Je laissai l'ordre, en partant, au général Joubert d'attaquer, à la pointe du jour, l'ennemi s'il était assez téméraire pour rester encore à la Corona.
Le général Murat avait marché toute la nuit avec une demi-brigade d'infanterie légère et devait paraître, dans la matinée, sur les hauteurs de Montebaldo, qui dominent la Corona: effectivement, après une résistance assez vive, l'ennemi fut mis en déroute, et ce qui était échappé à la journée de la veille fut fait prisonnier: la cavalerie ne put se sauver qu'en traversant l'Adige à la nage et il s'en noya beaucoup.
Nous avons fait, dans les deux journées de Rivoli, treize mille prisonniers, et pris neuf pièces de canon: les généraux Sandos et Meyer ont été blessés en combattant vaillamment à la tête des troupes.
Combat de Saint-George.
M. le général Provera, à la tête de six mille hommes, arriva le 26, à midi, au faubourg de Saint-George; il l'attaqua pendant toute la journée, mais inutilement: le général de brigade Miollis défendait ce faubourg; le chef de bataillon du génie Samson, l'avait fait retrancher avec soin; le général Miollis, aussi actif qu'intrépide, loin d'être intimidé des menaces de l'ennemi, lui répondit avec du canon, et gagna ainsi la nuit du 26 au 27, pendant laquelle j'ordonnai au général Serrurier d'occuper la Favorite avec la cinquante-septième et la dix-huitième demi-brigade de ligne et toutes les forces disponibles que l'on put tirer des divisions du blocus; mais, avant de vous rendre compte de la bataille de la Favorite, qui a eu lieu le 27, je dois vous parler des deux combats d'Anghiari.
Premier combat d'Anghiari.
La division du général Provera, forte de dix mille hommes, avait forcé le passage d'Anghiari; le général de division Guieux avait aussitôt réuni toutes les forces qu'il avait trouvées, et avait marché à l'ennemi: n'ayant que quinze cents hommes, il ne put parvenir à faire repasser la rivière à l'ennemi; mais il l'arrêta une partie de la journée et lui fit trois cents prisonniers.
Deuxième combat d'Anghiari.
Le général Provera ne perdit pas un instant et fila sur-le-champ sur Castellara. Le général Augereau tomba sur l'arrière-garde de sa division, et après un combat assez vif, enleva toute l'arrière-garde de l'ennemi, lui prit seize pièces de canon, et lui fit deux mille prisonniers. L'adjudant-général Duphot s'y est particulièrement distingué par son courage. Les neuvième et dix-huitième régimens de dragons et le vingt-cinquième régiment de chasseurs s'y sont parfaitement conduits. Le commandant des hulans se présente devant un escadron du neuvième régiment de dragons, et, par une de ces fanfaronnades communes aux Autrichiens: Rendez-vous! crie-t-il au régiment. Le citoyen Duvivier fait arrêter son escadron: Si tu es brave, viens me prendre, crie-t-il au commandant ennemi. Les deux corps s'arrêtent, et les deux chefs donnèrent un exemple de ces combats que nous décrit avec tant d'agrément Le Tasse. Le commandant des hulans fut blessé de deux coups de sabre: ces troupes alors se chargèrent, et les hulans furent faits prisonniers.
Le général Provera fila toute la nuit, arriva, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, à Saint-George, et l'attaqua le 26; n'ayant pas pu y entrer, il projeta de forcer la Favorite, de percer les lignes du blocus, et, secondé par une sortie que devait faire Wurmser, de se jeter dans Mantoue.
Bataille de la Favorite.
Le 27, à une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent la Favorite, dans le temps que Wurmser fit une sortie, et attaqua les lignes du blocus par Saint-Antoine; le général Victor, à la tête de la cinquante-septième demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu'il en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de prisonniers de guerre. Serrurier fit avancer alors le général Victor avec la cinquante-septième demi-brigade, afin d'acculer Provera au faubourg de Saint-George, et par là le tenir bloqué. Effectivement la confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis; cavalerie, infanterie, artillerie, tout était pêle-mêle; la terrible cinquante-septième demi-brigade n'était arrêtée par rien; d'un côté elle prenait trois pièces de canon, d'un autre elle mettait à pied le régiment des hussards de Herdendy. Dans ce moment le respectable général Provera demanda à capituler; il compta sur notre générosité, et ne se trompa pas. Nous lui accordâmes le capitulation dont je vous enverrai les articles: six mille prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires de Vienne, vingt pièces de canon, furent le fruit de cette journée mémorable.
L'armée de la république a donc, en quatre jours, gagné deux batailles rangées et six combats, fait près de vingt-cinq mille prisonniers, parmi lesquels un lieutenant-général et deux généraux, douze à quinze colonels, etc.; pris vingt drapeaux, soixante pièces de canon, et tué ou blessé au moins six mille hommes.
Je vous demande le grade de général de division pour le général Victor, celui de général de brigade pour l'adjudant-général Vaux; toutes les demi-brigades se sont couvertes de gloire, et spécialement les trente-deuxième, cinquante-septième et dix-huitième de ligne, que commandait le général Masséna, et qui, en trois jours, ont battu l'ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbello. Les légions romaines faisaient, dit-on, vingt-quatre milles par jour; nos brigades en font trente, et se battent dans l'intervalle.
Les citoyens Desaix, chef de la quatrième demi-brigade d'infanterie légère; Marquis, chef de la dix-neuvième; Fournesy, chef de la dix-septième, ont été blessés. Les généraux de brigade Vial, Brune, Bon, et l'adjudant-général Argod se sont particulièrement distingués.
Les traits particuliers de bravoure sont trop nombreux pour être tous cités ici.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous envoie onze drapeaux pris sur l'ennemi aux batailles de Rivoli et de la Favorite. Le citoyen Bessières, commandant des guides, qui les porte, est un officier distingué par sa valeur et sa bravoure, et par l'honneur qu'il a de commander une compagnie de braves gens qui ont toujours vu fuir la cavalerie ennemie devant eux, et qui, par leur intrépidité, nous ont rendu, dans la campagne, des services très-essentiels.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797)
Au directoire exécutif.
Je vous ferai passer, citoyens directeurs, des lettres interceptées, qui sont extrêmement intéressantes, en ce que vous y verrez l'opiniâtre mauvaise foi de la cour de Rome, et le refus que paraît faire le cabinet de Vienne d'accepter l'alliance de Rome; ce qui ne peut provenir que du désir qu'il peut avoir de ne pas mettre d'entraves à la paix générale.
J'ai fait imprimer ces lettres dans les gazettes de Bologne et de Milan, afin de convaincre toute l'Italie de l'imbécile radotage de ces vieux cardinaux.
Je fais demain passer le Pô, près de Ferrare, à cinq mille hommes, qui marcheront droit sur Rome.
On entend beaucoup de bruit dans Mantoue, ce qui fait penser que les assiégés, conformément aux instructions de l'empereur, brisent les affûts et les trains d'artillerie: cela n'est qu'une conjecture; mais ce qui n'en est pas une, c'est qu'ils sont depuis long-temps à la demi-ration de pain, à la viande de cheval, sans vin ni eau-de-vie.
Nous sommes aujourd'hui en mouvement pour occuper Vicence et Padoue, où nous aurons de meilleurs cantonnemens. Si les renforts que vous m'annoncez de l'armée du Rhin arrivent, nous ne tarderons pas à avoir ici de grands événemens; mais j'ai vu un état que l'on m'a envoyé, où l'on calcule les demi-brigades à deux mille quatre cents hommes. Je tiens pour impossible que les demi-brigades, après une campagne comme l'a faite l'armée du Rhin,