infaillibles qu'elle est fort entre vos mains, puisque après les choses qu'elle m'a dites elle ne me trahit que pour vous satisfaire. Hé bien! chevalier, jouissez en repos de cette perfide. Si personne ne vous trouble que moi, vous vivrez bien content auprès d'elle.» Là-dessus, s'étant tous trois réconciliés de bonne foi et donné mille assurances d'amitié à l'avenir, ils se séparèrent.

      Le comte de Guiche et Manicamp s'enfermèrent pour faire une lettre de reproche à la comtesse au nom de Manicamp, sur quoi la pauvre comtesse, qui était innocente, lui répondit que son ami et lui avoient été pris pour dupes, et que le chevalier en savoit plus qu'eux; qu'elle ne leur pouvoit mander comme il avoit eu la lettre qu'il leur avoit montrée, mais qu'un jour elle leur feroit voir clairement qu'elle ne les avoit point sacrifiés. Cette lettre ne trouvant plus Manicamp à Paris, qui en étoit sorti la veille avec le comte de Guiche pour suivre le roi en son voyage de Lyon53, il ne la reçut qu'en arrivant à la cour; ils n'en pensèrent ni plus ni moins à l'avantage de la comtesse.

      Pendant que tout cela se passoit, l'affaire de Marsillac avec madame d'Olonne alloit son chemin, cet


<p>51</p>

Il y avoit trois Cornuel: la mère et deux belles-filles. Cette fois ce ne seroit pas trois pages, c'est vingt, trente pages, un article de revue bien limé, qui seroit de mise. Madame Cornuel mérite plus encore. Rien n'a égalé, au XVIIe siècle, le naturel, l'abondance, le sel, le mordant, le goût de ses bons mots. Entre toutes les causeuses de France elle a tenu sans conteste le premier rang. Celles-là même qui, au dessous d'elle, avoient de la réputation, reconnoissoient sa supériorité. Notez qu'elle n'a rien écrit, qu'aucun des traits de son esprit vivant n'est compromis par là, et n'oubliez pas que nous ne connoissons guère qu'une centaine de ces mots si vifs, si fins, si perçants, qu'admiroient les contemporains et qu'ils redoutoient. De si loin on a quelque peine à en sentir profondément la pointe, quelques uns s'émoussent en traversant les années; mais il en reste assez pour que nous lui devions garder sa place dans une histoire des salons françois. L'auteur des études sur la Société polie auroit dû la lui faire. Madame de Sévigné, qui s'y entendoit, écrivoit bien à sa fille, qui s'y entendoit aussi (17 avril 1676): «Ne trouvez-vous pas madame Cornuel admirable?»

Elles étoient trois, et les deux belles-filles valoient presque la mère. De cette maison il est sorti pendant long-temps des épigrammes de toute espèce.

Madame Cornuel étoit la fille unique d'un M. Bigot, intendant du duc de Guise, qui l'avoit dorlotée. Elle étoit jolie en sa jeunesse, éveillée, galante et riche. «Elle a de l'esprit, dit en 1658 Tallemant des Réaux (t. 6, p. 228 de la 2e édit.), autant qu'on en peut avoir; elle dit les choses plaisamment et finement.»

Cornuel, avant de l'épouser, avoit été marié à une veuve du nom de Legendre, qui avoit déjà une fille, mademoiselle Legendre, et qui donna à son mari une autre fille qu'on nomma Margot. Toutes les deux portèrent le nom de Cornuel; elles étoient également spirituelles et jolies. Mademoiselle Legendre fut aimée de l'abbé de La Rivière, avec qui nous aurons à compter.

On a cité (Pougens, Lett. philosoph., 1826, in-12, p. 131) un bon mot de Cornuel lui-même. Le bonhomme étoit chiche de son esprit; il étoit étourdi, bourreau d'argent, et peu aimé de son frère.

Ce frère avoit été contrôleur des finances et président des comptes, ce qui lui avoit permis de donner des affaires à Cornuel le financier. Avant de mourir il épouse sa servante. Sa fille, madame Coulon, gratifiée d'une Historiette par Tallemant, qui ne l'a pas consultée pour la lui décerner, fut très galante. (Historiettes, 201.)

Le président Cornuel (Conrart, Coll. Petitot, 193) «étoit malsain (de mauvaise santé) et homme de plaisir». M. Paulin Paris a mis cette indication, et beaucoup d'autres comme il en sait mettre, dans le tome 4 de son Tallemant des Réaux:

«Les Notes généalogiques au Cabinet des titres se contentent de dire que Claude Cornuel avoit épousé en premières noces Marthe Perrot, morte à quarante-six ans, le 18 mars 1624, et en secondes noces Françoise Dadien, veuve de Gabriel de Machault, conseiller de la cour des aides; mais les actes de baptême de la paroisse de Saint-Sulpice portent, sous la date du 19 septembre 1607, le baptême de Marie, fille de Claude Cornuel et de Marthe Grignon.» Marie fut madame Coulon.

Claude Cornuel, président de la chambre des comptes, avoit le titre de sieur de la Marche et de Mesnil-Montant, près Paris.

L'abbé de Laffemas, le fils du terrible et spirituel Laffemas, poète ingénieux quelquefois, lui fit cette épitaphe:

Ci gist ce fameux gabeleur,

Ce grand dénicheur de harpies,

Qui, plus subtil qu'un basteleur,

De ses vols fist des œuvres pies,

Raffinant sur le paradis

Comme il faisoit sur les édits.

Passans, quoy que l'on puisse dire

Et gloser sur son testament,

Il est mort glorieusement.

À mal exploitter, bien escrire,

En mourant il se résolut,

Au mespris des choses plus chères,

Ne voulant plus parler d'enchères,

Si ce n'estoit pour son salut.

Aussy les traités et les offres,

Sources vivantes de ses coffres,

Firent un pont d'or de son bien;

Il donna beaucoup, mais je gage

Qu'il eust pu donner davantage

Sans donner un double du sien.

Cornuel n'étoit pas mort commodément. «Il eut le loisir d'avoir bien peur du diable, et, comme il se tourmentoit comme un procureur qui se meurt, Bullion lui disoit: «Ne vous inquiettez point: tout est au roy, et le roy vous l'a donné.» (Note de Tall., t. 2, p. 150.)

«Estant au lit de la mort, Cornuel se confessa au vicaire de sa paroisse, qui luy refusa l'absolution s'il ne restituoit auparavant deux cent mille escus qu'il avoit mal acquis. Le malade en parla à M. de Bullion, qui alla consulter le cas avec le cardinal de Richelieu. La réponse du cardinal fut que toutes ces sortes de restitutions appartenoient au roy, comme seigneur de tous les biens; que le roy donnoit en pur don les deux cent mille escus dont il s'agissoit au président Cornuel pour les bons services qu'il avoit rendus à l'Estat, et qu'ainsy le président pouvoit se faire donner l'absolution. Cornuel, muni de ce sauf-conduit, passa paisiblement en l'autre vie.» (Amelot de La Houssaye, t. 2, p. 428.)

Madame la duchesse d'Aiguillon, quand il alloit mourir, «envoya emprunter six chevaux blancs qu'il avoit; et quand il fut mort, elle dit que les morts n'avoient que faire de chevaux». (Tall. des R., t. 2, p. 170.) Anecdote qui indique quels graviers on trouvoit au fond du lit de ce beau fleuve d'élégances qu'on appelle la vie de cour au XVIIe siècle!

Cornuel avoit été le bras droit de Bullion (Tall. des R., t. 2, p. 146). On trouve dans le Catalogue des Partisans divers détails qui ont rapport à Claude Cornuel et à ses amis.

Par exemple: «Catelan, cette maudite engeance, est venu des montagnes du Dauphiné, lequel, après avoir esté laquais en cette ville, fut marié par Cornuel à la sœur d'une nommée la Petit, sa bonne amie, à présent femme d'un nommé Navarret; pour faciliter lequel mariage dudit Catelan, Cornuel donna audit Catelan tous les offices de sergeant vacans jusques alors; et ensuite ledit Catelan s'est avancé dans la maltote, sous feu Bullion et Tubeuf, et entr'autres traitez a fait celui des retranchemens de gages, droits et revenus de tous les officiers de France, dont il a fait recette sous le nom du nommé Moyset, qui est son nepveu et s'appelle Catelan comme luy.» Et encore: «D'Alibert, confident de Cornuel, qui demeure rue des Vieux-Augustins, a esté de tous les traittez qui se sont faits, par le moyen desquels il possède de grands biens, tant en maisons dans Paris qu'en rentes capitalisées.»

Tallemant des Réaux (t. 4, p. 118) nous apprend que les entreprises de ces gens de finances faillirent comprometre très gravement le père de Pascal: «Quand on fit la réduction des rentes, luy (le père de Pascal) et un nommé de Bourges, avec un advocat au conseil dont je n'ay pu sçavoir le nom, firent bien du bruit, et, à la teste de quatre cents rentiers comme eux, ils firent grand'peur au garde des sceaux Séguier et à Cornuel.»

Ce que Guy Patin raconte ainsi (lettre du 7 avril 1638): «Le jour d'avant (25 mars 1638) on avoit mis dans la Bastille, prisonniers, trois bourgeois qui avoient été chez M. Cornuel et l'avoient en quelque façon menacé, sur le bruit que l'on veut arrester les rentes de l'Hostel-de-Ville et convertir cet argent in usus bellicos. Les trois rentiers se nomment de Bourges, Chenu et Celoron, et sont tous trois boni viri optimeque mihi noti

En voilà bien assez pour Claude Cornuel et son frère Guillaume. L'aîné laissa donc une fille, madame Coulon, femme légère; le cadet laissa Marion Legendre, sa belle-fille, et Marguerite Cornuel, sa fille; sans compter sa femme, «sa garce», dit la Voix du Peuple au roy (dans le t. 5, p. 349, des mss. de Conrart). Cette voix du peuple, fortement enrouée, attache à son nom cette phrase: «Plus criminel que tous les hommes qui ont dévoré les peuples, élevé du centre de la terre à une richesse de deux millions d'or par un gouffre de concussions, corruptions et larcins publics et particuliers.»

Madame Coulon reste à l'écart: on ne tient compte que des trois Cornuel, de Cléophile et de ses deux filles. (Dictionnaire des Prétieuses.)

La Mesnardière, parlant de la mère, dit:

Chez Cornuel, la dame accorte et fine,

Où gens fascheux passent par l'estamine.

On peut s'en douter, connoissant ces trois Caquet-bon-bec et leurs amis ou amies. Il y a, à la suite des Mémoires de Montpensier, un portrait de Margot Cornuel attribué à notre Vineuil. Ce portrait est lestement troussé. Margot étoit effectivement très liée avec madame d'Olonne en 1658 et 1659 (Montpensier, t. 3, p. 408). Quant à mademoiselle Legendre, la précieuse Cléodore (V. Colombey, Journée des Madrigaux, p. 34), elle venoit la deuxième pour l'esprit. La Gazette du Tendre lui donne l'épithète d'aymable (au chapitre de Grand service). Je ne vois pas pour quel motif l'auteur de la Journée des Madrigaux parle d'elle ainsi: «Cléodore demandoit si, parmy ces beaux esprits, il n'y en avoit pas un qui eût l'esprit satyrique qu'elle haïssoit.»

La faveur dont mademoiselle Legendre jouit auprès de l'abbé de La Rivière ne lui rendit pas toujours service, si l'on croit Tallemant des Réaux (t. 5, p. 146).

«Boutard contoit que la Pecque Cornuel l'avoit voulu marier avec Marion, mademoiselle Legendre, et qu'elle luy avoit fait un grand dénombrement des avantages qu'il auroit. Je lui ris au nez, disoit-il, et je lui dis qu'elle oublioit la faveur de M. de La Rivière. Or, La Rivière concubinoit et concubine, je pense, encore, avec elle. Elle est à cette heure comme sa ménagère, et, à Petit-Bourg, on l'a vue quelquefois avec un trousseau de clefs. Autrefois il y avoit un couplet qui disoit:

Il court un bruit par la ville

Que Marion Cornuel

Voudroit bien faire un duel

Avec monsieur de Rouville.

Qu'ils aillent chez la Sautour,

C'est là que l'on fait l'amour.

Rouville, déjà nommé, étoit le beau-frère de Bussy Rabutin. Quant à la Pecque, ce mot, qui signifie l'entendue, la faiseuse d'affaires, Boutard s'étoit habitué à le joindre au nom de madame Cornuel.

On connoît au moins une intrigue de la Pecque, puisque Pecque il y a. Elle fut la maîtresse de M. de Sourdis, gouverneur d'Orléans, et gouverneur ridicule. (V. l'Historiette de Sourdis.) La marquise en enrageoit; par contre, madame de Bonnelle se risqua à ennuyer la Pecque: elle alloit chez elle, à une heure indue, demander M. de Sourdis.

Madame Cornuel étoit née vers 1610. Elle avoit les dents fort laides, et Santeul les comparoit à des clous de girofle. Elle mourut à Paris en février 1694. Saint-Simon (Note au Journal de Dangeau, t. 4, p. 449) rappelle son dernier bon mot. Dans ses Mémoires (t. 1, p. 116), il dit: «Il y avoit une vieille bourgeoise au Marais chez qui son esprit et la mode avoit toujours attiré la meilleure compagnie de la cour et de la ville; elle s'appeloit madame Cornuel, et M. de Soubise étoit de ses amis. Il alla donc lui apprendre le mariage qu'il venoit de conclure, tout engoué de la naissance et des grands biens qui s'y trouvoient joints (l'héritière de Ventadour). «Ho! Monsieur, lui répondit la bonne femme, qui se mouroit et qui mourut deux jours après, «que voilà un grand et bon mariage pour dans soixante ou quatre-vingts ans d'ici!»

Dans le Nouveau Recueil des plus belles poésies (Paris, Loyson, 1654, in-12, p. 352), il y a une épître adressée à mademoiselle de Vandy (l'une de nos héroïnes) à propos de ses galants; on y voit ces vers:

Ordonnez-leur d'aller chez Cornuel,

Chez Cornuel, la dame accorte et fine,

Où gens fâcheux passent par l'étamine,

Tant et si bien qu'après que criblés sont,

Se trouve en eux cervelle s'ils en ont.

Si pas n'en ont, on leur fait bien comprendre

Que fats céans onc ne se doivent rendre;

Et six yeux fins, par s'entreregarder,

Semblent leur dire: «Allez vous poignarder.»

C'est la pièce de La Mesnardière. Voici l'épitaphe faite pour madame Cornuel:

Cy gît qui de femme n'eut rien

Que d'avoir donné la lumière

À quelques enfants gens de bien,

Et peu ressemblants à leur mère,

Célimène, qui de ses jours,

Comme le sage, et sans foiblesse,

Acheva le tranquille cours.

Dans ses mœurs que de politesse!

Quel tour, quelle délicatesse,

Éclatent dans tous ses discours!

Ce sel tant vanté de la Grèce

En faisoit l'assaisonnement,

Et, malgré la froide vieillesse,

Son esprit léger et charmant

Eut de la brillante jeunesse

Tout l'éclat et tout l'enjoûment.

On vit chez elle incessamment

Des plus honnêtes gens l'élite;

Enfin, pour faire en peu de mots

Comprendre quel fut son mérite,

Elle eut l'estime de Lenclos.

(Rec. de pièces cur. et nouv., Lahaye, Moetjens, 1694, in-12, t. 1, p. 191.)

La réputation de madame Cornuel ne lui survécut pas assez. Toutefois, Titon du Tillet (Parn. franç., in-fol., p. 462) l'a citée avec honneur.

M. Paulin Paris, qui a tiré des papiers de Conrart une lettre d'elle, a réuni quelques uns des traits qui peuvent servir à son histoire. Il est loin de les avoir recueillis tous. Peut-être essaierai-je de la peindre avec soin. En attendant, j'indiquerai toutes les sources qu'on peut consulter, ou du moins celles que j'ai consultées. Il y a d'abord un long morceau de Vigneul de Marville (Bonaventure d'Argonne) qui doit être transcrit tout entier:

«Madame de Cornuel, dont les bons mots ont été si remarquables durant le cours d'une vie de plus de quatre-vingts ans, s'appeloit Anne Bigot et étoit d'une famille originaire d'Orléans. Dès sa plus tendre jeunesse on ne parloit que de son esprit et de ses belles qualitez naissantes. S'étant rencontrée dans une assemblée, où elle brilloit pardessus les autres dames, M. de Cornuel, trésorier de l'extraordinaire des guerres, qui l'aimoit, lui prit un bouquet qu'elle avoit à son côté, témoignant par cette liberté qu'il la vouloit épouser. En effet, il l'épousa au bout de quinze jours.

«Depuis son mariage elle fit paroître une grandeur d'ame extraordinaire et bien au dessus des foiblesses de son sexe. Nullement touchée d'avarice, elle abandonna au premier venu mille pistoles que M. de Cornuel, son époux, lui avoit données pour le jeu. La clef étoit toujours à la porte de son cabinet, en prenoit qui vouloit. Elle n'adoroit point la fortune; mais, indifférente à ses bizarreries comme à celles du temps et des saisons, elle ne cultivoit que la vertu et les muses, moins parcequ'elles sont savantes que parcequ'elles sont honnêtes et polies. Jamais personne n'a mieux entendu que cette dame l'art de se faire des amis et de se les attacher, bien persuadée qu'il est des amis comme des richesses, que c'est en vain qu'on les acquiert si on ne les sait conserver. La conversation avec les personnes de distinction qui abordoient chez elle étoit tous ses délices. Elle écoutoit avec une attention qui débrouilloit toutes choses, et répondoit encore plus aux pensées qu'aux paroles de ceux qui l'interrogeoient. Quand elle considéroit un objet, elle en voyoit tous les côtez, le fort et le foible, et l'exprimoit en des termes vifs et concis, comme ces habiles dessinateurs qui en trois ou quatre coups de crayon font voir toute la perfection d'une figure.

«On a recueilli plusieurs de ses bons mots, et plût à Dieu qu'on n'en eût perdu aucun! C'est un méchant caractère que celui de diseur de bons mots, et ce caractère, si blâmable dans les hommes, l'est encore plus dans les femmes, à cause que les bons mots sont d'ordinaire accompagnés d'une liberté et d'une hardiesse qui ne sont pas séantes à ce sexe, parcequ'ils en obscurcissent la pudeur et la modestie, qui font ses plus beaux ornements. Mais madame de Cornuel, outre qu'il ne lui échappoit rien qui pût ni la faire rougir, ni faire rougir personne, disoit si à propos toutes choses, et revêtoit ses pensées de termes si propres et si agréables, qu'ils instruisoient toujours sans jamais blesser: de sorte que ces mots étoient bons en ce qu'ils étoient utiles, et plaisoient à tous ceux qui aiment une vérité bien dite.

«D'ordinaire, les personnes de ce caractère, pour dire un bon mot, en hasardent cent de méchans, et l'expérience fait voir que les plus habiles dans ces jeux d'esprit n'en ont pas dit, en toute leur vie, deux douzaines de tout à fait bons. La raison qu'on en peut rendre, c'est que les bons mots sont des fruits qui viennent sans être cultivés. Tout d'un coup ils naissent, et tout d'un coup ils font leur effet, comme les éclairs. Ils surprennent autant ceux qui les disent que ceux qui les écoutent. Ce sont, pour ainsi dire, de petits libertins qui ne veulent dépendre que d'eux-mêmes. Quand on les cherche ils ne viennent pas, ou, s'ils viennent, c'est de mauvaise grâce, se faisant tirer à force, et se défigurant en se faisant tirer. A-t-on dit un bon mot, le plaisir et les louanges qu'on en reçoit excitent la vanité et la présomption naturelle à en produire plusieurs tout de suite; mais ce sont ou des monstres ou des avortons. On en rit soi-même pour les faire trouver bons; mais personne n'en rit, parcequ'en effet ils ne sont pas bons.

«Madame de Cornuel n'avoit pas un de ces défauts. Elle ne parloit point par vanité, mais par raison, et avec autant de jugement que d'esprit. Comme elle savoit que les véritables bons mots ne dépendent point de nous, elle se contentoit de les produire avec ce beau naturel qui en est comme la fleur, sans presque y toucher. Mais, comme il y a des influences du ciel qui tombent plus heureusement sur de certaines terres que sur d'autres, il semble aussi que les bons mots viennent aussi plus aisément à la bouche des personnes qui savent leur donner un beau tour et les bien exprimer. Tout ce que disoit madame de Cornuel, elle le disoit bien, et jamais pas une de ses paroles n'a été rejetée par les personnes d'un goût raffiné, parceque, outre qu'elles renfermoient toujours un grand sens, elles étoient toujours belles et bien choisies. C'étoit autant de sentences et de maximes, tenant en cela du génie des Salomon, des Socrate et des César, qui ne parloient que pour instruire; génie grand et heureux qui s'est réveillé de nos jours dans MM. de La Rochefoucauld et Pascal, et enfin dans madame de Cornuel, qui auroit dû écrire ses sentences et ses maximes, si, comme les oracles, elle ne s'étoit contentée de dire les vérités et les laisser écrire aux autres.»

L'éloge est en règle; il n'est pas au dessus du sujet. Je ne puis songer à enregistrer maintenant ces mots excellents, et me bornerai à dresser la liste d'indications dont j'ai parlé: Titon du Tillet (Parnasse françois); Tallemant des Réaux (chap. 299); Paulin Paris (Notes aux Lettres, t. 5, p. 139); Sévigné (t. 3, p. 31, édit. Didot, t. 3, p. 47); Vigneul de Marville (t. 1, p. 341, Recueil d'ana); La Place (Pièces curieuses, t. 3, p. 377); Conrart (p. 270); Le Père Brottier (Paroles mémorables, p. 85); Sévigné (8 septembre 1680, 11 septembre 1676, 7 octobre 1676, 16 mars 1672, 6 mai 1672, 17 avril 1676); Quatremère de Quincy (Ninon de Lenclos); Tallemant (t. 10, p. 187, de la 3e édition); La Place (t. 1, p. 202); Tallemant (t. 4, p. 185, édit. P. Paris); Tallemant (t. 3, p. 245, 160); Lettres de Bussy (28 avril 1690); Tallemant (t. 2, p. 411); La Place (t. 1, p. 377); Ménagiana (édit. de La Monnoye, t. 1, p. 317, 332, 354; t. 2, p. 8, 124, 131, 407); Lettres de Madame (t. 1, p. 130, 129); Tallemant (t. 1, p. 388, note); Tallemant (t. 2, p. 170, 411); Saint-Simon (t. 1, p. 116); Dangeau (t. 4, p. 449); Walckenaer (Mémoires sur Sévigné, t. 5, p. 13; t. 1, p. 39; t. 1, 260), et Guy Patin, Loret, mademoiselle de Montpensier, les Mercures, les Gazettes, les Romans, les Poésies du temps.

<p>52</p>

Le mot cher, ainsi employé, vient des Précieuses.

<p>53</p>

En 1658, vers la fin de l'année.