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particulier par des événements fortuits, des réactions du récepteur ou des impositions externes s’exerçant sur le locuteur. La contribution suivante, « La parole empêchée en cancérologiecancer », opère le passage d’une approche analytique à une approche pragmatique : Yves Raoul, oncologue, se demande comment gérer l’empêchement de la parole dans une situation où, face à l’innommableinnommable, tout concourt pour instaurer le silence entre le médecin, le malademaladie et son entourage. Parmi les dispositifs permettant de débloquer la communication, il insiste sur les canaux non verbaux : le regard, les gestesgeste, le silence, l’écriture, le dessin… La littérature et les arts, qui se débattent avec la difficulté de dire et de communiquer, apparaissent comme des voies privilégiées pour sortir de l’impasse. Cette ouverture est au cœur de l’essai philosophique de Sabine Forero Mendoza qui oppose à la parole empêchée, symptôme d’un rapport de forces dévoyédévoiement et dissymétrique entre les interlocuteurs, la parole librement donnée sous forme de promessepromesse. Toutefois, cette parole entière reste déficientedéficience, tant qu’elle est emprisonnéeprison dans la langue codée et commune. Sans doute n’y a-t-il que l’art qui puisse briser le carcan, que le poète qui puisse libérer la parole : est-ce un hasard que cette libération se fasse sous le signe du bégaiementbégaiement ? Le bégaiement du poème de Ghérasim LucaLuca (Ghérasim) que Sabine Forero Mendoza donne en exemple contraste avec celui, minimaliste, du poème de Paul CelanCelan (Paul), cité par Hans Höller : jubilatoire, il renvoie à la valeur mythologiquemythologie du bégaiement qui est le signe d’une communication avec les dieux, dont parle Danièle James-Raoul.

      La parole est toujours singulière. Chacun s’empare à sa manière de la langue dans laquelle – à laquelle – il naît et en use, avec ses inflexions et ses tournures propres. Profondément marquée par la fonction expressive qui l’ancre dans la subjectivité, la parole assure toutefois un rôle médiateur : elle fait le lien entre le plus intérieur et le dehors, elle est révélatrice de la façon dont un individu tisse des relations intersubjectives et médiatise son rapport au réel par des signes et des symbolessymbole. Aussi est-elle tributaire de conditions psychologiquespsychologie, familiales, sociales et culturelles qui président à son exercice et en autorisent la circulation, et qui peuvent aussi la freiner ou l’interdireinterdiction. Mais la parole n’est pas un instrument qui serait mis à la disposition du sujet, extérieur à lui en ce sens. En réalité, elle le définit et le structure, de sorte qu’elle est directement affectée, dans son articulation, son rythme ou ses intonations, par les émotionémotions qui habitent celui-ci.

      Les contributions réunies dans la deuxième section du volume, « Le sujet et ses traumatismestraumatisme intimesintime », évoquent la manière dont les troublestrouble de la parole voilentvoiler – autant qu’ils révèlent – des traumatismes intimes. La violenceviolence faite aux femmes est un thème dominant dans les textes analysés, qu’ils soient fictionnels ou s’appuient sur des expériences vécues. L’ordre patriarcalpatriarcat soumet les corps et ferme les bouches. Il en va ainsi dans le roman polyphonique de Dacia MarainiMaraini (Dacia), analysé par Marie-Andrée Salanié-Beyries, La lunga vita di Marianna Ucrìa. La protagoniste est une noble sicilienne, muettemuet depuis l’enfance. La cause de sa mutité est dévoiléedévoiler par bribes, au fil du récit : à six ans, elle a été violée par un oncle maternel à qui elle a été ensuite mariée. Par un tel arrangement, le père est parvenu à préserver l’honneurhonneur familial, mais il a sacrifié sa fille. La nouvelle de Constantin ChatzopoulosChatzopoulos (Constantin), La Sœur, examinée par Renée-Paule Debaisieux, met en jeu la même loi paternelle et cruelle : une jeune fille ayant « fautéfaute » est punie de réclusion. Elle finit par se suicidersuicide. La narration, conduite par son jeune frère fait place à des réminiscences, chargées de substituer la puissance de l’imageimage et la force de l’émotionémotion aux défaillances du dire. Agnès Lhermitte, pour sa part, choisit d’évoquer deux romans de Carole MartinezMartinez (Carole), Le cœur cousu et Du domaine des Murmures, dont les héroïnes, Frasquita et Esclarmonde, tentent de se soustraire à l’assujettissement auquel les voue l’ordre féodal. Les femmes, les pauvres, les déshérités sont pareillement soumis à la tyrannie du seigneur et à l’oppression religieusereligion qui nouent les langues. Mais la parole féminine déniée use de stratégies pour faire ressurgir sa différence et transmuer la douleurdouleur. Elle recourt aux formes d’expression mystérieuses de la légende, de la prophétie et de la magie ; elle se fait entendre, détournée et sublimée, à travers des créations artistiques telles que la broderie ou le chant.chant C’est également la transfiguration artistique qui permet à Niki de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) de survivre au violviol incestueuxinceste dont elle a été victimevictime à l’âge de douze ans. Partant de l’ambivalence foncière d’une œuvre qui ne cesse d’osciller de la gaieté à la gravité, du ludisme à la violence, Magalie Latry montre le poids d’une « véritévérité insupportable » dont ni la famillefamille ni la sociétésociété n’acceptent l’aveu. En Égypte, la domination masculine trouve son correspondant direct dans un régime autoritaire qui écrase la société. C’est à partir d’un tel constat qu’Aziza Awad analyse deux textes écrits par des auteures féministesféminisme : La Rebelle, une nouvelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour, et Perquisition, un ouvrage autobiographiqueautobiographie de Latifa ZayyatZayyat (Latifa). Le premier texte raconte la tentative désespérée d’une femme pour échapper à l’enfermement, le second décrit la résistancerésistance d’une femme dont le silence obstiné est la seule arme.

      Avant que l’enfant ne maîtrise sa langue maternellelangue maternelle, il y a la musiquemusique et la jouissance du gazouillis et du babil. La prise de parole requiert la coupure avec la figure maternelle et, corrélativement, l’acceptation du rôle symboliquesymbole du père. Reprenant à son compte cette grille de lecture lacanienne, Geneviève Dubois, qui s’appuie aussi sur son expérience de phoniatre, analyse le bégaiementbégaiement de l’écrivain italien Erri de LucaDe Luca (Erri). Elle explique comment ce dernier parvient à se délivrer de son handicap par l’apprentissage de l’hébreu et par la pratique de l’écriture. À la mortmort de sa mère, le poète Paul BrancionBrancion (Paul de) se découvre tout aussi incapable de pleurer une femme qui a « si furieusement détruit tout autour d’elle » que de mettre en mots le chagrin qu’il éprouve (Ma Mor est morte). Ainsi que le montre Élodie Bouygues, c’est en inventant une langue poétique faite du tressage de trois langues, une langue aussi complexe que le furent la personnalité de la mère et l’écheveau des liens familiaux, que le poète se fraye un chemin jusqu’à une véritévérité qui lui permet d’effectuer un travail de deuildeuil et de renaître symboliquement. De deuil, il est également question dans la contribution de Sophie Jaussi qui met en regard deux écrivains, Philippe ForestForest (Philippe) et W.G. SebaldSebald (Winfried G.), dont les textes semblent animés par une même volonté de « compléter, rappeler ou combler une parole fragmentairefragmentation, enfouie ou inexistante ». Sebald fait face à l’amnésie du peuple allemand après la Seconde Guerreguerre mondiale : il tente d’exhumer de l’oublioubli les mémoiresmémoire enfouies (Austerlitz et De la destruction comme élément de l’histoire naturelle). Forest, quant à lui, s’efforce de maintenir le dialogue avec sa fille trop tôt disparue (L’enfant éternel). La mort est aussi au cœur du texte autobiographiqueautobiographie de Clara JanésJanés (Clara), Jardín y laberinto que choisit d’analyser Nadia Mékouar-Hertzberg. Corrélée à une mythologiemythologie familiale qui tourne autour des deux figures parentales, la parole intimeintime explore l’in-dit. L’accident de voiture qui coûte la vie au père noue la parole, la suffoque littéralement ; son évocation, dans le labyrinthe du souvenirsouvenir, autorise le passage à l’écriture et permet à l’auteure de naître à elle-même.

      La partie suivante, « Le sujet face à l’Histoire », passe de l’histoire personnelle à la grande Histoire, « l’Histoire avec sa grande hache », selon la formule de Perec. À l’origine des traumatismestraumatisme qui pèsent sur le sujet et entravent sa parole, il peut y avoir des catastrophescatastrophe qui rythment le temps des hommes : persécutions, déportationsdéportation, guerres, génocides… Marie Estripeaut-Bourjac rappelle la longue durée des violencesviolence de la colonisation