Tab. 1 : Collocations divergentes en français, allemand, anglais
Il n’est par conséquent guère surprenant que les apprenants rencontrent, même à un niveau universitaire après quelque dix années d’apprentissage d’une LE, des difficultés pour ce qui est du choix du bon verbe dans leurs productions langagières en LE. De toute évidence, ils n’ont pas appris la combinaison d’un GN avec un verbe spécifique en tant que choix conventionnalisé, quasi fixe, et font l’erreur de choisir un verbe correspondant à celui de leur langue maternelle.
Lüger (2019, 70) préconise de ce fait une introduction des collocations au premier stade de l’apprentissage de LE, une décision totalement logique car une collocation doit s’apprendre en tant que EP polylexicale plus ou moins figée devant être mémorisée d’emblée. Une traduction du verbe de la langue maternelle dans une collocation de la LE s’explique probablement par un non-respect de ce principe qui induit l’apprenant à un recours injustifié à sa propre langue.
Bénigno et al. (2015) considèrent que l’enseignement des LE attache insuffisamment d’importance à l’apprentissage des collocations faisant pourtant partie du « noyau lexical ».
L’apprentissage des collocations fait partie des acquisitions langagières défaillantes des programmes à tous les niveaux d’enseignement et d’apprentissage du FLE, qu’ils soient imposés ou non. En effet, absentes des manuels, des dictionnaires, des grammaires au niveau débutant, intermédiaire, voire avancé, les collocations sont une partie non négligeable du langage quotidien employé ; elles font partie du noyau lexical, c’est-à-dire du vocabulaire fondamental dont chaque locuteur dispose pour ses actes communicatifs, élémentaires et quotidiens (id., 83).
L’espace nous manque pour discuter de cette affirmation qui semble surprenante face à l’existence de maints dictionnaires et collections dans les trois langues citées.31 Une étude de manuels existants s’avérerait nécessaire pour l’étayer.
D’un autre côté, Benigno & Kraif (2016) soulignent à très juste titre que la fréquence ne doit pas être le seul critère guidant le choix des collocations à enseigner aux non-natifs, l’utilité communicative pour l’apprenant et la dispersion à travers différents types de conversation d’un corpus étant des critères tout aussi importants. Il se pourrait qu’une collocation soit extrêmement fréquente dans un nombre plus ou moins limité des conversations d’un corpus et soit considérée comme quantitativement fréquente, tout en étant absente d’une majorité des autres. Ou encore, il se pourrait qu’une collocation soit très utile au sein de situations qu’un AP-LE est amené à rencontrer, comme prendre rendez-vous, et soit très peu représentée au sein d’un corpus. Il en découle que les procédures quantitatives de la linguistique de corpus ne s’avèrent pas suffisantes afin de décrire les collocations, bref : les EP en général, utiles à l’AP-LE. Il est indispensable de les compléter par celles nécessaires à la maîtrise de situations de communication récurrentes auxquelles un locuteur non-natif sera confronté. En attendant un relevé systématique à travers de larges enquêtes, on pourrait peut-être consulter les manuels récents et déterminer s’ils ont bien pris en compte les collocations les plus pertinentes.
5.3Les CONSTRUCTIONS
Mises à part les formules de routine, étroitement liées à des situations de communication, et les collocations, les combinaisons lexicales usuelles, l’apprentissage de constructions lexicogrammaticales s’avère extrêmement efficace pour l’AP-LE, et représente même, à notre sens, l’avenir de la didactique des LE (cf. supra, pt. 2.2., pour une définition).
Bien que les approches phraséologiques fissent d’ores et déjà état des modèles phraséologiques, c’est-à-dire des cadres lexico-syntaxiques du type ‘x c’est x’ (la retraite c’est la retraite ;32 Bier ist Bier und Schnaps ist Schnaps ;33 money is money), c’est à la suite des travaux séminaux de Fillmore & Kay & O’Connor (1988) et de Goldberg (1995) sur la grammaire de construction, que la recherche sur les « form-meaning-function-pairs » a pris un essor remarquable. Si les « substantive idioms » dont « lexical make-up is […] fully specified » correspondent grosso modo aux expressions phraséologiques connues, les « formal idioms » sont des cadres lexicosyntaxiques plus ou moins lexicalement pourvus qui dépassent le périmètre des modèles phraséologiques. La linguistique de corpus, effectuant ses recherches sur la base de grandes collections de manifestations langagières en contexte naturel, révèle qu’il existe un nombre considérable de constructions lexicogrammaticales convoquées de manière récurrente par les utilisateurs d’une langue. On peut de ce fait partir du principe qu’elles sont enracinées en tant que structures mémorielles cognitives prêtes à être réactivées au besoin, afin de poursuivre des objectifs communicatifs dans des situations de communication avec tout ce qu’elle implique (relation sociale avec l’interlocuteur, niveau stylistique).
Les CONSTRUCTIONS jusqu’aujourd’hui décrites par la recherche, p. ex. la construction « réponse dubitative » du type Lui avocat ? Moi abandonner ? Elle s’excuser ? ou encore la construction « expression du désespoir », C’est à désespérer/pleurer/se taper la tête contre le mur !34 ne semblent guère destinées à l’apprentissage par un AP-LE, à moins que ce dernier n’ait atteint un niveau de « near native ». Aussi nous proposons en guise de première étape d’étudier les 34 modèles phrastiques du Duden 4 (« Satzbaupläne » ; Dudenredaktion 2009, 922-924)35 pour l’allemand, notre domaine de recherche principal, ou encore des modèles valenciels, dans de grands corpus conversationnels en essayant de relever l’éventuelle présence récurrente de certaines unités lexicales dans les « slots » de la structure syntaxique en question. Nous avons la conviction qu’il existe virtuellement pour chaque modèle des réalisations lexicales récurrentes qui pourraient servir de base à la didactisation. En même temps, l’approche orientée vers les corpus permettrait la description des conditions d’utilisation en contexte naturel, indispensable pour tout futur usage par l’apprenant non-natif.
Pour l’instant, nous avons entrepris la définition de phénomènes langagiers de l’allemand, particulièrement difficiles à maîtriser pour l’apprenant français, sous forme de CONSTRUCTIONS, choisissant une approche semi-inductive. Il s’agit des trois structures suivantes :
Les verbes de modalité sollen et müssen dont l’emploi différencié pose des problèmes majeurs même à des apprenants d’un niveau (très) avancé, sans doute du fait que le français ne dispose que d’un seul verbe, devoir, pour exprimer le sens des deux, différenciant l’obligation que le locuteur s’impose lui-même en raison de contraintes situationnelles et l’obligation imposée par un tiers (cf. Schmale, 2012a). D’une