Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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Julie d'Angennes, s'opposait à ce qu'elles allassent demeurer chez leur belle-mère, craignant que celle-ci ne se prévalût de l'innocence de leur jeune âge, et ne leur inspirât prématurément de l'inclination pour la vie religieuse: cependant il finit par céder aux instances de madame de Grignan, et s'aperçut bientôt qu'il ne s'était pas trompé dans ses prévisions168. Louise-Catherine-Adhémar, l'aînée des deux filles de M. de Grignan et de Claire d'Angennes, excitée par sa belle-mère, ses oncles et toute sa famille, dans son penchant à la dévotion, voulut entrer aux Carmélites; mais la délicatesse de sa santé ne lui permit pas de soutenir les austérités de l'ordre: elle ne put achever son noviciat; elle se retira comme pensionnaire dans un couvent, et y vécut avec autant de régularité et de piété que la religieuse cloîtrée la plus attachée à ses devoirs. Sur le bien de sa mère, il lui revenait quarante mille écus; elle en fit don à son père; et madame de Grignan ne déguise pas qu'elle se servit de l'influence qu'elle avait acquise sur cette jeune fille, pour la déterminer à prendre cette résolution. Bussy profite de cette occasion pour lancer un sarcasme piquant, mais juste169, contre madame de Grignan; et madame de Sévigné, au contraire, chez qui la tendresse pour sa fille, et sa continuelle préoccupation pour tout ce qui concernait ses intérêts et sa grandeur, étouffaient tout autre sentiment, la félicite d'avoir «fait merveille», et exprime, par les termes les plus énergiques, son admiration pour Catherine-Adhémar, qu'elle appelle une fille céleste, par opposition à sa sœur cadette, qui est pour elle la fille terrestre170. En effet, celle-ci, Françoise-Julie, qu'on nommait ordinairement mademoiselle d'Alérac171, quoique soumise à la même éducation et aux mêmes influences que sa sœur, eut des goûts très-différents: elle aimait le monde, et elle se plaisait beaucoup dans la société de madame de Sévigné, qui la trouvait aimable172. Jolie et faite pour plaire173, elle fut recherchée en mariage par le chevalier de Polignac et M. de Belesbat. Ces deux mariages se rompirent, non par le fait de madame de Grignan. Pourtant le défaut d'accord entre la belle-mère et la belle-fille fut tel, que celle-ci abandonna brusquement la maison paternelle, et se retira chez son oncle par alliance, le duc de Montausier, et ensuite au couvent des Feuillantines174. Elle se maria enfin avec le marquis de Vibraye, sans la participation et aussi sans l'opposition de sa famille175.

      Des trois sœurs qu'avait le comte de Grignan, une seule doit nous occuper, puisque celle qui se fit religieuse à Aubenas176, et celle qui se maria au marquis de Saint-Andiol (en 1661)177, ne sont mentionnées que deux ou trois fois dans la correspondance de madame de Sévigné. Il n'en est pas de même de Thérèse-Adhémar de Monteil; celle-ci épousa le comte de Rochebonne178, qui commanda longtemps à Lyon pour le roi. La comtesse de Rochebonne ressemblait beaucoup à son frère, le comte de Grignan: c'est dire assez qu'elle n'était pas belle; aussi est-ce par antiphrase et en plaisantant que madame de Sévigné la qualifie de jolie femme179. Sa laideur, et la surdité dont elle était affligée, étaient rachetées par le plus heureux caractère. Elle s'était liée d'amitié avec madame de Grignan, et l'affection que celle-ci avait pour elle s'étendait jusqu'à ses enfants. Elle en avait un grand nombre; presque tous étaient remarquables par leur esprit précoce, leurs jolies figures, la fraîcheur de leur teint et leurs grâces enfantines180.

      Un des parents du comte de Grignan, que madame de Sévigné aimait le mieux, était le chevalier comte de la Garde, qui avait été gouverneur de la ville de Furnes et lieutenant des gardes du corps de la reine mère181. Sa baronnie de la Garde était voisine du comté de Grignan, et il allait fréquemment au château. Lorsqu'il échoua dans le projet de mariage qu'il avait conçu, on était presque certain qu'il resterait célibataire182; et comme la forte pension dont il jouissait le rendait riche, on croyait qu'il avantagerait le comte de Grignan. Dans cet espoir, madame de Sévigné avait pour lui de grands égards; il fut la seule personne à laquelle elle permit de faire copier le portrait de sa fille, peint par Mignard183: elle avait refusé rabutinement, comme elle le dit, cette faveur à ses plus intimes amis, au bel abbé, l'évêque de Carcassonne, à l'abbesse de Fontevrault, sœur de madame de Montespan, enfin même à MADEMOISELLE184. Le chevalier de la Garde ne put rien faire pour son cousin, le comte de Grignan; la riche pension de 18,000 livres dont il jouissait (36,000 fr.) fut supprimée, et il fut presque entièrement ruiné185.

      A toutes ces personnes que le mariage de mademoiselle de Sévigné avec le comte de Grignan avait placées dans des rapports de famille et d'intimité tant avec elle qu'avec madame de Sévigné, il faut joindre la marquise du Puy du Fou, mère de la seconde femme du comte de Grignan186. Elle avait peu d'esprit, mais sa bonté la faisait chérir. Comme elle demeurait à Paris, madame de Sévigné la voyait souvent, et même la recherchait, à cause de l'attachement qu'elle avait conservé pour celui qui avait été son gendre, et de l'amitié qu'elle avait pour madame de Grignan. Madame de Sévigné passait des heures entières avec madame du Puy du Fou, et lui confiait sa petite-fille Marie-Blanche, et madame du Puy du Fou en avait soin comme de son propre enfant187.

      Les Simiane étaient aussi cousins des Grignan188; et, parmi les nouvelles connaissances que son séjour en Provence procura à madame de Grignan, on remarque la marquise de Simiane, dont le fils épousa celle à qui nous devons la publication des Lettres. Madame de Sévigné avait eu occasion de rencontrer dans le monde madame de Simiane, et elle félicite sa fille d'avoir en elle une compagnie agréable189. Elle fait l'éloge de son amabilité, mais elle ne lui reconnaît pas une excellente tête; elle la blâme de vouloir se séparer de son mari, à cause des fréquentes infidélités qu'il lui faisait, ajoutant assez lestement: «Quelle folie! Je lui aurais conseillé de faire quitte à quitte avec lui190

      La maison de madame de Grignan se composait d'un nombreux personnel, conforme au rang qu'elle tenait en Provence; et ceux qui en faisaient partie paraissent avoir été bien choisis pour la soulager dans les devoirs qu'elle avait à remplir, et la distraire de ce qu'ils pouvaient avoir de pénible. Deux femmes de chambre étaient attachées à son service; et l'une d'elles, nommée Deville, fille de son maître d'hôtel191, en savait assez pour l'aider, et, au besoin, pour la suppléer dans ses correspondances. Une demoiselle de Montgobert, pieuse mais enjouée, d'un esprit original, plaisait beaucoup à madame de Sévigné192; elle était demoiselle de compagnie; et Ripert193, l'intendant des Grignan, était un homme d'esprit et d'une société agréable: il avait sa chambre au château de Grignan, à côté de celle des deux pages194.

      Madame de Sévigné instruisait avec grand soin madame de Grignan des variations de la mode. Elle savait que sa fille, par sa beauté et par son rang, avait en Provence le privilége d'être le patron sur lequel les femmes se réglaient195; et c'est à la cour de Louis XIV qu'alors la mode avait, pour toute l'Europe, établi le siége de son empire. Les lettres de madame de Sévigné fourniraient d'exacts et nombreux détails à celui qui voudrait nous retracer les lois absolues et les bizarres volontés de cette capricieuse reine du monde élégant.


<p>168</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 août 1677), t. V, p. 172, et la note 1, édit. M.—(25 janvier 1687), t. VII, p. 411, édit. M.

<p>169</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 janvier 1687), t. VII, p. 414, édit. M.

<p>170</p>

Ibid. (18 août, 11, 18 et 25 septembre 1680), t. VI, p. 420, 455, 458, 459, 465, 473, édit. M.—Ibid. (2 et 16 octobre 1680, 1er octobre et 24 décembre 1684, 8 mai et 25 octobre 1686), t. VII, p. 10, 24, 93, 176, 382, 398 et 400, édit. M.

<p>171</p>

Conférez la 3e partie de ces Mémoires, p. 136.

<p>172</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (20 septembre 1684), t. VII, p. 165, édit. M.

<p>173</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 décembre 1684), t. VII, p. 213, édit. M.

<p>174</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er mars, 20 et 24 septembre, 13 décembre 1684, 15 août 1685, 1er mai 1686), t. VII, p. 141, 165, 168, 176, 212, 335, 382, édit. M.—Ibid. (27 septembre 1687, 9 mars et 30 avril 1689), t. VIII, p. 17, 373, et la note.

<p>175</p>

Elle fut mariée le 7 mai 1689. Conférez le Journal mss. de Dangeau à cette date, cité par M. Monmerqué dans SÉVIGNÉ, Lettres (30 avril 1689), t. VIII, p. 455, édit. M.

<p>176</p>

Conférez la 3e partie de ces Mémoires, t. III, p. 136.—SÉVIGNÉ, Lettres (6 octobre 1673), t. III, p. 106, édit. M.—(15 juin 1680), t. VI, p. 323, édit. M.

<p>177</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 juillet 1685), t. VIII, p. 73, édit. G.

<p>178</p>

Il était de plus chanoine, comte et chamarier de l'église Saint-Jean de Lyon. Conférez la 3e partie de ces Mémoires, 2e édit., chap. VIII, p. 138, note 4.

<p>179</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (27 juillet 1672), t. III, p. 41, édit. M.—(19 juillet, 16 et 19 août, 27 septembre, 4 octobre 1671.)

<p>180</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (10 octobre 1673, 6 novembre 1675, 28 août 1676, 23 juin 1677, 15 et 20 mai 1689), t. II, p. 190, 196, 242, 249; t. III, p. 107; t. IV, p. 75 et 146; t. V, p. 113; t. VIII, p. 470; t. IX, p. 42, édit. G.

<p>181</p>

Conférez la 3e partie de ces Mémoires, 2e édit., p. 129, note 3.

<p>182</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (17 mai, 24 juin, 8 juillet 1676), t. IV, p. 299, 308, 378, édit. M.—Ibid. (4 décembre 1689), t. IX, p. 238, édit. M.

<p>183</p>

Ce portrait, ou plutôt une copie de ce portrait, est dans le Musée de Versailles; mais celui qui est à côté, entouré de même d'une guirlande de fleurs, n'est pas le portrait de la marquise de Sévigné (Marie de Rabutin-Chantal), quoique indiqué comme tel dans les catalogues. Voyez la note à la fin de notre 2e partie.

<p>184</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (19 août, 9 septembre 1675), t. IV, p. 35, 89, édit. G.; t. III, p. 460, édit. M.—Ibid. (16 juillet et 15 août 1677), t. V, p. 286, 287, 349, édit. G.—Ibid., t. V, p. 133 et 188, édit. M.

<p>185</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (25 et 28 décembre 1689), t. IX, p. 267, 274.—(8 janvier 1690), t. IX, p. 297, édit. M.

<p>186</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, t. III, p. 128, note 5, et p. 140.

<p>187</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 mars, 8 et 13 mai 1671), t. I, p. 373; t. II, p. 63 et 72, édit. G.—Ibid. (14 mars 1696), t. XI, p. 284, édit. G.

<p>188</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, 2e édit., p. 130, note 4, p. 129, note 2.

<p>189</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (28 juin 1671), t. II, p. 115, édit. G.; t. II, p. 96, édit. M.

<p>190</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 mai, 12 août 1676), t. IV, p. 430; t. V, p. 70, édit. G.; t. IV, p. 289 et 419, édit. M.—(18 novembre 1695), t. IX, p. 237.

<p>191</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 mai, 21 juin 1671), t. II, p. 62, édit. G., et p. 15 de la lettre du 21 juin, rétablie, 1826, in-8o.—Ibid. (5 juin et 8 juillet 1671), t. II, p. 126, 131, édit. G. L'autre femme de chambre se nommait Cateau. M. de Grignan, en la mariant, en fit une nourrice.

<p>192</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars, 4 avril 1671), t. I, p. 382; t. II, p. 5, édit. G.—(6 octobre 1675), t. IV, p. 20, édit. M.; t. IV, p. 31, édit. G.—(23 février 1676), t. IV, p. 348, édit. G.—(14 juin 1677), t. V, p. 91, édit. M.—(11 octobre 1679), t. V, p. 459, édit. M.—(14 février 1680), t. VI, p. 160.—(10 juillet 1680), t. VI, p. 370.—(17 juillet 1680), t. VI, p. 376.—(18 août 1680), t. VI, p. 422.—(8 septembre 1680), t. VI, p. 450.—(30 octobre 1680), t. VII, p. 20, 23, 33.

<p>193</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, p. 326 et 465, et SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars 1671, 26 juillet 1675), t. I, p. 38 et 39 de l'édit. de la Haye, p. 379 et 380, édit. G.

<p>194</p>

Inventaire des papiers Simiane, Mss. de la Bibliothèque royale. Inventaire des meubles de la maison de Grignan, dressé le 27 novembre 1672.—La chambre de M. d'Uzès était près de celle de mademoiselle de Montgoubert (sic).

<p>195</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (21 juin 1671), p. 10 et 11 de la lettre rétablie, 1826, in-8o.