—Est-ce que vous n'avez jamais fait de mal aux bêtes?
Du coup, le petit coq revint à mon esprit. A lui, non certes, je n'en avais pas fait; mais j'avais pris sa poule, et il l'avait bien défendue, et il dépérissait depuis!…
A partir de ce moment-là, ce fut une idée fixe. Tous les matins, je demandais des nouvelles de la bête; on me répondait en haussant les épaules:
—Mais il va bien! Qu'est-ce que tu as donc à t'en soucier si fort?
Je n'osais point le dire, monsieur, ce que j'avais. Mais ce qui est bien sûr, c'est que le petit coq ne chantait plus, et que mon mal ne faisait qu'empirer. Je voyais moins distinctement la flamme de la veilleuse qu'aux premiers jours.
Une nuit, ma femme était étendue près de moi; je m'assoupis. Au bout d'un moment, je m'éveillai. Je ne vis rien. Pas de veilleuse, pas une lueur. Au bruit que je fis en me retournant, ma femme s'éveilla à son tour:
—Qu'est-ce que tu veux? qu'elle me dit. Tu as besoin de quelque chose?
—Non.
—Alors, rendors-toi, mon homme.
—Je n'ai plus sommeil. Quelle heure peut-il être?
—Je ne sais pas.
Vous savez, on est méchant quand on est malade. Je lui dis un peu durement:
—Vois comme tu prends mal soin de moi! Tu n'as même pas préparé la veilleuse!…
—Comment cela?
—Mais non. Elle est éteinte!
Elle se tut un instant, et fit avec un drôle d'air: «C'est vrai… Je te demande pardon… Veux-tu que je me lève?»
J'eus regret de l'avoir brusquée, et je lui dis: «Non, ce n'est pas la peine, je n'en ai pas besoin, dors…»
Je demeurai éveillé. J'écoutais l'horloge battre. Ce que ça dure, une nuit sans sommeil! et puis cette faible lumière de la veilleuse à laquelle j'étais habitué, me manquait.
Et, peu à peu, une pensée me vint: comment ma femme, si soigneuse à sa coutume, n'a-t-elle pas songé à la lumière?… Quelle drôle de voix elle avait en me répondant; elle était peut-être mal éveillée?… Mais non; elle m'avait causé avant… Alors?…
Est-ce que la veilleuse serait allumée et que je ne la verrais pas?…
Mais… si c'est ça… c'est fini… Je suis aveugle…
J'appelai: «Hé, la mère!»
Je n'avais pas achevé qu'elle me dit d'une voix bien claire, comme quelqu'un qui ne dormait pas:
—Quoi donc, mon homme?
—Tu es sûre que la veilleuse est éteinte?
Elle hésita:
—Oui… Mais oui…
—Ça n'est pas vrai! Je suis aveugle!
—Mon pauvre homme… Mon pauvre homme…
—Lève-toi, criai-je… Ouvre les volets… que je voie.
—Mais ce n'est pas la peine; il n'est pas jour encore…
—Si! si! Lève-toi! Ouvre!
J'entendis la fenêtre grincer et les persiennes battre.
—Tu vois bien, murmura-t-elle, qu'il fait nuit.
—Ah! bon Dieu! Je respirai! Elle m'avait dit vrai! J'avais cru, tant les heures m'avaient paru longues, qu'il faisait jour, que la veilleuse brûlait et que je ne la voyais plus… Il faisait encore nuit, bien nuit!…
Alors, monsieur, dans le silence et dans ma nuit, le petit coq, muet depuis des jours, chanta! Il chanta, d'une voix triomphante qui dut gonfler son cou et le dresser sur ses petites pattes.
Il chanta, et je compris que le jour que je ne verrais plus jamais était là, que la veilleuse éclairait la pièce, et que ma femme, depuis des heures, me mentait pieusement, pour retarder l'instant où j'aurais tout appris!…
Le coq chanta encore, joyeux, peut-être parce qu'il savait que j'étais aveugle, et j'entendis ma pauvre vieille qui pleurait.
L'Horloge
Presque cachée au fond d'un jardin inculte, avec ses volets toujours clos, ses murs qui s'effritaient, rôtis par le soleil, lavés par les averses, son toit de briques d'où jamais une fumée ne s'élevait, elle était vraiment bizarre cette petite maison que, dans le pays, on nommait la «Maison du Crime».
J'avais toujours eu le désir de la visiter sans jamais en trouver le moyen, lorsqu'un jour je vis se balancer contre la porte un écriteau avec ces mots: «A louer».
Je crus d'abord à une plaisanterie. Pourtant, je ne sais quelle curiosité me poussant, je sonnai. Grêle, avec un son fêlé, une cloche tinta. J'attendis… Enfin il me sembla qu'un bruit venait du fond de la maison. Je prêtai l'oreille… J'entendis un frôlement de pas traînants, des tintements de clefs… des grincements de serrures… et la porte, ayant crié sur ses gonds, s'ouvrit. Un grand vieillard s'avança vers moi. Sa mise était sévère, son allure cérémonieuse et digne, son visage impassible et sa démarche lente: c'était bien l'étrange habitant qu'il fallait à cette étrange demeure.
Il traversa l'allée, ouvrit la grille, et, s'effaçant pour me laisser passer, me dit d'une voix sans timbre:
—C'est pour louer, monsieur?
A tout hasard, je répondis: «Oui».
Dans ses yeux, un étonnement passa. Il s'inclina, puis, ayant avec soin refermé la grille, murmura:
—Fort bien. S'il vous plaît de me suivre…
La maison n'offrait par elle-même rien de particulièrement intéressant. Tout y était vieux, triste, délabré. Le long des murs, les papiers, par endroits, s'étaient déchirés et pendaient, laissant voir le plâtre jauni. Des cadres à la vitre embuée recouvraient des gravures passées; les meubles, d'une forme antique, étaient couverts d'une couche épaisse de poussière, et les feuillages du jardin tamisaient si étroitement la lumière que les pièces s'éclairaient à peine d'une lueur indécise, quand on poussait les volets.
Le maître du logis me guidait dans l'appartement, refermant les portes avec un soin silencieux, me renseignant en quelques mots brefs:
—Ici, une chambre à coucher. Un cabinet de toilette. Là, une autre chambre. La lingerie communiquant avec une chambre d'amis. A l'étage supérieur, les communs, le grenier.
La visite achevée, je dis machinalement—pour dire quelque chose:
—C'est tout?
Il s'arrêta, me fixa longuement, comme si ma question avait eu quelque chose d'insolite, puis, ayant choisi dans son trousseau une clef, il l'enfonça dans une serrure qu'il fit jouer, et me répondit d'une voix bizarre:
—Non. Il y a encore cette pièce.
J'entrai. Il y faisait très sombre, très humide. Je distinguai une fenêtre munie d'épais barreaux, deux escabeaux, une table carrée poussée le long d'un mur. Il entre-bâilla les volets, et, dans le demi-jour revenu, j'aperçus, pendant à un crochet du plafond, une corde avec un noeud coulant, et, dans un coin, une horloge de campagne, si poussiéreuse qu'elle n'avait plus de couleur, et qui, malgré qu'elle semblât, ainsi que tous les objets de cette maison, n'avoir pas été touchée depuis des années, battait l'heure d'un tic-tac lugubre et régulier.
De suite, cette simple horloge retint mes regards et ma pensée avec une force si extraordinaire que la parole de l'inconnu résonnant