Si donc l'armée n'avait perdu personne, elle aurait cinquante-un mille cent hommes d'infanterie, mais sur lesquels quatre mille hommes ont été tués sur le champ de bataille, comme vous le verrez par l'état que je vous ferai passer; mille blessés hors de service; deux mille morts aux hôpitaux: en tout sept mille.
On a donc perdu sept mille hommes, dont mille cavaliers, pionniers ou artilleurs: reste ainsi quarante-cinq mille cent hommes d'infanterie, dont elle est composée.
Vous voyez donc, citoyens directeurs, que votre armée a reçu, non pas cinquante-sept mille hommes de renfort, mais seulement douze mille six cents hommes, dans une campagne où il y a eu tant de batailles, et où les mêmes hommes ont détruit l'armée sarde et l'armée de Beaulieu, fortes de soixante-treize mille hommes: l'armée de Beaulieu, renforcée de vingt mille hommes du Rhin, commandés par Wurmser; l'armée de Wurmser, renforcée de dix-huit mille hommes tirés de la Pologne, six mille du Rhin et douze mille recrues, commandés par Alvinzi; et nous sommes à la veille d'avoir affaire aux débris de toutes ces armées, renforcés par quatre mille volontaires de Vienne, trois mille hommes du Rhin, trois mille recrues déjà arrivées, quinze cents que l'on m'assure que les ennemis attendent dans le courant de janvier, plus, les recrues qui arrivent de tous les côtés.
Il a fallu du bonheur et du bien joué pour vaincre Alvinzi. Comment espérer vaincre, avec les mêmes troupes, Alvinzi, renforcé de trente à trente-cinq mille hommes, tandis que nous n'avons encore reçu que trois mille hommes?
La guérison de nos malades est sûrement un avantage; mais les malades de Wurmser se guérissent aussi dans Mantoue.
Vous m'annoncez dix mille hommes de l'Océan et dix mille du Rhin, mais rien de cela n'arrive; il y a cependant six décades de votre annonce. On dit même que la tête de cette colonne de l'Océan a rétrogradé.
Il paraît, d'après la lettre de l'empereur, qu'une lutte se prépare pour janvier; faites au moins que les secours qui devaient arriver contre Alvinzi, et dont la victoire d'Arcole nous a mis à même de nous passer, arrivent actuellement: sans quoi, vous sacrifiez l'armée la plus attachée à la constitution, et qui, quels que soient les mouvemens que se donnent les ennemis de la patrie, sera attachée au gouvernement et à la liberté avec le même zèle et la même intrépidité qu'elle a mis à conserver l'Italie à la république.
Je le dis avec une vraie satisfaction, il n'est point d'armée qui désire davantage la conservation de la constitution sacrée, seul refuge de la liberté et du peuple français. L'on hait ici et l'on est prêt à combattre les nouveaux révolutionnaires, quel que soit leur but. Plus de révolution, c'est l'espoir le plus cher du soldat: il ne demande pas la paix, qu'il désire intérieurement, parce qu'il sait que c'est le seul moyen de ne la pas obtenir, et que ceux qui ne la désirent pas l'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive pas. Le soldat se prépare à de nouvelles batailles, et s'il jette quelquefois un coup d'oeil sur l'esprit qui anime plusieurs villes dans l'intérieur, son regret est de voir les déserteurs accueillis, protégés, et les lois sans force dans un moment où il s'agit de décider du sort du peuple français.
Enfin, citoyens directeurs, l'ennemi retire ses troupes du Rhin pour les envoyer en Italie; faites de même, secourez-nous: il n'y aura jamais que la disproportion trop marquée des ennemis, qui pourra nous vaincre. Nous ne vous demandons que des hommes, nous nous procurerons le reste avec d'autant plus de facilité, que nous serons plus nombreux.
Je vous envoie une pétition des officiers de la cinquante-septième, qui réclament le citoyen Maçon, leur chef de brigade, arrêté par ordre du général Willot.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).
Au commissaire ordonnateur en chef.
Il se fait un très-grand abus, citoyen ordonnateur: il n'y a aucune espèce d'ordre dans la dépense du payeur, il n'y en a pas non plus dans la livraison de vos ordonnances. Mes intentions sont que vous donniez les instructions nécessaires au payeur, pour qu'il y ait un mode de comptabilité qui nous mette à même de connaître, chaque jour, la situation où nous nous trouvons.
Le payeur de l'armée ne paiera, sur les fonds qui sont mis dans sa caisse pour la solde des troupes, que le prêt des demi-brigades, de l'artillerie, des sapeurs, des mineurs et de la cavalerie, ainsi que les appointemens des officiers de l'armée et des commissaires des guerres.
Il y aura chaque mois 150,000 fr. à votre disposition, sur lesquels, conformément à l'ordre du ministre, du 11 nivose an 4, vous sera remboursé ce qui est nécessaire au pansement, aux médicamens et ferrage des chevaux, c'est-à-dire, trois francs par mois par cheval: il faudra donc que vous envoyiez une ordonnance à chaque conseil d'administration en prévenant le payeur que vous y affecterez une somme sur les 150,000 liv.
Vous ferez également solder, sur cette somme, la gratification d'entrée en campagne, les indemnités de pertes d'équipages; les frais de bureaux pour toute l'armée seront compris dans un état général que vous présentera le chef de l'état-major.
Les frais de poste pour toute l'armée et les dépenses extraordinaires seront soldés par le chef de l'état-major. Vous lui remettrez, à cet effet, au commencement de chaque mois, 50,000 liv. sur les 160,000 qui sont à votre disposition, et il devra, à la fin de chaque mois, vous présenter l'état des frais de bureaux de toute l'armée et des frais de poste.
Sous quelque prétexte que ce soit, vous ne pourrez jamais dépenser plus de 100,000 fr. par mois pour les objets dont il est ci-dessus question, et 50,000 pour les deux articles dont est chargé le chef de l'état-major.
Lorsque des circonstances extraordinaires nécessiteront une augmentation de fonds, il faudra, auparavant, que vous donniez une ordonnance au payeur, afin que les fonds mis à votre disposition soient approuvés.
Les appointemens des médecins et autres administrateurs des hôpitaux seront payés sur les fonds mis à votre disposition, et vous vous arrangerez avec le payeur; mais il faut que, sous quelque prétexte que ce soit, l'on ne détourne point pour une autre destination les fonds destinés à la solde des troupes.
Pour le mois de nivose, l'on a fait des fonds pour le prêt, et l'on a mis 100,000 liv. à votre disposition; je vais ordonner qu'on en remette 50,000 en exécution du présent ordre. Je vous prie de me faire connaître les sommes qui vous sont nécessaires pour la solde des officiers de santé.
Je vous prie d'envoyer copie de la présente lettre au payeur de l'armée.
BONAPARTE.
Note donnée par le général Bonaparte au général divisionnaire Clarke12.
Mantoue est bloqué depuis plusieurs mois: il y a au moins dix mille malades qui sont sans viande et sans médicamens; il y a six à sept mille hommes de garnison qui sont à la demi-ration de pain, à la viande de cheval et sans vin; le bois même est rare. Il y avait dans Mantoue six mille chevaux de cavalerie et trois mille d'artillerie: ils en tuent cinquante par jour, ils en ont salé six cents; beaucoup sont morts faute de fourrage; il en reste encore dix-huit cents de cavalerie, qui se détruisent tous les jours: il est probable que dans un mois Mantoue sera à nous. Pour accélérer cette reddition, je fais préparer de quoi servir trois batteries incendiaires, qui commenceront à jouer le 25 de ce mois.
L'armée, qui était venue avec tant de forces au secours de Mantoue, est battue: elle pourra être renforcée dans quinze jours, mais il nous arrive des secours; d'ailleurs le général Clarke ne peut pas entamer ses négociations avant douze jours, et à cette époque, si la cour de Vienne conclut l'armistice, c'est que l'on ne serait pas dans le cas de se présenter avec quelque espoir de succès. Dans le cas contraire, la cour de Vienne attendrait l'issue de ses derniers efforts avant de rien conclure.
Maîtres de Mantoue, l'on sera trop heureux de nous accorder les limites du Rhin.
Rome n'est point en armistice avec la république française, elle est en guerre; elle ne veut