Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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de l'habileté à rétablir les affaires d'un mari incapable. Quant à mademoiselle de Fiennes, elle suivait l'exemple de sa mère, que ses intrigues amoureuses avaient fait chasser de la cour d'Anne d'Autriche306. Une union parfaite régnait entre la mère et la fille, alors courtisée par le cavalier le plus accompli de la cour, le beau jeune duc de Longueville, autrefois comte de Saint-Paul. Par la suite, mademoiselle de Fiennes fut rayée du nombre des filles d'honneur de la reine, pour s'être laissé enlever par le chevalier de Lorraine, dont elle eut un fils, qui fut élevé sous son nom307. Sa mère était loin de s'opposer à cette union. Madame de Fiennes exerçait une grande influence sur MONSIEUR, dont le chevalier de Lorraine était le favori. Spirituelle, caustique, arrogante, ambitieuse et avare, elle était liée avec madame de Sévigné, et assez souvent invitée par elle à ses dîners308.

      Dans madame de Fiennes, madame de Sévigné ménageait une de ses anciennes amies du temps de la Fronde; et on comprend le plaisir qu'avait Sévigné de se trouver avec mademoiselle de Fiennes, si jolie, si aimable et d'une humeur si facile.

      Il en était de même de madame de Salins, qui, comme belle-sœur de la comtesse de Brancas, devait aussi faire partie de la société de madame de Sévigné. Madame de Brancas avait été une des femmes les plus compromises par les papiers de Fouquet309; mais elle rentra en grâce auprès du roi, qui la voyait avec plaisir, et elle eut du crédit à la cour. L'on crut (et Louis XIV ne donnait que trop souvent prise à de tels soupçons) que la beauté de mademoiselle de Brancas, qui fut mariée au prince d'Harcourt, avait été la cause de ce retour de faveur310. Madame de Salins n'était pas plus scrupuleuse que madame de Brancas sur la fidélité conjugale; mais elle avait un mari moins distrait et moins facile à tromper. Cependant l'indiscrétion ou la maladresse d'un portier révéla le secret de ses amours, six semaines après que Sévigné l'eut rencontrée chez mademoiselle Raymond311.

      C'est avec intention que Sévigné, dans cette liste des femmes que les jeunes gens du grand monde faisaient gloire de fréquenter, nomme en première ligne mademoiselle de Lenclos et madame de la Sablière. C'était en effet alors les deux femmes les plus célèbres de Paris, par les agréments de la société choisie qu'elles réunissaient chez elles. Comme à l'hôtel de Rambouillet, la poésie, les beaux-arts, les entretiens galants défrayaient en grande partie les plaisirs qu'on y goûtait. Cependant les progrès du cartésianisme, les discussions que la secte des jansénistes avait excitées, les nouvelles découvertes en physique, la création d'une académie des sciences introduisaient alors dans la société française le goût des connaissances positives. Les femmes les plus douées de capacité avaient suivi ce mouvement des esprits. Leur instinct de domination, le désir de plaire et de se faire admirer par l'autre sexe entraient sans doute pour beaucoup dans les efforts qu'elles faisaient pour s'arracher à la frivolité de leurs penchants. En leur présence, on se livrait moins à l'analyse subtile des mouvements du cœur, mais on les exprimait. On cherchait à plaire aux femmes non-seulement en les amusant, mais en les instruisant; on ne craignait pas de se livrer avec elles à des entretiens sérieux sur la nature, la religion, la philosophie.

      Madame de la Sablière, riche, jeune et belle, se rendit surtout célèbre par ses étonnants progrès dans ces études ardues. Sauveur et Roberval lui avaient montré les mathématiques; pour elle Bernier avait composé l'abrégé des ouvrages de Gassendi. Elle donna asile à ce philosophe, ainsi qu'à la Fontaine et à d'Herbelot l'orientaliste. Mais l'amitié ne put seule satisfaire son cœur; elle éprouva toute la puissance de l'amour. La philosophie, qui, selon la nature des esprits, éteint ou fait briller à nos yeux les lumières de la religion, la rendit tout entière à celle-ci, et l'arracha à un monde dont elle faisait les délices312.

      Il n'en fut pas de même de mademoiselle de Lenclos, qui garda jusqu'à la fin son épicurisme effronté, et resta fidèle au principe de sa philosophie toute profane. Celle qui disait «qu'elle rendait grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et le priait tous les matins de la préserver des sottises de son cœur,» ne pouvait trouver dans le pur sentiment d'amour un remède contre les aberrations des sens313. Jamais aussi elle ne se laissa dominer par eux dans le choix de ses relations, et elle fut toujours entourée d'un nombreux cortége d'amis. Quoique ne possédant qu'une fortune médiocre, mademoiselle de Lenclos réunissait dans sa maison de la rue des Tournelles314 (tout près de la rue où madame de Sévigné venait de se fixer) la société la plus nombreuse, la mieux choisie, la plus renommée par la politesse, les grâces, la réputation de savoir et d'esprit de ceux qui la composaient. On voit que mademoiselle de Lenclos avait quitté le faubourg Saint-Germain pour revenir au Marais, premier théâtre de ses succès315; et c'est là qu'elle devait finir ses jours. La Fare, que Chaulieu proclame «l'homme le plus aimable que les siècles aient pu former316;» la Fare, adonné au jeu, et que les cercles de madame de la Sablière devaient rendre difficile, déclarait que la maison de mademoiselle de Lenclos était la seule où il pouvait passer une journée entière sans jeu et sans ennui317; et Charleval, ce poëte aimable, pressé par les instances d'un ami, refusait d'aller jouir avec lui des plaisirs de la campagne, parce qu'il lui aurait fallu interrompre l'habitude qu'il avait prise de se rendre chaque jour, rue des Tournelles, chez mademoiselle de Lenclos; il disait:

      Je ne suis plus oiseau des champs,

      Mais de ces oiseaux des Tournelles

      Qui parlent d'amour en tout temps

      Et qui plaignent les tourterelles

      De ne se baiser qu'au printemps.

      Mademoiselle de Lenclos avait conservé et perfectionné son merveilleux talent à jouer du luth. Comme dans sa première jeunesse, ce talent seul la faisait rechercher des personnes du plus haut rang318; mais elle ne cédait que bien rarement aux invitations, et ne trouvait une entière satisfaction que chez elle, lorsqu'elle était entourée de cette société choisie dont elle faisait le bonheur. Selon elle, la joie de l'esprit en marque la force319; et sa gaieté était si vive et si entraînante qu'à table, où elle ne buvait que de l'eau, on disait d'elle qu'elle était ivre dès la soupe320. Cependant, ainsi que madame de la Sablière, mademoiselle de Lenclos recevait des savants, des érudits, et chez elle les entretiens sérieux et instructifs avaient leurs heures; elle les aimait, elle se plaisait à varier la conversation et à passer des sujets les plus superficiels aux plus profonds. C'est ce qui fit dire à Saint-Évremond, son ami de tous les temps:

      L'indulgente et sage nature

      A formé l'âme de Ninon

      De la volupté d'Épicure

      Et de la vertu de Caton321.

      Elle s'était fait une telle réputation de probité, de fidélité en amitié, et en avait donné de telles preuves qu'elle avait conservé tous ses amis du temps de la Fronde et de la guerre civile. Gourville, qui avait été son amant, obligé de s'exiler après qu'elle l'eut remplacé par un autre, osa lui confier une somme considérable et égale à toute la fortune qu'elle possédait: lorsque Gourville rentra en France, mademoiselle de Lenclos lui rendit la somme entière; et le secret de ce dépôt n'eût été connu de qui que ce soit si Gourville ne s'était plu à le divulguer dès qu'il n'eut plus rien à redouter des recherches de Colbert322. Ainsi madame Scarron323, madame de Choisy, madame de la Fayette, beaucoup d'autres personnes de la cour et des intimes connaissances de madame de


<p>306</p>

MOTTEVILLE, Mémoires, t. XLI, p. 252; t. XLII, p. 328.—MONGLAT, Mémoires, t. XLI, p. 157.—SÉVIGNÉ, Lettres (25 novembre 1655), t. I, p. 56, édit. G.—Mémoires et fragments historiques de MADAME, édit. de Busoni, 1834.

<p>307</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (30 mars et 1er avril 1672), t. II, p. 442 et 447, édit. G.

<p>308</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (30 décembre 1672, 26 juin 1676, 6 décembre 1679), t. III, p. 138; t. IV, p. 503; t. VI, p. 238.

<p>309</p>

MOTTEVILLE, Mémoires, t. XL, p. 209 et 210.—Recueil manuscrit de Chansons historiques (Bibliot. royale), t. III, p. 195-217 (année 1668).

<p>310</p>

Les fausses Prudes, ou les amours de madame de Brancas; 1680, in-12, p. 339 et 347 à 350.

<p>311</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (24 avril 1671). Elle était la femme de Garnier de Salins, trésorier des parties casuelles et beau-frère du comte de Brancas, qui avait épousé sa sœur.

<p>312</p>

Conférez, sur madame de la Sablière Poésies diverses d'Antoine Rambouillet DE LA SABLIÈRE et de François DE MAUCROIX, 1825, in-8o, p. VII-XXVI.—Histoire de la vie et des ouvrages de LA FONTAINE, 1820, in-8o, p. 428, et 1824, 3e édit., p. 220, 290, 338, 349, 380, 382, 389, 413, 458 et 557.—Biographie universelle, t. XXXIX, p. 442.

<p>313</p>

SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, 1753, in-12, t. IV, p. 161. (Discours sur l'amitié, adressé à la duchesse de Mazarin.)

<p>314</p>

DOUXMÉNIL, Mémoires et lettres pour servir à l'histoire de mademoiselle de Lenclos, 1751, p. 26 et 28. Cette maison était située derrière la place. Douxménil en a donné la description.

<p>315</p>

Voyez la 1re partie de ces Mémoires, p. 261.

<p>316</p>

CHAULIEU, Œuvres, t. II, p. 46, dans la note.

<p>317</p>

DOUXMÉNIL, Mémoires et lettres pour servir à l'histoire de mademoiselle de Lenclos, p. 141 et 142.

<p>318</p>

Madame DE MAINTENON, Lettres (18 juillet 1666), t. I, p. 45.

<p>319</p>

SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, t. II, p. 72.

<p>320</p>

DOUXMÉNIL, Mémoires et lettres, etc.; 1751, in-12, p. 30.—BRET, Mémoires sur la vie de mademoiselle de Lenclos, p. 112.

<p>321</p>

SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, t. II, p. 87 et 116.—DOUXMÉNIL, Mémoires et lettres, p. 172.

<p>322</p>

VOLTAIRE, Mélanges, t. XLIII, p. 467, édit. de Renouard. (Sur Ninon de Lenclos.)

<p>323</p>

Madame DE MAINTENON, Lettres (8 mars et 18 juillet 1666), p. 33 et 45, édit. de Sautereau de Marsy, 1806, in-12.