Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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jamais été donnée.

      La terre de Sévigné97 avait été démembrée, ou avait depuis longtemps cessé d'être la principale possession de la famille de ce nom98. Cette famille possédait la seigneurie des Rochers depuis le milieu du XVe siècle, par le mariage d'Anne de Mathefelon, fille et héritière de Guillaume de Mathefelon, seigneur des Rochers, avec Guillaume de Sévigné. Mais il restait à la famille de Sévigné de ses anciennes possessions une terre de Sévigné près de Rennes, dans la commune de Gevezé, consistant en deux métairies, en moulins et quelques fiefs, dont la valeur totale est estimée par le fils de madame de Sévigné à 18,000 livres (36,000 fr.), tandis qu'il porte le prix de la terre des Rochers à 120,000 liv. (240,000 fr.)99. Parmi les fiefs restés à la famille de Sévigné, était, dans la ville de Vitré, une maison avec cour et jardin, qu'on appelait la Tour de Sévigné. Cette maison était un fief qui relevait du duc de la Trémouille, baron de Vitré100. Par acte passé le 2 septembre 1671 (trois jours avant la fin des états), madame de Sévigné fit une rente de cent francs aux bénédictins de Vitré, et hypothéqua cette rente ou pension sur la Tour de Sévigné101.

      Ce don fut sans doute fait en reconnaissance des réparations exécutées aux frais de la province à la grosse tour qui donnait son nom à la maison de Vitré. Voilà pourquoi elle dit, «J'ai fait un pensionnaire,» et qu'en même temps elle avance qu'elle n'a rien demandé, parce que la demande qu'elle avait formée ne pouvait souffrir aucune difficulté, puisque cette grosse tour était engagée dans les fortifications de la ville, et en faisait partie. M. le duc de Chaulnes, qui voulait faire venir à Vitré madame de Sévigné, prit ce prétexte pour la forcer à quitter son château des Rochers: il fit la plaisanterie de l'envoyer chercher par ses gardes, en lui écrivant qu'elle était nécessaire à Vitré pour le service du roi, attendu qu'il fallait qu'elle donnât des explications sur la demande qu'elle faisait aux états; et qu'en conséquence madame de Chaulnes l'attendait à souper102.

      C'est dans cet hôtel de la Tour de Sévigné que demeurait la brillante marquise lorsqu'elle restait à Vitré. Cette année, elle en laissa la jouissance à son fils, qui y donnait à souper à ses amis103. C'est aussi dans cette maison qu'allèrent loger, lorsqu'ils arrivèrent à Vitré pour la tenue des états, de Chesières, l'oncle de madame de Sévigné, son parent d'Harouïs, et un député nommé de Fourche104. Lorsqu'elle y restait, elle était accablée de visites. «Hier, dit-elle, je reçus toute la Bretagne à ma Tour de Sévigné105.» Mais lorsque les états furent terminés, que le duc de Chaulnes fut parti, elle n'alla plus à Vitré. Son fils l'avait quittée depuis longtemps, et bien avant la fin des états, où son âge ne lui permettait pas d'être admis. Quoique l'été fût constamment froid et pluvieux106, madame de Sévigné resta aux Rochers, pour que l'abbé de Coulanges pût surveiller les travaux de la chapelle107, et pour avoir le temps de terminer les embellissements de son parc108. Elle avait envie d'aller visiter une autre terre qu'elle possédait en Bretagne, près de Nantes, nommée le Buron; mais, dit-elle, «notre abbé ne peut quitter sa chapelle; le désert du Buron et l'ennui de Nantes ne conviennent guère à son humeur agissante109.» Madame de Sévigné se soumet, et ne va pas au Buron.

      Cette terre, à quatre lieues de Nantes, avait un château ancien, mais bien bâti110. Le marquis de Sévigné en fit abattre les arbres séculaires qui en faisaient tout l'agrément111, et ce beau domaine fut ensuite dégradé et ruiné par un administrateur infidèle ou inintelligent, et par un fermier de mauvaise foi112.

      Il n'en fut pas ainsi des Rochers, que madame de Sévigné ne cessa jamais d'accroître et d'embellir, et qu'elle vint si souvent habiter113. La construction de la chapelle, de forme octogone, surmontée d'une coupole, située au bout du château et isolée, fut achevée en cette année 1671; mais ce ne fut qu'après quatre ans que l'intérieur fut entièrement en état, et qu'on put enfin y célébrer la messe, pour la première fois, le 15 décembre 1675. A cette époque si froide de l'année, madame de Sévigné se promenait avec plaisir dans ses bois, plus verts que ceux de Livry, et augmentés de six allées charmantes, que madame de Grignan ne connaissait point114. Depuis, ce nombre d'allées fut presque doublé115.

      Madame de Sévigné avait multiplié dans son parc les inscriptions morales, religieuses et autres, presque toujours tirées de l'italien. Sur deux arbres voisins elle avait inscrit deux maximes contraires: sur l'un, La lontananza ogni gran piaga salda (L'absence guérit les plus fortes blessures); sur l'autre, Piaga d'amor non si sana mai (Blessure d'amour jamais ne se guérit). Une des plus heureuses inscriptions fut sans doute ce vers du Pastor fido, qu'elle avait fait graver au-dessus d'une petite fabrique placée au bout de l'allée de l'Infini, afin de se garantir de la pluie:

      Di nembi il cielo s'oscura indarno 116.

      Une autre allée, nommée la Solitaire, longue de douze cents pas, fut plantée plus tard, et madame de Sévigné s'en enorgueillit comme de la plus belle117. Elle avait fait construire dans différents endroits du parc un assez grand nombre de petites cabanes qu'elle appelle des brandebourgs118, pour lire, causer et écrire à son aise, à l'abri du soleil, du serein, et surtout de la pluie. Quant à son mail, dont elle parle si souvent, c'est pour elle une belle et grande galerie, au bout de laquelle on trouvait la place Madame, d'où, comme d'un grand belvéder, la campagne s'étendait à trois lieues, vers une forêt de M. de la Trémouille (la forêt du Pertre). Elle n'est pas moins engouée de son labyrinthe, que son fils aimait par-dessus tout, et où nous apprenons qu'il se retirait souvent avec sa mère pour lire ensemble l'Histoire des variations de l'Église protestante, de Bossuet119. Mais ce fut seulement vingt-sept ans après avoir été commencé, vers la fin de l'année 1695, que madame de Sévigné, alors à Grignan, apprit de son fils, qui était aux Rochers, que Pilois avait enfin terminé le labyrinthe. Ainsi, les Rochers furent pour madame de Sévigné, comme ses lettres, l'occupation de toute sa vie120.

      De son antique manoir, des constructions qu'elle avait ajoutées, des ombrages qu'elle avait formés, il ne reste plus rien que la chapelle121, où le Christ est toujours invoqué, et l'écho de la place de Coulanges, qui répète encore le nom de madame de Sévigné122.

      CHAPITRE II.

      1671

      Bohémienne qui ressemble à madame de Grignan.—Ce que madame de Sévigné fait pour elle.—Portrait de madame de Grignan en bohémienne.—Madame de Grignan accouche d'un fils.—Il est tenu sur les fonts de baptême par la Provence.—M. et madame de Grignan vont habiter le château de Grignan.—Description de ce château.—Des personnes, parents et amis de M. et de madame de Grignan, qui fréquentaient ce château.—De la comtesse d'Harcourt.—Seigneur Corbeau.—L'archevêque d'Arles.—L'évêque d'Uzès.—Le bel abbé.—Le chevalier Adhémar.—Le grand chevalier.—Claire d'Angennes, fille aînée de madame de Grignan, se retire


<p>97</p>

Dans la commune de Gevezé, près de Rennes.

<p>98</p>

Madame de Sévigné et sa correspondance; 1838, in-8o, p. 58.

<p>99</p>

Lettre inédite du marquis DE SÉVIGNÉ à la marquise de Grignan sa sœur, sur les affaires de leur maison, publiée par M. MONMERQUÉ, 1847, in-8o (24 pages), p. 21.

<p>100</p>

Madame DE SÉVIGNÉ et sa correspondance relative à Vitré et aux Rochers, par LOUIS DUBOIS, sous-préfet de Vitré, 1838. Paris, in-8o, p. 70.

<p>101</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 septembre 1671), t. II, p. 216, édit. G.; t. II, p. 181, édit. M.

<p>102</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (26 août 1671), t. II, p. 203, édit. G.; t. II, p. 169, édit. M.

<p>103</p>

Ibid. (10 juin 1671), t. II, p. 95, édit. G.; t. II, p. 79, édit. M.

<p>104</p>

Ibid. (5 août 1671), t. II, p. 172, édit. G.; t. II, p. 152, édit. M.

<p>105</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 juillet 1671), t. II, p. 125, édit. G.; t. II, p. 104, édit. M.

<p>106</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (24 juin 1671). (Cette lettre est datée du coin de son feu), t. II, p. 107, édit. G.

<p>107</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8, 12, 19, 22 et 22 bis juillet 1671), t. II, p. 131, 138, 146, 152, édit. G.; t. II, p. 109, 115, 126, édit. M.—Ibid. (4 novembre 1671), t. II, p. 281, édit. G.

<p>108</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8, 12, 19 et 22 juillet, et 4 novembre 1671), t. II, p. 131, 138, 146, 152, 281, édit. G.—Ibid., t. II, p. 109, 115, 126, édit. M.

<p>109</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (26 juillet 1671), t. II, p. 160, édit. G.

<p>110</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 février 1689), t. VIII, p. 321, édit. M.

<p>111</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 décembre 1679), t. II, p. 65, édit. M.—(27 mai et 19 juin 1680), t. II, p. 289 et 325.

<p>112</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 juillet, 18 et 23 novembre 1689), t. IX, p. 25, 216 et 224, édit. M. Lettre inédite du marquis DE SÉVIGNÉ (27 septembre 1696).

<p>113</p>

L'histoire de sa vie et ses lettres nous signalent sa présence aux Rochers en 1644, 1646, 1651, 1654, 1661, 1666, 1667, 1671, 1675, 1676, 1680, 1684, 1685, 1689, 1690; et probablement elle y alla encore dans plusieurs autres années, sur lesquelles nous n'avons aucun renseignement.

<p>114</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 décembre 1675), t. IV, p. 124, édit. M.; t. IV, p. 248, édit. G.—(20 octobre 1675), t. IV, p. 164, édit. G.; t. IV, p. 49, édit. M.

<p>115</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (31 mai 1680), p. 8, édit. G,; t. VI, p. 295, édit. M.

<p>116</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (31 juillet 1680), t. VII, p. 142, édit. G.; t. VI, p. 401, édit. M.

<p>117</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 septembre 1680), t. VII, p. 409, édit. G.; t. VI, p. 451, édit. M.

<p>118</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (29 sept. 1680), t. VII, p. 236, édit. G.; t. VII, p. 8, édit. M. Le nom était bien choisi pour exprimer le peu d'importance et la grossièreté de ces fabriques. Voici comme Furetière définit ce mot dans son Dictionnaire des Sciences et des Arts, 1696, p. 79, in-folio: «BRANDEBOURG, s. f., sorte de grosse casaque, dont on s'est servi en France dans ces dernières années. Elle a des manches bien plus longues que les bras, et va environ jusqu'à mi-jambe.» Richelet, dans son Dictionnaire (1680), fait de brandebourg un substantif masculin, et dit que c'est un vêtement qui tient de la casaque et du manteau, qu'on porte en hiver et dans le mauvais temps.

<p>119</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er juin 1689), t. IX, p. 318, édit. G.; t. VIII, p. 480, édit. M.—(17 juin 1685), t. VIII, p. 64, édit. G.; t. VII, p. 283, édit. M.—(25 mai 1689), t. IX, p. 313, édit. G.; t. VIII, p. 476, édit. M.

<p>120</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (20 septembre 1695), t. XI, p. 121, édit. G. Conférez la 2e partie de ces Mémoires, p. 127, t. X, p. 135, édit. M.—(20 mai 1667), t. I, p. 158, édit. G.; t. I, p. 113, édit. M.

<p>121</p>

LOUIS DUBOIS (sous-préfet de Vitré), Madame de Sévigné et sa correspondance relative à Vitré et aux Rochers; 1838, in-8o, p. 15, 40 et 55.

<p>122</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (26 octobre 1689), t. X, p. 58, édit. G.; t. IX, p. 183, édit. M.—LOUIS DUBOIS, Madame de Sévigné et sa correspondance, p. 55; aux pages 5 et 86 de son écrit, M. Louis Dubois dit avoir calculé que sur le nombre de 1,074 lettres que nous possédons de madame de Sévigné, 267 ont été écrites des Rochers.