Or, si quelques ouvrages furent conçus pour accueillir des estampes, ce privilège éditorial restait un phénomène marginal, la grande majorité des imprimés ne possédant aucune estampe ni même un frontispice. Parmi ces livres se trouvent les programmes produits à bas coûts pour être immédiatement débités dans la capitale, à la porte du théâtre. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à la suite de l’essor du répertoire à machines amorcé par Torelli, ces programmes étaient imprimés en grand nombre pour conserver la description des décors et des machines. Pour Andromède, cette tâche fut confiée à l’imprimeur parisien Augustin Courbé, ce dernier obtenant un droit d’impression le 3 mars 1650, soit pendant les représentations du Petit-Bourbon9. Cet écart de date avec l’édition luxueuse de Laurent Maurry et de Charles de Sercy suffit à prouver la nature divergente – l’éphémère contre le durable – entre les deux livres. Le fait que ce programme fut imprimé « aux dépens de l’auteur » comme le mentionne la page de titre implique une politique éditoriale menée par Corneille10 qui s’arrogeait le droit de faire des bénéfices sur la vente de ces feuillets, la description des décors et des machines de Torelli ne bénéficiant d’aucune illustration dans cet imprimé. Ces livres étaient d’une qualité fragile, voire médiocre, et composés de feuillets comme en témoigne celui d’Andromède pour la pompeuse reprise de la Comédie-Française démarrée le 19 juillet 168211, la veuve G. Adam ayant obtenu le permis d’impression le 14 juillet, soit cinq jours avant les premières représentations.
F. Chauveau, dépliement par la gauche de l’illustration du prologue d’Andromède, Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.
Dans un état de conservation préoccupant, ce programme conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal contraste avec les luxueuses éditions gravées des spectacles de Torelli, la jouissance de l’estampe n’étant réservée qu’à quelques collectionneurs qui eurent le privilège, et surtout les moyens financiers, de pouvoir se la procurer.
Cette politique éditoriale low cost pour les « desseins » et autres « sujets » de pièce à machines, à défaut de pouvoir graver le spectacle, misait tout sur l’écriture et la longueur des descriptions hyperboliques. C’est par exemple le cas d’un imprimé sans nom d’éditeur pour Les Noces de Pelée et de Thétis12.
Andromède, tragédie en machines, 1682. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, B. L. G. D. 43389. Photo A. Saudrais, 2017.
Dépourvu d’estampes, ce petit livre était un programme distribué au public. Pensé pour le confort des spectateurs, il permettait de suivre le ballet pendant les représentations, l’imprimé comprenant la traduction française, située à gauche, des vers chantés en italien, disposés à droite de l’imprimé. À la différence d’un ouvrage comme l’Andromède de Laurent Maurry et Charles de Sercy, cet imprimé n’était pas destiné à la postérité. Produit pour l’éphémère des représentations, il avait une utilité immédiate pour suivre un spectacle dont on ne comprenait pas toujours les paroles13. Ainsi, graver cet imprimé s’avérait inutile, le public ayant devant les yeux les décors et les machines de Torelli. La gravure intervenait donc après la mort du spectacle lui-même.
La présence de l’estampe dans les spectacles imprimés : l’éphémère et/ou l’Histoire
Recoupant des enjeux doublement politiques et éditoriaux, les estampes présentes dans certains imprimés des spectacles de Torelli résultent d’un phénomène assez unique dans la France du XVIIe siècle. De la Finta Pazza aux Noces de Pelée et de Thétis est apparue une iconographie jusqu’alors inédite, dans sa quantité comme dans sa qualité1, pour illustrer des spectacles, l’ampleur comme leur nombre répondant à la qualité artistique des dessins et du travail de gravure.
Le Nozze di Peleo e di Theti, commedia. Les Noces de Pelée et de Thétis, comédie, 1654. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, B. L. G. D. 43389. Photo A. Saudrais, 2017.
Mais ces estampes insérées dans quelques imprimés étaient un luxe réservé à une élite, propice à diffuser les talents d’un ingénieur et à célébrer le pouvoir monarchique. Or, cette politique iconographique et éditoriale au service de la mémoire et de l’Histoire fut très rapidement gagnante avec un impact historiographique quasi immédiat dans l’histoire des spectacles en France, que l’on pense à Ménestrier ou à Donneau de Visé, le fondateur du Mercure Galant se remémorant les décors et les machines de Torelli trente ans plus tard lors de la reprise de la pièce par la Comédie-Française. Le rôle des estampes fut déterminant pour la célébration d’un spectacle disparu mais réactualisé avec une nouvelle mise en scène du machiniste Dufort en 1682, Donneau de Visé ne tarissant pas d’éloges :
Les comédiens Français ont commencé depuis quelques jours les représentations d’Andromède, tragédie en machines, de Mr Corneille l’aîné. Elle fut faite pour le divertissement du roi, dans les premières années de sa minorité. La reine mère qui n’entreprenait rien que de grand, y fit travailler dans la grande salle du Petit-Bourbon, où se représentaient les ballets du roi, lorsqu’ils étaient accompagnés de machines. Le théâtre était beau, élevé et profond, et l’on y a vu plusieurs grands ballets, où sa Majesté dansait, dignes de l’éclat et de la grandeur de la cour de France. Le sieur Torelli, pour lors machiniste du roi, travailla aux machines d’Andromède. Elles parurent si belles, aussi bien que les décorations, qu’elles furent gravées en taille-douce.2
Donneau de Visé, qui n’assista pas aux représentations de 16503, construisait déjà la notoriété d’un spectacle grâce aux gravures de Chauveau dont les estampes étaient insérées dans l’imprimé de Laurent Maurry et de Charles de Sercy, confirmant l’heureux pari d’une politique éditoriale entreprise par le pouvoir, pour la gloire du machiniste et le souvenir de Mazarin.
François Chauveau, un illustrateur pour la littérature
Marie-Claire PLANCHE
IHRIM-Lyon 3
Son œuvre tout entier est d’une décontraction de bon aloi, son propre portrait le laisse percevoir.1
Les Fables de La Fontaine, les grands romans du siècle, le théâtre de Racine, mais aussi Virgile, sont autant de textes illustrés par François Chauveau (1613-1676), qui marque de son empreinte le livre à figures du XVIIe siècle en tant que dessinateur et graveur. Son œuvre fut appréciée, comme en atteste son admission aux côtés de quelques autres graveurs à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture en 1663, qui constitue une marque importante de reconnaissance. Dans ses compositions l’artiste s’adapte aux formats des différentes éditions et aux genres littéraires, se montrant capable pour Les Fables