Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
au coin duquel elle avoit fait faire une trappe qui répondoit dans un autre cabinet au dessous, où Marsillac entroit quand il étoit nuit; un tapis de pied cachoit la trappe et une table la couvroit. Ainsi Marsillac, passant les nuits avec madame d'Olonne, selon le bruit commun, ne perdoit pas son temps; cela dura jusqu'à ce qu'elle alla aux eaux54, auquel temps Marsillac, qui lui écrivoit mille lettres qu'on ne rapporte point ici parcequ'elles n'en valent pas la peine, lui écrivit cette lettre un jour avant que de lui dire adieu:

LETTRE

      Je n'ai jamais senti une douleur si vive que celle que je sens aujourd'hui, ma chère, parceque je ne vous ai point encore quittée depuis que nous nous aimons; il n'y a que l'absence, et encore la première absence de ce que l'on aime éperdument, qui puisse réduire au pitoyable état où je suis. Si quelque chose pouvoit adoucir mon chagrin, ma chère, ce seroit la créance que j'aurois que vous souffrirez autant que moi. Ne trouvez pas mauvais que je vous souhaite de la peine, puisque c'est une marque de notre amour. Adieu, ma chère, croyez bien que je vous aime et que je vous aimerai toujours, car, si une fois vous en étiez bien persuadée, il n'est pas possible que vous ne m'aimiez toute votre vie.

RÉPONSE

      Consolez-vous, mon cher; si ma douleur vous soulage, elle est au point où vous la pouvez souhaiter: je ne vous la sçaurois mieux faire voir que disant que je souffre autant que j'aime. En doutez-vous, mon cher? venez me trouver, mais venez de meilleure heure, afin que je sois long-temps avec vous et que je me récompense en quelque manière de l'absence que je vais souffrir. Adieu, mon cher; soyez en repos de mon amour: il sera pour le moins aussi grand que le vôtre.

      Marsillac ne manque pas d'être au rendez-vous bien plus tôt qu'à son ordinaire. En abordant sa maîtresse, il se jette sur son lit, et fut ainsi fort long-temps à fondre en larmes et à ne pouvoir parler qu'à mots entrecoupés. Madame d'Olonne de son côté ne paroissoit pas moins touchée, mais comme elle eût encore bien souhaité de son amant d'autres marques d'amour que celle de sa douleur: «Hé! quoi! mon cher, lui dit-elle, vous me mandiez tantôt que mes déplaisirs soulageroient les vôtres; cependant l'affliction où vous me voyez ne vous rend pas moins désespéré.» À ces mots, Marsillac redoubla ses soupirs sans lui répondre. L'abattement de l'ame avoit passé jusqu'au corps, et je crois que cet amant pleuroit alors l'absence de sa vigueur plutôt que celle de sa maîtresse. Toutefois, comme les jeunes gens reviennent de loin et que celui-ci étoit d'un bon tempérament, il commença de se ravoir, et il se rétablit en peu de temps, de manière que madame d'Olonne eut peine à reconnoître qu'il eût été depuis peu si malade. Après qu'il lui eut donné plusieurs témoignages de sa bonne santé, elle lui recommanda d'en avoir soin sur toutes choses, et lui dit qu'elle jugeroit par là de l'amour qu'il avoit pour elle. Là-dessus ils se firent mille protestations de s'aimer toute leur vie; ils convinrent des moyens d'écrire et se dirent adieu, l'un pour aller à la cour et l'autre aux eaux.

      Le lendemain, Marsillac étant allé dire adieu à mademoiselle Cornuel, sa bonne amie, il la pria de bien persuader à sa maîtresse de prendre plus garde à sa conduite qu'elle n'avoit encore fait. «Reposez-vous-en sur moi, lui dit cette fille; elle sera bien incorrigible si je ne vous la mets sur un pied honnête.» Deux jours après, mademoiselle Cornuel alla chez madame d'Olonne, et l'ayant priée de faire dire à sa porte qu'elle étoit sortie: «Je suis trop votre amie, Madame, lui dit-elle, pour ne vous pas parler franchement de tout ce qui regarde votre conduite et réputation. Vous êtes belle, vous êtes jeune, vous avez de la qualité, du bien et de l'esprit, vous êtes fort aimée d'un honnête homme que vous aimez fort, tout cela vous devroit rendre heureuse; cependant vous ne l'êtes pas, car vous savez ce que l'on dit de vous; nous en avons quelquefois parlé ensemble, et, cela étant, vous seriez folle si vous n'étiez contente. Je n'entreprends pas de considérer vos fragilités; je suis femme comme vous, et je sais par moi-même les besoins de notre sexe. Vos manières sont insupportables; vous aimez les plaisirs, Madame, et j'y consens, mais c'est un ragoût pour vous que le bruit, et sur cela je vous condamne. Vous ne sauriez vous défaire de vos emportemens? Est-il possible que vous ne soyez pas au desespoir quand vous entendez dire la réputation où vous êtes, et qu'on cache l'amour qu'on a pour vous par honte plutôt que par discrétion? – Hé! qu'y a-t-il de nouveau, ma chère? Le monde recommence-t-il ses déchaînemens contre moi? – Non, Madame, dit mademoiselle Cornuel, il ne fait que les continuer, parceque vous continuez toujours à lui donner de nouvelles matières. – Je ne sais donc ce qu'il faut faire, reprit madame d'Olonne; toute la prudence qu'on peut avoir en amour je pensois l'avoir, et, depuis que je me mêle d'aimer, je n'ai jamais laissé traîner d'affaires, sachant bien d'ordinaire que le grand bruit ne se fait qu'avant que l'on soit d'accord et quand on n'agit pas de concert ensemble. Je vous prie, ma chère, ajouta-t-elle, de me bien dire exactement ce qu'il faut que je fasse pour bien aimer et pour avoir une galanterie qui ne me feroit point de tort dans le monde quand elle seroit soupçonnée, car je suis résolue de faire mon devoir à l'avenir dans la dernière régularité. – Il y a tant de choses à dire sur ce chapitre, dit mademoiselle Cornuel, que je n'aurois jamais fait si je ne voulois rien oublier; néanmoins, je vous dirai les principales le plus succinctement qu'il me sera possible.

      Premièrement, il faut que vous sachiez, Madame, qu'il y a trois sortes de femmes qui font l'amour: les débauchées, les coquettes et les honnêtes maîtresses. Quoique les premières fassent horreur, elles méritent assurément plus de compassion que de haine, parcequ'elles sont emportées par la force de leur tempérament, et qu'il faut une application presque impossible pour réformer la nature; cependant, s'il y a un rencontre où il faille se vaincre soi-même, c'est en celui-là, dans lequel il ne va pas moins que de l'honneur ou de la vie.

      Pour les coquettes, comme le nombre en est plus grand, je m'étendrai davantage sur le chapitre. La différence des débauchées à elles, c'est que dans le mal que font celles-ci il y a au moins de la sincérité; dans celui que font les coquettes il y a de la trahison. Les coquettes nous disent pour s'excuser, quand elles écoutent les douceurs de tout le monde, que, quelque honnête femme qu'on soit, on ne hait pas une personne qui nous dit qu'elle nous aime.

      Mais on leur peut répondre qu'il y a des distinctions à faire. Si cet amant s'adresse à une femme qui veut être honnête pour elle-même ou pour un amant, j'avoue qu'elle ne pourra pas haïr un homme pour les sentimens qu'il aura pour elle; mais cela n'empêchera pas qu'elle ne doive prendre garde à ne pas avoir plus de complaisance pour lui que pour un autre qui ne lui auroit jamais rien témoigné, de peur qu'elle n'entretienne par là ses espérances, et qu'enfin cela ne fasse du bruit et ne nuise à la réputation qu'elle veut conserver.

      Si c'est une femme préoccupée à qui un homme témoigne de l'amour, elle aura les mêmes précautions que l'autre pour empêcher que cela ne continue; mais, s'il est opiniâtre, je soutiens qu'elle le haïra autant qu'elle aimera son véritable amant, parcequ'il est naturel de haïr les ennemis de celui qu'on aime, parceque l'amour que l'on ne veut pas reconnaître importune, et parceque, l'amant bien traité pouvant soupçonner qu'une passion qui dure à son rival est pour le moins soutenue de quelques espérances, une honnête maîtresse regarde comme son ennemi mortel un rival qui la met au hasard de perdre son amant qu'elle aime plus que sa vie. Cela étant sans difficulté, il faut que vous sachiez encore qu'il y a plusieurs sortes de coquettes. Les unes trouvent de la gloire à se voir aimées de beaucoup de gens sans en avoir aimé aucun, et ne voient pas que ce sont les avances qu'elles font qui attirent le monde et qui les retiennent plutôt que le mérite. D'ailleurs, comme il n'est pas possible qu'elles dispensent leurs faveurs si également qu'il ne paroisse quelqu'un mieux traité qu'un autre, et qu'il y en a même qui ne se contentent pas de l'égalité, et qui veulent de la préférence, cela donne de la jalousie aux mécontens, et enfin du dépit, qui leur fait dire en les quittant tout ce qu'ils savent et ne savent pas.

      Il y a d'autres coquettes qui ménagent plusieurs amans afin de sauver le véritable dans la multitude et de faire dire qu'elles n'ont point d'affaire, puisqu'elles traitent également tous ceux qui les voient; mais on découvre la vérité, qui est le mieux qui leur puisse arriver, ou, plutôt que de croire qu'elles n'aiment personne, tout le monde croit qu'elles les aiment tous.

      Il y en a d'autres qui, en ménageant plusieurs amans, veulent persuader que, si elles aimoient quelqu'un, elles ne se hasarderoient


<p>54</p>

La mode d'aller aux eaux n'est pas nouvelle. On les aimoit extrêmement au XVIIe siècle. J'en pourrois donner beaucoup de preuves; il faut nous contenter de celle-ci, qui ne nous fait pas sortir du cercle de nos connoissances. En 1658, précisément en l'année où nous sommes, mademoiselle de Montpensier, selon son habitude régulière, va aux eaux de Forges. Elle dit: «La maréchale de La Ferté étoit à Forges. Madame d'Olonne y vint, madame de Feuquières de Salins, mademoiselle Cornuel (Margot), force dames de Paris.» (Montp., t. 3, p. 325.)

Les eaux de Forges passent pourtant pour être de celles dont les qualités ne sauroient être recherchées par les héroïnes de Bussy.