Cette fable de Psyché, la plus ingénieuse de toutes celles que l'antiquité nous a transmises, avait surtout été mise en vogue par le roman de la Fontaine. On admirait moins alors la prose élégante et facile de ce roman que les vers trop dédaignés depuis qu'il y a insérés pour décrire les prestiges de Versailles, et qui lui valurent l'honneur de présenter au roi sa nouvelle production234. Cette œuvre singulière, originale par la conception et l'exécution, contenait sur la littérature des dialogues pleins de goût et de sagacité: digressions qui tenaient d'ailleurs aussi peu au sujet principal du roman que les descriptions en vers des jardins de Versailles, où toute la cour se transportait souvent235. Mais ce qui, dans cette même année 1671, recommandait, plus encore que les représentations de Psyché, le nom de la Fontaine à la jeune génération et à celle qui l'avait précédée, c'est qu'il venait de publier deux recueils, tous deux avec privilége du roi, que les plus obséquieux courtisans comme les dames les mieux famées ne se faisaient pas scrupule de lire et de louer. L'un était un recueil de fables nouvelles, avec des poésies amoureuses et autres en faveur de Fouquet et des personnes qu'il recevait à Vaux236. Ce volume contenait aussi la description de Vaux, plus gracieuse, plus poétique encore que celle de Versailles. L'autre recueil était une troisième partie de contes au moins égaux, peut-être supérieurs en agréments poétiques aux deux premières, qui avaient valu tant de célébrité à l'auteur. Madame de Sévigné envoya ces volumes à sa fille237; elle-même les lut avec délices. Ce n'étaient pas les seules productions où les poëtes et les beaux esprits se jouaient de ce qu'une certaine portion de la société de ce temps considérait comme trop respectable pour être en butte à de telles licences: alors que Boileau donnait tant de louanges au roi, il prenait pour sujet d'un poëme qui est l'œuvre la plus achevée de sa muse la satire des chanoines de la Sainte-Chapelle de Paris; et, par les lectures qu'il en faisait alors chez M. de Lamoignon, ses vers, retenus dans la mémoire de ceux qui y avaient assisté, étaient connus avant d'être publiés238.
Cependant, cette même année 1671, l'ouverture d'un jubilé eut lieu dans la cathédrale de Paris le 23 mars, et, le 28 du même mois, le roi communia publiquement à l'église des Récollets, où il fit une station. Là, ayant à ses côtés le Dauphin et Bossuet, il toucha plus de douze cents malades qui se présentèrent avec l'espoir d'être guéris des humeurs froides par l'influence surnaturelle du descendant de saint Louis239.
La préférence donnée en cette occasion par Louis XIV à l'église du couvent des Récollets, une des moindres de Paris, pour un acte aussi solennel, était due à ce que ces religieux étaient en possession de lui fournir de zélés aumôniers pour ses armées240.
La littérature est toujours le reflet de l'époque qui la produit; et si nous rappelons ces faits, c'est qu'ils nous font parfaitement connaître les contrastes qu'offrait alors cette société française, joviale et sérieuse, licencieuse et dévote, qui appréciait vivement la beauté des chefs-d'œuvre des auteurs récents, sans avoir renoncé entièrement à ses anciennes admirations pour ceux qui les avaient précédés. C'est ce que démontre le succès qu'eut alors un Recueil de poésies chrétiennes et diverses241, en trois volumes, recueil formé par Loménie de Brienne et quelques-uns des solitaires de Port-Royal, qui eurent la singulière idée, pour en hâter le débit, de le publier sous le nom célèbre et populaire de l'auteur des Contes et des Fables. Il est vrai que, pour que le titre de ce recueil ne fût pas tout à fait une fable, on fit composer par le complaisant la Fontaine une nouvelle paraphrase en vers du psaume XVII, Diligam te, Domine242, et l'épître dédicatoire au prince de Conti. Ce recueil renfermait un choix des poésies de tous les auteurs depuis Henri IV jusqu'aux plus récents, et semblait surtout calculé pour remettre en honneur les poëtes qui avaient fréquenté l'hôtel de Rambouillet, ou acquis, durant la fin du règne de Louis XIII et la minorité de Louis XIV, une grande célébrité.
Ce n'était pas une des moindres singularités de ce recueil, d'y trouver, au nombre des meilleures pièces, une Ode à la Sagesse243, par M. de Pomponne, nouvellement nommé ministre, et composée de strophes harmonieuses sur l'ambition et la capricieuse instabilité de la fortune. On lisait dans ces volumes des vers sur des sujets saints, par mademoiselle de Scudéry et la Fontaine; puis après des vers sur des sujets profanes, par le jeune Fléchier; enfin d'admirables morceaux de Boileau, de Racine et de Corneille, placés entre ceux de Cassagne et de l'abbé Cotin. C'est que le goût du public était encore partagé et vacillant; c'est que la recherche dans les pensées, la fausse délicatesse dans le langage, les subtilités du cœur, l'affectation du savoir prévalaient dans les cercles et dans les réunions qui s'étaient formées à l'imitation de celle de l'hôtel de Rambouillet, et que la lutte engagée entre les auteurs, dans le commencement de ce règne, était toujours fort animée. Dans les recueils de vers qu'on publiait en Hollande, on avait soin, pour plaire aux diverses sortes de lecteurs, de mêler avec les satires de Boileau des satires composées contre lui et contre Molière244.
C'est parce qu'il était fortement choqué de ce défaut de discernement en matière littéraire que Boileau avait composé son Art poétique, de tous ses ouvrages celui qui a le plus contribué à sa gloire et à celle de la littérature française. Il en faisait à cette époque des lectures chez M. de Lamoignon, le duc de la Rochefoucauld, le cardinal de Retz245. Il gravait ainsi dans la mémoire de ses auditeurs, avant qu'elles fussent publiées, les règles du goût et de l'art d'écrire; et comme il corrigeait beaucoup ses vers, c'est de lui surtout qu'on a pu dire, lorsqu'il vivait: «On récite déjà les vers qu'il fait encore.»
Presque toutes les satires composées contre Boileau et contre Molière, quoique paraissant sous le voile de l'anonyme, étaient attribuées à l'abbé Cotin246, conseiller et aumônier du roi. Cotin était admis dans la société intime des duchesses de Rohan, de Nemours, de Longueville, des ducs de Montausier et de St-Agnan. MADEMOISELLE l'honorait du nom de son ancien, et elle avait amusé Louis XIV par la lecture de quelques-unes de ses énigmes en sonnet. Il avait publié un grand nombre d'ouvrages en vers247 et en prose, dont plusieurs étaient à la louange du roi248; pendant seize ans il avait, avec quelque succès,