Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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Louis XIV, femme de Gaspard, duc de Châtillon69, avoit les yeux noirs et vifs, le front petit, le nez bien fait, la bouche rouge, petite et relevée, le teint comme il lui plaisoit; mais d'ordinaire elle le vouloit avoir blanc et rouge; elle avoit un rire charmant, et qui alloit réveiller la tendresse jusqu'au fond des cœurs; elle avoit les cheveux fort noirs, la taille grande, l'air bon, les mains longues, sèches et noires, les bras de la même couleur et carrés, ce qui tiroit à de méchantes conséquences pour ce que l'on ne voyoit pas; elle avoit l'esprit doux et accort, flatteur et insinuant; elle étoit infidèle, intéressée et sans amitié. Cependant, quelque épreuve que l'on fît de ses mauvaises qualités, quand elle vouloit plaire, il n'étoit pas possible de se défendre de l'aimer; elle avoit des manières qui charmoient; elle en avoit d'autres qui attiroient le mépris de tout le monde. Pour de l'argent et des honneurs, elle se seroit déshonorée, et auroit sacrifié père, mère et amants70.

      Gaspard de Coligny, et depuis duc de Châtillon, après la mort du maréchal son père et de son frère aîné, devint amoureux de mademoiselle de Boutteville; et parceque le prince de Condé en devint amoureux aussi, Coligny le pria de se déporter de son amour, puisqu'il n'avoit pour but que la galanterie, et que lui songeoit au mariage. Le prince, parent et ami de Coligny, ne put honnêtement lui refuser sa demande, et, comme sa passion ne faisoit que de naître, il n'eut pas beaucoup de peine à s'en défaire. Il promit à Coligny que non seulement il n'y songeroit plus, mais qu'il le serviroit en cette affaire contre le maréchal son père et ses parents, qui s'y opposoient; et, en effet, malgré tous les arrêts du Parlement et tous les obstacles que le maréchal son père y pût apporter, le prince assista si bien Coligny, alors de ce nom, qu'on appela depuis Châtillon par la mort de son frère, qu'il lui fit enlever mademoiselle de Boutteville, et lui prêta vingt mille francs pour sa subsistance. Coligny mena sa maîtresse à Château-Thierry, où il consomma le mariage; de là ils passèrent outre, et s'en allèrent à Stenay, ville de sûreté que M. le Prince, à qui elle étoit, leur avoit donnée pour leur séjour. Soit que Coligny ne trouvât pas sa maîtresse aussi bien faite qu'il se l'étoit imaginé, soit que l'amour qui étoit satisfait lui donnât le loisir de faire des réflexions sur le mauvais état de sa fortune, soit qu'il craignît d'avoir donné à sa femme le mal qu'il avoit, il lui prit un chagrin épouvantable le lendemain de son mariage; et, pendant qu'il fut à Stenay, le chagrin lui continua de telle sorte qu'il ne sortoit non plus des bois qu'un sauvage. Deux ou trois jours après, il s'en alla à l'armée, et sa femme dans un couvent de religieuses à deux lieues de Paris. Ce fut là où Roquelaure71, qui sçavoit sa nécessité, lui envoya mille pistoles, et Vineuil deux mille écus, qu'on leur doit encore, quoique la duchesse soit riche et que cet argent ait été employé à son usage particulier.

      Le défaut d'âge de Coligny lorsqu'il épousa sa femme rendant son mariage invalide, et se trouvant majeur à son retour, on passa un contrat de mariage, dans l'hôtel de Condé, devant tous les parents de la demoiselle, et ensuite ils furent épousés dans Notre-Dame par le coadjuteur de Paris72. Quelque temps après, madame de Châtillon, se trouvant incommodée, alla prendre des eaux, où le duc de Nemours se rencontra et devint amoureux d'elle.

Portrait de M. le duc de Nemours

      Le duc de Nemours avoit les cheveux fort blonds, le nez bien fait, la bouche petite et de belle couleur et la plus jolie taille du monde; il avoit dans ses moindres actions une grâce qu'on ne pouvoit exprimer, et dans son esprit enjoué et badin un tour admirable. La liberté de se voir à toute heure, que l'usage a introduite dans les lieux où l'on prend des eaux, donna mille occasions au duc de Nemours de faire connoître son amour à sa maîtresse; mais, sçachant qu'on n'a jamais réglé d'affaires amoureuses, au moins avec les dames qu'on estime un peu, qu'en faisant une déclaration de bouche ou par écrit, il se résolut de parler, et, un jour qu'il étoit seul chez elle: «Il y a plus de trois semaines, Madame, lui dit-il, que je balance à vous dire ce que je sens pour vous; et quand, à la fin, je me détermine de vous en parler, c'est après avoir vu toutes les difficultés que je puis trouver en ce dessein. Je me fais justice, Madame, et par cette raison je ne devrois pas espérer; d'ailleurs, vous venez d'épouser un amant aimé, et c'est une difficile entreprise de l'ôter de votre cœur et de se mettre en sa place. Cependant je vous aime, Madame, et quand vous devriez, pour n'être pas ingrate, vous servir de cette raison contre moi, je vous avoue que c'est mon étoile, et non pas mon choix, qui m'oblige à vous aimer.» Madame de Châtillon n'avoit jamais eu tant de joie que ce discours lui en donna. M. de Nemours lui avoit paru si aimable73 que, si c'eût été l'usage que les femmes eussent parlé les premières de leur amour, celle-ci n'eût pas attendu si long-temps que fit son amant. Mais la peur de ne paroître pas assez précieuse l'embarrassa si fort qu'elle fut quelque temps sans sçavoir que répondre. Enfin, s'efforçant de parler pour cacher le désordre que son silence témoignoit: «Vous avez raison, Monsieur, lui dit-elle avec toutes les façons du monde, de croire qu'on aime fort son mari; mais vous voulez bien qu'on prenne la liberté de vous dire que vous avez tort d'avoir sur votre chapitre tant de modestie que vous avez. Si on étoit en état de reconnoître les bontés que vous avez pour les gens, vous verriez bien qu'ils vous estiment plus que vous ne faites. – Ah! Madame, reprit le duc de Nemours, il ne tient qu'à vous que je ne passe pour être le plus honnête homme de France.» À peine eut-il achevé ces mots, que la comtesse de Maure74 entra dans sa chambre, devant laquelle il fallut bien changer de conversation, quoique ces deux amants ne changeassent point de pensée. Leur distraction et leur embarras firent juger à la comtesse de Maure que leurs affaires étoient plus avancées qu'elles n'étoient, et cela fut cause qu'elle se préparoit à faire une visite fort courte, lorsque le duc de Nemours la prévint. Le prince, amoureux et discret, sçachant bien qu'il jouoit un méchant personnage devant une femme clairvoyante comme la comtesse de Maure, sortit et s'en alla chez lui écrire cette lettre à sa maîtresse:

LETTRE

      Je sors d'auprès de vous, Madame, pour être plus avec vous que je n'étois. La comtesse de Maure m'observoit, et je n'osois vous regarder; je craignois même, comme elle est habile, que cette affectation ne me découvrît: car enfin, Madame, on sçait si bien qu'il vous faut regarder quand on est auprès de vous que l'on croit que qui ne vous regarde pas y entend finesse. Si je ne vous vois pas maintenant, Madame, au moins ne s'aperçoit-on pas que j'ai de l'amour, et j'ai la liberté de ne l'apprendre qu'à vous. Mais que je serois heureux si je pouvois vous le persuader au point qu'il est, et que vous seriez injuste en ce cas-là, Madame, si vous n'aviez pas quelque bonté pour moi!

      Madame de Châtillon se trouva fort embarrassée en recevant cette lettre. Elle ne sçavoit quel parti prendre, de la douceur ou de la sévérité. Celui-ci pouvoit faire perdre le cœur de son amant, l'autre son estime, et tous les deux le rebuter. Enfin elle résolut de suivre le plus difficile, comme étant le plus honnête; et, quoi que lui dît son cœur, elle aima mieux faire ce que lui conseilla sa raison. Elle ne fit point de réponse au duc, et, comme il entra le lendemain dans sa chambre: «Venez-vous encore ici, Monsieur, lui dit-elle, me faire quelque nouvelle offense? Parceque l'on a l'humeur douce et le visage, croyez-vous qu'il n'y a qu'à entreprendre avec les gens? S'il ne faut qu'être rude pour avoir votre estime, on en fait assez de cas pour se contraindre quelque temps. Oui, Monsieur, on sera fière, et je vois bien qu'il le faut être avec vous.» Ces dernières paroles furent un coup de foudre tombé sur ce pauvre amant. Les larmes lui vinrent aux yeux, et ses larmes parlèrent bien mieux pour lui que tout ce qu'il put dire. Après avoir été un moment sans parler: «Je suis au désespoir, Madame, lui répondit-il, de vous voir en colère, et je voudrois être mort, puisque je vous ai déplu. Vous allez voir, Madame, dans la vengeance que j'ai résolu de prendre de l'offense que vous avez reçue, que vos intérêts me sont bien plus chers que les miens propres; je m'en vais si loin de vous, Madame, que mon amour ne vous importunera plus. – Ce n'est pas cela que je vous demande, interrompit cette belle; vous pourriez bien sans me fâcher demeurer encore ici. Ne sçauriez-vous me voir sans me dire que vous m'aimez, ou du moins sans me l'écrire? – Non, non, Madame, répliqua-t-il; il m'est absolument impossible. – Eh bien! Monsieur, voyez-moi donc,


<p>69</p>

Gaspard IV de Coligny, marquis d'Andelot, puis duc de Châtillon, promettoit d'être un jour un général. Dès 1641 il est nommé maître de camp du régiment (Daniel, t. 2, p. 381) de Piémont, quoique son père vînt de perdre la bataille de la Marfée.

En 1644, le père de mademoiselle de Vigean, que Condé aimoit, s'entend avec le maréchal de Châtillon pour marier sa fille à son fils (Mottev., t. 2, p. 129). C'est alors que Condé pousse le fils à aimer passionnément et à enlever mademoiselle de Montmorency. Châtillon s'attache de plus en plus à son protecteur; il combat près de lui à Lens. Condé l'envoie raconter sa victoire et demande pour lui le bâton de maréchal (Mottev., t. 3, p. 3); il n'obtient qu'un brevet de duc (t. 3, p. 117) à la fin de l'année 1648 (et non 1646. – Saint-Simon, t. 1, chap. 8). Saint-Simon l'appelle «bon et paisible mari». Pourquoi cela?

Quoi qu'il en soit, c'est lui qui commence la réputation de Ninon (V. Saint-Evremont); il étoit beau et vraiment aimable. Le coup de canon ou la balle qui le tua à Charenton, en 1649, fut détesté dans les deux partis (Guy Joly, p. 20). Chavagnac a raconté cette triste mort (9 février). Diverses pièces, publiées alors, contiennent son panégyrique; elles sont numérotées 22706, 22707, 22708, dans la Bibliothèque du P. Lelong. Châtillon ne laissa aucuns biens (Omer Talon, 331). «Il étoit beau», avons-nous dit déjà, «bien fait de sa personne et brave au dernier point.» Au moment où il mourut, il aimoit mademoiselle de Guerchy. «Dans le combat (Montp., t. 2, p. 47) il avoit une de ses jarretières (bleues) nouée à son bras.»

Son frère aîné, Coligny, a été, avec le duc de Guise, le héros du duel romanesque de la place Royale, que M. V. Cousin a raconté dans son Histoire de madame de Longueville; mais il en a été le héros malheureux.

<p>70</p>

Nécessité sera de s'y prendre à deux et à trois fois pour dire ce que je puis avoir à dire de madame de Châtillon. Ce ne fut pas seulement une dame galante, comme madame d'Olonne; ce fut aussi une femme politique, une Aspasie, une Impéria. Mais je n'ai pas à l'encenser, car elle n'a été que belle et n'a pas été aimable.

Les notes que nous consacrerons à éclaircir ou à garantir l'histoire que Bussy a faite de madame de Châtillon ne peuvent avoir la prétention de former un ensemble chronologique: ce sont les traits épars d'un tableau qui ne diffère pas de celui qu'il a peint. M. Walckenaer, dans le premier volume de ses Mémoires, a d'ailleurs étudié avec soin toute cette histoire.

On ne doit pas se fier éperdument à l'Histoire véritable de la duchesse de Châtillon, Cologne, Pierre Marteau (Hollande, à la Sphère), 1699, petit in-12 (catalogue Le Ber, nº 2224). Madame de Châtillon est née en 1626; elle a été mariée à Coligny en 1645; elle est devenue veuve en 1649; elle s'est remariée en 1664 au duc de Mecklembourg; elle est morte le 24 janvier 1695. Boutteville avoit laissé trois enfants: madame de Châtillon (Isabelle-Angélique), Marie-Louise, qui fut madame la marquise de Valençay, et enfin François-Henri, qui devint le maréchal de Luxembourg. On voit dans les Prétieuses de Somaize (t. 1, p. 191) cette prédiction, qui s'applique à madame de Châtillon sous le nom de Camma (1661): «L'amour se deffera de sa puissance entre les mains de Camma et luy donnera tout ce qu'il possède, ce qui s'appellera du nom de Métamorphose galante

Presque partout nous citons Somaize: c'est que tout notre monde a vécu de la vie précieuse, c'est que tous ces libertins et toutes ces femmes légères ont filé dans les ruelles le parfait amour avant de passer si chaleureusement à la réalité. Les lettres et les dialogues de Bussy, s'ils ne sont pas authentiques, sont parfaitement vraisemblables. Ainsi s'exprimoit la galanterie la plus hardie. Madame de Châtillon «faisoit la prude (Conrart, p. 231) et la sévère plus qu'aucune autre dame.» Elle étoit Montmorency, elle étoit Coligny elle avoit du sang d'azur dans les veines; elle se sentoit duchesse et bel-esprit. Mademoiselle Desjardins a écrit pour elle le Triomphe d'Amarillis; elle y passe divinité et y trône sur les nuages. Nous sommes loin des gourgandines de Régnier avec ce monde beau parleur; nous sommes loin aussi des vigoureuses passions de l'Italie ou de l'Espagne. Peu s'en faut que madame de Châtillon ne figure parmi les dévotes. Parmi les pièces justificatives de l'Histoire de madame de Longueville par M. V. Cousin, il y a quelques lettres de Madame de Longueville, de la princesse douairière et de Madame de Châtillon: ce sont des mères de douleur, des colombes chrétiennes; elles parlent le mielleux langage de saint François de Sales. On a quelque peine à tenir ses lèvres pincées lorsqu'on voit madame de Châtillon déposer solennellement en faveur de la sainteté de la mère Magdelaine de Saint-Joseph (1655), religieuse carmélite dont on poursuivoit à Rome la béatification.

Parlons d'abord de son second mari, de celui qui lui donna le nom de Meckelbourg, pour qu'il n'y ait plus qu'à songer librement à madame de Châtillon. C'est en février 1664, à trente-huit ans, qu'elle l'épousa. Christian-Louis de Meckelbourg (Mecklembourg) – Schwerin, chevalier de l'ordre le 4 novembre 1663, étoit veuf et avoit à peu près le même âge qu'elle. Il est mort à La Haye en 1692 (Saint-Simon, Notes à Dangeau, t. 2, p. 273). Il étoit rêveur, et sa femme lui donna de quoi rêver. Madame de Sévigné nous apprend (30 décembre 1672) qu'on se moquoit de lui volontiers. Madame (28 août 1719) dit: «C'étoit un singulier personnage que ce prince. Il étoit bien élevé, il apprécioit fort bien les affaires, il raisonnoit avec justesse; mais, dans tout ce qu'il faisoit, il étoit plus simple qu'un enfant de six ans.»

Et le reste.

Il y avoit une chanson ainsi tournée:

Ventadour et Mecklembourg

Sont toujours tout seuls au cours;

Ce n'est pas que l'amour

Leur tracasse la cervelle,

Mais c'est qu'à la cour

On les fuit comme des ours.

Laissons ce malheureux, qui n'a pas mérité son sort, et qu'après tout il ne faut pas plaindre s'il a tenu absolument à posséder la brillante madame de Châtillon.

De très bonne heure, mademoiselle de Boutteville s'étoit montrée encline à l'amour. D'abord elle s'imagine que Condé l'adore (1644). Condé faisoit semblant de l'aimer par ordre de mademoiselle du Vigean, qu'il aimoit en réalité (Motteville, t. 2, p. 130). Elle n'a que dix-neuf ans quand Coligny l'enlève. Ce fut une scène de mélodrame: un suisse de madame de Valençay, sa sœur, y périt vertueusement. La mère poussoit des cris de Rachel désespérée. Un amant évincé, Brion, faisoit chorus. Voiture n'y vit pas de mal (Œuv., t. 2, p. 174), et dit du ravisseur, dans un rondeau que nous approuvons:

Il a bien fait, s'il faut que l'on m'en croye.

On parloit beaucoup alors de la beauté de mademoiselle de Guerchy. Madame de Châtillon apprit avec une grande joie que le jeune prince de Galles la jugeoit plus belle que sa rivale (Montp., t. 2, p. 1, 1647); mais M. de Châtillon devoit, au jour de sa mort, avoir la jarretière de cette rivale nouée autour de son bras.

Je sais bien que les Mémoires de M. de *** ne peuvent pas être considérés comme des mémoires d'une grande valeur et qu'ils ressemblent à une compilation; je les appellerai toutefois en témoignage. Ce qu'ils disent nous fait faire un grand pas dans notre histoire, et, aux louanges méritées en 1648 par la beauté de la duchesse, ils ajoutent déjà quelque chose des critiques sévères que sa conduite postérieure va attirer sur elle.

«Élisabeth de Montmorency étoit de belle taille; son air et son port étoient nobles et pleins d'agréments; ses traits étoient réguliers, et son teint avoit tout l'éclat que peut avoir une brune; mais sa gorge et ses mains ne répondoient pas à la beauté de son visage. Son esprit vif et plein de feu rendoit sa conversation agréable, et elle avoit des manières douces et flatteuses dont il étoit impossible de se défendre. Elle avoit de la vanité et aimoit la dépense; mais, comme elle n'avoit pas assez de bien pour la soutenir, elle obligeoit ceux qui s'attachoient auprès d'elle à fournir à ses profusions. Bien qu'elle eût beaucoup de discernement, après avoir vu à ses pieds un prince aussi grand par ses belles qualités que par sa naissance, elle s'abaissoit souvent à des complaisances indignes d'elle pour des personnes qui lui étoient inférieures en toutes choses, mais qui pouvoient être utiles à ses desseins.» (Mém. de M. de ***, Collect. Michaud, p. 469.)

Mais il faut d'abord que la dame soit veuve; mariée elle est contrainte; Châtillon expire donc dans l'une des premières journées sérieuses de la Fronde.

«Ce jeune seigneur fut regretté publiquement de toute la cour à cause de son mérite et de sa qualité, et tous les honnêtes gens eurent pitié de sa destinée. Sa femme, la belle duchesse de Châtillon, qu'il avoit épousée par une violente passion, fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles occasions; et comme il lui étoit déjà infidèle et qu'elle croyoit que son extrême beauté devoit réparer le dégoût d'une jouissance légitime, on douta que sa douleur fût aussi grande que sa perte.» (Mott., t. 3, p. 183.)

Voilà la veuve en campagne. Un prêtre que nous reverrons, Cambiac, M. de Nemours, Condé et d'autres de ci et de là, lui enlèvent son cœur, qu'elle expose fort aux surprises, peu par amour sincère, si ce n'est pour Nemours, beaucoup par intérêt. Cambiac lui servit à conquérir un pouvoir absolu sur la princesse douairière, qu'il dirigeoit, et qui lui légua des rentes considérables (Lenet, p. 219). On verra ce que signifia l'intrigue qu'elle eut avec Condé. En 1652, au moment de la bataille Saint-Antoine, elle ne lui plaît pas encore beaucoup, car il lui fait une rude grimace chez Mademoiselle (Montp., t. 2, p. 269). Le canon avoit tonné tout le jour. À dîner, «elle faisoit des mines les plus ridicules du monde, et dont l'on se seroit bien moqué si l'on eût été en humeur de cela». Un peu plus tard, la même année (Montp., t. 2, p. 326), elle «mouroit d'envie de donner dans la vue à M. de Lorraine. Elle vint un soir chez moi, dit Mademoiselle, parée, ajustée, la gorge découverte», etc. «Dès qu'elle fut partie, M. de Lorraine nous dit: Voilà la plus sotte femme du monde; elle me déplaît au dernier point.» – La veille ou l'avant-veille, elle avoit fait venir un joaillier, lui présent, et avoit en vain essayé de se faire offrir quelque bijou.

En même temps elle aime Nemours, et la guerre n'y fait rien. Mademoiselle est toujours bonne à interroger (t. 2, p. 214); elle nous dira comment les amoureux couroient alors les grands chemins au travers des mousquetades. Belle époque! et qu'un écrivain a récemment eu raison (M. Feillet, dans la Revue de Paris) de traiter mal. Les seigneurs mettent tout en révolution; ils jouent à la bataille, ils écrivent des billets doux pendant que les campagnes succombent sous une effroyable misère.

«Madame de Nemours partit aussitôt pour le venir trouver. Madame de Châtillon vint avec elle jusqu'à Montargis; elle disoit qu'elle alloit pour conserver sa maison de Châtillon. Mais comme elle fut arrivée à Montargis, elle jugea que de là elle conserveroit bien ses terres, et qu'il y avoit plus de sûreté pour elle à se mettre dans les filles de Sainte-Marie, d'où elle ne sortoit que deux ou trois fois pour aller voir M. de Nemours, quoique des officiers qui vinrent à Orléans en ce temps-là me dirent qu'elle alloit tous les jours voir M. de Nemours toute seule avec une écharpe; qu'elle croyoit être bien cachée, mais qu'il n'y avoit pas un soldat dans l'armée qui ne la connût.»

Peut-être sera-t-il à propos de placer ici une relation qu'on est tout étonné, tant elle entre dans le détail des choses, de trouver dans les Mémoires de M. de *** (p. 533. – 1652): «M. le Prince étoit plus amoureux que jamais de la duchesse de Châtillon, et sa jalousie pour le duc de Nemours avoit augmenté depuis qu'il n'avoit plus été le médiateur de l'accommodement du parti avec la cour. Le prince de Condé avoit prié cette duchesse de ne plus voir son rival, et, comme elle crut que la guerre, si elle duroit, éloigneroit bientôt ce prince, elle lui promit tout ce qu'il voulut, ce qui ne l'empêcha pas néanmoins de chercher les moyens de voir le duc de Nemours sans que Son Altesse en eût connoissance. Madame de Châtillon, ayant su que le prince de Condé étoit retenu au lit par quelque incommodité, en avertit le duc de Nemours et lui manda de la venir voir à dix heures du soir. Cet amant ne manqua pas à l'assignation, et, pour ne point faire d'affaire à la duchesse, il laissa son carrosse dans une rue détournée, d'où il prit à pied le chemin de la maison, le nez enveloppé dans un manteau.

«L'obscurité et le soin qu'il prenoit de se cacher lui firent manquer la porte. Il entra dans une autre, qu'il trouva ouverte, et une fille le conduisit sans lumière à une chambre où, après lui avoir dit que sa maîtresse l'attendoit au lit, elle le laissa seul, tirant sur elle la porte, qu'elle ferma à clef. Le duc de Nemours s'aperçut bientôt de la méprise, parcequ'il ne s'attendoit pas à un traitement si favorable. Il voyoit bien qu'il n'étoit pas loin de la maison de la duchesse, et il savoit que dans celle qui touchoit à la sienne il logeoit une fort jolie femme, qu'il avoit vue plusieurs fois chez madame de Châtillon; il avoit même appris que le mari de cette femme étoit sorti de la maison pour aller poser une sauvegarde que M. le Prince lui avoit donnée, à la prière de la duchesse, pour une assez belle maison qu'il avoit en Brie. Il résolut de profiter de l'occasion que la fortune lui offroit, et se coucha auprès de cette dame. Elle lui fit la guerre sur sa paresse, et il s'en excusa en termes généraux, pour ne rien dire qui pût découvrir la méprise. Il comprit par la suite que c'étoit pour moi qu'elle le prit et que le voisinage avoit fait notre connoissance. J'avois l'honneur d'être connu de lui, et il savoit que mon père avoit un beau château à un quart de lieue de La Queue, en Brie. Ainsi il lui fut plus aisé de répondre juste à ses questions. J'y vins un quart d'heure après, et, trouvant la porte fermée, je crus que le mari étoit revenu, et je m'en retournai sans hésiter. Le duc passa la nuit avec la dame, qui ne s'aperçut de son erreur que par le retour de la lune. Elle alloit s'exhaler en reproches contre celui qui venoit de la tromper d'une manière si peu civile; mais, ayant reconnu le duc de Nemours, elle se contenta de le prier de lui garder le secret.

«M. le Prince, qui vouloit être éclairci si la duchesse de Châtillon lui tenoit exactement parole, avoit mis des espions en campagne pour investir la maison. Ils vinrent lui dire qu'ils avoient vu le carrosse du duc de Nemours dans une rue voisine. Alors, oubliant ses incommodités, il s'habilla et se fit porter en chaise chez la duchesse. Elle fut surprise de sa visite, et craignit autant l'arrivée du duc de Nemours qu'elle l'avoit désirée un moment auparavant. Le prince de Condé demeura avec elle jusqu'à minuit, et il s'en alla sans lui rien témoigner de ses soupçons. Le lendemain, après dîner, le duc de Nemours envoya un page pour s'informer de ce que faisoit la duchesse de Châtillon, et il apprit qu'elle étoit allée à la promenade. Il se douta qu'elle étoit au Jardin des Simples, parcequ'elle cherchoit les promenades éloignées. Il s'y rendit aussitôt, et, ayant vu son carrosse à la porte, il la chercha partout. Après avoir parcouru le parterre et le bois, il monta jusqu'en haut en tournant, et il l'aperçut entre deux palissades seule avec le duc de Beaufort. Il prêta l'oreille, et il entendit que madame de Châtillon disoit à ce duc qu'elle n'avoit jamais aimé que lui, et que ses seuls intérêts l'avoient empêchée de conclure le traité de M. le Prince avec la cour. Il alloit sauter les palissades pour suivre les transports de sa jalousie, lorsqu'il vit faire la même chose au prince de Condé, qui, sans rien dire au duc de Beaufort, accabla la duchesse de reproches et jura de ne la voir jamais.»

Le lendemain, duel de Nemours et sa mort.

Elle se console (Montp., t. 2, p. 292), et voici, pour cette fois, un dernier texte invoqué en preuve: «Son Altesse Royale et M. le Prince entrèrent et s'approchèrent; elle leva son voile et se mit à faire une mine douce et riante. Je crus voir une autre personne sous cette coiffe: elle étoit poudrée et avoit des pendants d'oreilles; rien n'étoit plus ajusté. Dès que M. le Prince alloit d'un autre côté, elle rabaissoit sa coiffe et faisoit mille soupirs. Cette farce dura une heure et réjouit bien les spectateurs.»

<p>71</p>

Celui-ci, c'est Gaston Jean-Baptiste, né en 1615, et marquis de son nom. Il étoit fils d'Antoine, baron de Roquelaure, maréchal de France, né en 1543, mort en 1625, après avoir donné le jour à dix-huit enfants: 1º du premier lit, à cinq filles et à un fils mort en 1610; 2º du second lit, à quatre filles et à huit fils, dont Gaston est le troisième.

Voici la notice que consacre à notre Roquelaure le livret intéressant du Musée de Versailles (t. 2, p. 630), livret qui a la valeur d'un ouvrage sérieux et qui fait honneur à M. Eudoxe Soulié: «Fils du maréchal Antoine de Roquelaure, né en 1615, il porta d'abord le nom de marquis de Roquelaure, servit dans les armées du roi comme capitaine de chevau-légers, puis comme colonel d'un régiment d'infanterie, et fut fait deux fois prisonnier, en 1641, au combat de la Marfée; en 1642, à la bataille d'Honnecourt. Maître de la garde-robe du roi, il combattit à Rocroy en 1643, fut fait maréchal de camp, fit les campagnes de Flandre et de Hollande, et devint lieutenant général en 1650. Louis XIV érigea sa terre de Roquelaure en duché-pairie en 1652 et le fit chevalier de l'ordre du Saint-Esprit en 1661. Il se trouva à la conquête de la Franche-Comté en 1668, à celle de Hollande en 1672, fut gouverneur général de Guyenne en 1676, et mourut à Paris le 11 mars 1683.» Tels sont les états de service de l'homme.

On voit à Bordeaux, en 1650, un chevalier de Roquelaure (Lenet, p. 381) dans le parti de Condé. Le marquis appartient au parti de la cour, et va, cette année-là même, à Bordeaux (Mott., t. 4, p. 77) avec le maréchal de la Meilleraye. Il ne se gênoit pas d'ailleurs pour garder des intelligences dans le camp ennemi, ce qui, un moment, en 1649 (Mott., t. 3, p. 267), le fait éloigner par Mazarin. Il étoit «hardi, grand parleur et gascon». Peut-être voudroit-on que dans cette note un pareil personnage fût moins officiellement décrit, car le nom de Roquelaure a le privilège, au temps des lectures sournoises du collége, de tenir en éveil notre gaîté; mais c'est surtout le fils de notre Roquelaure qui a été friand de scandale. Celui-ci, déjà doué d'une langue de hâbleur, n'a pas aussi hardiment sauté par dessus les bornes. Ce fut, d'ailleurs, un maréchal de France in petto (Monglat, p. 287).

N'allons pas jusqu'à réduire la vérité: il fatigua plus d'une fois ses contemporains. Dans le Ballet des Noces de Thétis et de Pelée, en 1654, Benserade lui fit chanter malignement, sous le costume d'une dryade:

Il n'est point de forêt qui ne soit indignée

Du fracas ennuyeux que j'ai fait tant de fois,

Et, sitôt que je hante une souche de bois,

Il vaudroit tout autant qu'on y mît la cognée.

Lorsque Lauzun fut disgracié, Roquelaure demanda, sans vergogne, ses lods et ventes à Louis XIV (La Place, t. 3, p. 216), qui lui répondit: «Il ne faut pas profiter de la disgrâce des malheureux.» Attrape, camarade! Tallemant lui a consacré son chapitre 234; il le taxe d'impertinence, doute de sa bravoure, mais reconnoît qu'il étoit «bon abatteur de bois». Nous savons ce que parler veut dire.

Tallemant parle aussi de sa femme, Charlotte-Marie de Daillon, fille du comte du Lude, «une des plus belles, pour ne pas dire la plus belle de la cour». Loret (septembre 1653) n'a pas oublié ce mariage. Roquelaure étoit riche; il donne à sa fiancée douze bourses parfumées contenant 6,000 pièces d'or de 11 livres 10 sous: cela faisoit 69,000 livres, et feroit quelque chose comme 200,000 livres. Lorsqu'elle fut accouchée deux fois, Loret la trouve encore

Plus fraîche et plus belle que Flore.

«Assurément, c'est une belle créature», dit Mademoiselle. Quant à madame de Sévigné, elle déclare que madame de Roquelaure battoit toutes les autres à plate couture. Elle aimoit Vardes lorsqu'elle se maria, et ne put jamais s'habituer à se plaire en son état de femme mariée. Douce, rêveuse, plaintive, elle fut peut-être touchée, vers la fin, de l'amour que témoignoit pour elle le duc d'Anjou. Elle mourut en 1657. Le lendemain de sa mort, le duc d'Anjou va à confesse, communie et fait dire mille messes (Montp., t. 3, p. 268).

Roquelaure ne fut jamais duc vérifié. En 1663 Louis XIV lui fit défendre de soumettre son brevet au Parlement (Mott., t. 5, p., 196).

La Bibliothèque nationale possède (Catal., t. 2, nº 3668) une affiche faite au sujet du ban et arrière-ban de Normandie, le 21 août 1674, au nom de Roquelaure, commandant en chef des troupes de la province.

Son fils, Biran, voluptueux sans scrupule (Saint-Simon, t. 5, p. 77), épouse mademoiselle de Laval, fille d'honneur de la dauphine et maîtresse du roi. Une fille lui arrive trop vite: «Mademoiselle, dit-il, soyez la bienvenue; je ne vous attendois pas si tôt.» Il se rua dans le bas comique et accepta cavalièrement son rôle de mari avantagé (V. Caylus, V. les Lettres de Madame, t. 1, p. 236). On voit dans les États du comptant pour 1685 (Pierre Clément, le Gouvernement de Louis XIV, p. 283): «Au sieur duc de – , pour le parfait paiement de ce que Sa Majesté a donné à ladite duchesse par son contrat de mariage, 40,000 livres.»

Lui aussi, ce Roquelaure, fut un duc à brevet; il étoit ami intime de Vendôme. Saint-Simon (t. 1, p. 150) a raconté une scène terrible que lui fit au jeu, en 1695, cet ami redoutable. L'affront fut digéré, et les plaisanteries, interrompues un instant, rejaillirent de plus belle.

Roquelaure le fils est mort en 1734. Dès 1718 on avoit publié en Hollande le Momus françois, ou les Aventures divertissantes du duc de Roquelaure. C'est un recueil de sottises et d'ordures.

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Tout le monde a lu ses mémoires. Il est né en 1614 et fut élève de saint Vincent de Paul. Tallemant des Réaux l'a peint: «Petit homme noir qui ne voit que de fort près, mal fait, laid, et maladroit de ses mains à toute chose. Il n'avoit pourtant pas la mine d'un niais; il y avoit quelque chose de fier dans son visage.»

Nous ne mettrons ici qu'un trait de son histoire: son amour et ses projets pour madame de la Meilleraye. «Cela est bien fou!» dit un fou, l'abbé de Choisy (p. 565, collect. Michaud). C'est Saint-Simon (t. 8, p. 187) qui parle: «La maréchale de la Meilleraye (morte en 1710, à quatre-vingt-huit ans) avoit été parfaitement belle et de beaucoup d'esprit. Elle tourna la tête au cardinal de Retz, jusqu'à ce point de folie de vouloir tout mettre sens dessus dessous en France, à quoi il travailla tant qu'il put, pour réduire le roi en tel besoin de lui qu'il le forçât d'employer tout Rome pour obtenir dispense pour lui, tout prêtre et évêque sacré qu'il étoit, d'épouser la maréchale, dont le mari étoit vivant, fort bien avec elle, homme fort dans la confiance de la cour, du premier mérite, dans les plus grands emplois. Une telle folie est incroyable et ne laisse pas d'avoir été.»

Que voulez-vous? Cet homme avoit une âme de feu quand l'amour lui mettoit martel en tête.

Retz, quelque jugement qu'on porte sur sa vie politique, a fait une fin qui ne manque pas de grandeur. Madame de Sévigné l'a aimé et admiré fidèlement. Il est mort le 24 août 1679. Nous lui saurons gré, avec le Valesiana (p. 293), de sa constante sympathie pour les gens de lettres.

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Henri II de Savoie avoit épousé, le 22 mars 1657, Marie d'Orléans-Longueville, fille de Henri II de Longueville, née le 5 mars 1625, morte bien tard, en 1707, le 16 juin. Elle figure parmi les précieuses sous le nom de Nitocris (Prét., t. 2, p. 308). Elle aimoit les romans de chevalerie. C'est à elle que l'abbé Cotin a dédié le sonnet célèbre:

Votre prudence est endormie, etc.

Elle a laissé des Mémoires. Nemours (1624-1652) avoit un frère aîné, Charles-Amédée, beau, brave, spirituel, ami de Condé (Lenet, p. 455). Retz le juge sévèrement; «Moins que rien (p. 214) pour la capacité.» Nemours est l'un des héros de la Fronde (Mottev., t.3, p. 103), et dès le début. Il reçoit treize blessures à la bataille Saint-Antoine (Mottev., t. 4, p. 340): il avoit ses prétentions comme un autre (Montp., t. 2, p. 251). Nous avons dit comment on le rendit amoureux de madame de Longueville, sa belle-mère, ma foi.

Il faut le regarder comme l'un des plus doux et des plus honnêtes coureurs d'aventures de ce temps. Sa vie l'ennuyoit; il en étoit presque honteux. Madame de Mottevile dit de lui quelque chose qui lui fait honneur (t. 4, p. 348, – 1648):

«Il avoit mandé au ministre que ses prétentions n'empêcheroient point la paix, et qu'il renonçoit de bon cœur à tous ses avantages pour rentrer dans son devoir, dont il ne s'étoit écarté que par malheur et par l'engagement d'amitié où il s'étoit trouvé avec M. le Prince.»

La triste querelle de Nemours et de Beaufort (V. Conrart, p. 143) a été racontée en détail par Mademoiselle (t. 2, p. 192, 288). Elle coûta la vie à l'agresseur.

Chacun différemment témoigne son regret,

dit Benserade;

Les hommes en public, les femmes en secret.

De très nombreuses pièces de la Bibliothèque nationale (Catal., t. 2, nos 2869-2878) s'y rapportent.

On peut lire avec intérêt l'ouvrage dont voici le titre (nº 2232 du Catalogue Leber): Le duc de Guise et le duc de Nemours, Cologne, chez Clou Neuf (Hollande, à la Sphère), 1684, petit in-12.

Pierre Coste (p. 60) dit bien que c'est aux eaux que Nemours aima madame de Châtillon, depuis peu mariée. «On peut dire, remarque-t-il, qu'il n'a eu de véritable inclination que pour cette duchesse. Ajoutons ici quelques lignes tirées des Mémoires de Mademoiselle (t. 2, p. 51; 1649); elles confirment le témoignage de notre texte:

«M. de Nemours commençoit alors à faire le galant de madame de Châtillon; cet amour avoit commencé dès le premier voyage de Saint-Germain, et la galanterie de son mari qui avoit commerce en ce temps-là pour Guerchy fit que celle de M. de Nemours lui déplut moins. Auparavant rien n'étoit égal à leurs amours… etc.

«… L'on remarqua que, le jour que l'on l'alla consoler de la mort de son mari, elle étoit fort ajustée dans son lit.»

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Anne Doni, fille d'Octavien Doni, baron d'Attichy, et de Valence de Marillac, morte en 1663.

«Elle passoit, quand elle estoit fille, pour la plus desreiglée personne du monde en fait de repas et de visites, mais ce n'estoit rien au prix de ce que c'est à cette heure, car elle a trouvé un homme qui lui dame bien le pion. Il fait tout le contraire des autres.»

«Avec soixante mille livres de rente, et pas un enfant, ils n'ont jamais un quart d'escu.» (Tallem. des R., t. 3, p. 160.)

Son mari étoit Louis de Rochechouart, comte de Maure, frère du duc de Mortemart.

«Le désordre de ses affaires, dit Tallemant, autant que le bien public, l'engagea dans le party de Paris.» Condé s'en moqua beaucoup d'abord. On connoît les beaux triolets:

Buffle à manches de velours noir

Porte le grand comte de Maure,

qui sont de Bachaumont et de Condé lui-même.

Mademoiselle d'Attichy, fille d'honneur de la reine-mère, n'avoit permis à personne de lui conter fleurette (Tallem., t. 2, p. 316).

Bautru lui disoit: «Vous n'êtes pas mal fine avec vostre sévérité. Vous avez si bien fait que vous pourrez, quand vous voudrez, vous divertir deux ans sans qu'on vous soupçonne.»

La Mesnardière (p. 437, édit. in-4 de 1656) atteste son esprit en un style fort alambiqué. C'est un triste poète lyrique que M. de La Mesnardière.

Attichy, dont l'esprit est brillant et solide,

Aime les chants du chœur qui sur Pinde réside,

Et veut que l'air facile et la sublimité

Y marquent la Naissance et la Capacité.

D'après un bon juge, madame de Motteville (t. 3, p. 249; 1649), madame la comtesse de Maure, «nièce du maréchal de Marillac, étoit une dame dont la beauté avoit fait autrefois beaucoup de bruit. Elle avoit une vertu éclatante et sans tache, de la générosité avec une éloquence extraordinaire, une âme élevée, des sentiments nobles, beaucoup de lumière et de pénétration.»

M. V. Cousin, l'historien de madame de Sablé, l'a représentée en son logis de la place Royale, à côté de son amie, toutes deux en leur chambre isolée, cloîtrées, couchées, craintives d'un courant d'air, effarouchées d'un bruit, les volets fermés, la lampe allumée à midi au mois de mai, restant trois mois sans se voir et s'écrivant dix fois par jour. Jamais épicuriennes n'ont raffiné plus voluptueusement les délicatesses de l'amour de la vie et de la crainte de la douleur. (Tallem., t. 3, p. 137.)

Voici un extrait de La Princesse de Paphlagonie: «Il n'y avoit point d'heure où la princesse Parthénie (madame de Sablé) et la reine de Misnie (madame de Maure) ne conférassent des moyens de s'empescher de mourir et de l'art de se rendre immortelles.»

Ce sont là les précieuses, non plus de l'amour et du beau langage, mais de la philosophie préservatrice et conservatrice. Elles inventent des pâtes reconfortantes, des sirops veloutés, des élixirs de vie perpétuelle.

Achevons le portrait avec La Princesse de Paphlagonie:

«La reine de Mysie estoit une femme grande, de belle taille et de bonne mine; sa beauté estoit journalière par ses indispositions, qui en diminuoient un peu l'éclat. Elle avoit un air distrait et resveur qui lui donnoit une élévation dans les yeux et qui faisoit croire qu'elle mesprisoit ceux qu'elle regardoit; mais sa civilité et sa bonté raccommodoient ce que les distractions pouvoient avoir gâté. Elle avoit de l'esprit infiniment.»

Le réduit de madame la comtesse de Maure, Madonte (Prét., t. 1, p. 206) s'appeloit le Palais Nocturne.

La connoissant telle qu'elle étoit, nous pouvons nous étonner de la voir en visite.