La garde des forts d'Ajaccio, Bonifaccio et Bastia est confiée à des corps de gardes nationales d'une fidélité et d'un patriotisme reconnus.
Le commissaire ordonnateur de l'armée a passé des marchés et fait approvisionner les différentes places de l'île de tout ce qui leur était nécessaire, en même temps qu'il a pourvu à la solde de tous ces différens corps.
Depuis que les deux départemens qui composent l'île de Corse sont rentrés sous la domination de la république, il n'y a eu aucun assassinat ni attentat aux propriétés; jamais pays n'a été plus tranquille, et jamais révolution ne s'est faite avec aussi peu de commotion.
Je n'ai pas fait passer de troupes en Corse: nous avons l'habitude d'y tenir cinq mille hommes de garnison, et mes troupes m'étaient trop nécessaires en Italie pour pouvoir en distraire la moindre partie pour la Corse, dont la tranquillité d'ailleurs a été mieux assurée par les mesures de police intérieure que j'ai prises, et par l'argent que j'ai fait passer, que par un corps de quatre mille hommes. Cependant, lorsque les affaires de Rome seront terminées, et que les Anglais auront évacué Porto-Ferrajo, je ferai passer six cents hommes dans le fort de Bastia, et quatre cents dans celui d'Ajaccio.
Vous pouvez être, citoyen ministre, sans aucune inquiétude sur la tranquillité intérieure et extérieure de l'île de Corse. Il n'y a, je crois, qu'un ennemi de la patrie qui puisse exiger que l'on ait affaibli les corps de l'armée d'Italie pour envoyer en Corse des troupes à peu près inutiles. Si le directoire continue à me laisser le maître de faire ce qu'il conviendra, j'enverrai des troupes en Corse dès que la situation de l'armée me le permettra, ou que les circonstances l'exigeront.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Faenza, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous ai rendu compte hier de l'arrivée de nos troupes à Trente: le général Joubert, arrivé dans cette ville, envoya aussitôt à la poursuite de l'ennemi.
Le général Vial, à la tête de l'infanterie légère, occupa la ligne du Lawis; les débris de l'armée autrichienne étaient de l'autre côté. Le général Vial passa le Lawis à pied, à la tête de la vingt-neuvième demi-brigade, poussa l'ennemi jusqu'à Saint-Michel, lui fit huit cents prisonniers, et joncha la terre de morts. La jonction des généraux Masséna et Joubert est faite, et ce dernier général occupe la ligne du Lawis qui couvre Trente.
L'aide-de-camp Lambert, l'adjudant Cansillon se sont particulièrement distingués.
Je me suis attaché à montrer la générosité française vis-à-vis de Wurmser, général âgé de soixante-dix ans, envers qui la fortune a été, cette campagne-ci, très-cruelle, mais qui n'a pas cessé de montrer une connaissance et un courage que l'histoire remarquera. Enveloppé de tous côtés après la bataille de Bassano, perdant d'un seul coup une partie du Tyrol et son armée, il ose espérer de pouvoir se réfugier dans Mantoue, dont il est éloigné de quatre à cinq journées, passe l'Adige, culbute une de nos avant-gardes à Cerca, traverse la Molinella et arrive dans Mantoue. Enfermé dans cette ville, il a fait deux ou trois sorties, toutes lui ont été malheureuses, et à toutes il était à la tête. Mais, outre les obstacles très-considérables que lui présentaient nos lignes de circonvallation, hérissées de pièces de campagne, qu'il était obligé de surmonter, il ne pouvait agir qu'avec des soldats découragés par tant de défaites, et affaiblis par les maladies pestilentielles de Mantoue. Ce grand nombre d'hommes qui s'attachent toujours à calomnier le malheur, ne manqueront pas de chercher à persécuter Wurmser.
Le général Serrurier et le général Wurmser ont dû avoir hier une conférence pour fixer le jour de l'exécution de la capitulation, et s'accorder sur les différens qu'il y a entre l'accordé et le proposé.
La division du général Victor a couché le 13 à Imola, première ville de l'état papal. L'armée de Sa Sainteté avait coupé les ponts, et s'était retranchée avec le plus grand soin sur la rivière de Senio, qu'elle avait bordée de canons. Le général Lannes, commandant l'avant-garde, aperçut les ennemis qui commençaient à le canonner: il ordonna aussitôt aux éclaireurs de la légion lombarde d'attaquer les tirailleurs papistes; le chef de brigade Lahoz, commandant cette légion, réunit ses grenadiers, qu'il fit former en colonne serrée, pour enlever, la baïonnette au bout du fusil, les batteries ennemies. Cette légion, qui voit le feu pour la première fois, s'est couverte de gloire; elle a enlevé quatorze pièces de canon sous le feu de trois à quatre mille hommes retranchés. Pendant que le feu durait, plusieurs prêtres, un crucifix à la main, prêchaient ces malheureuses troupes. Nous avons pris à l'ennemi quatorze pièces de canon, huit drapeaux, quatre mille prisonniers, et tué quatre ou cinq cents hommes. Le chef de brigade Lahoz a été légèrement blessé. Nous avons eu quarante hommes tués ou blessés.
Nos troupes se portèrent aussitôt sur Faenza, elles en trouvèrent les portes fermées; toutes les cloches sonnaient le tocsin, et une populace égarée prétendait en défendre l'issue. Tous les chefs, notamment l'évêque, s'étaient sauvés: deux ou trois coups de canon enfoncèrent les portes, et nos gens entrèrent au pas de charge. Les lois de la guerre m'autorisaient à mettre cette ville infortunée au pillage; mais comment se résoudre à punir aussi sévèrement toute une ville pour le crime de quelques prêtres? J'ai envoyé chez eux cinquante officiers que j'avais faits prisonniers, pour qu'ils allassent éclairer leurs compatriotes, et leur faire sentir les dangers qu'une extravagance pareille à celle-ci leur ferait courir. J'ai fait, ce matin, venir tous les moines, tous les prêtres; je les ai rappelés aux principes de l'Évangile, et j'ai employé toute l'influence que peuvent avoir la raison et la nécessité, pour les engager à se bien conduire: ils m'ont paru animés de bons principes; j'ai envoyé à Ravennes le général des camaldules, pour éclairer cette ville, et éviter les malheurs qu'un plus long aveuglement pourrait produire; j'ai envoyé à Cézène, patrie du pape actuel, le P. don Ignacio, prieur des bénédictins.
Le général Victor continua hier sa route, et se rendit maître de Forti; je lui ai donné l'ordre de se porter aujourd'hui à Cézène. Je vous ai envoyé différentes pièces qui convaincront l'Europe entière de la folie de ceux qui conduisent la cour de Rome. Je vous enverrai aussi deux autres affiches, qui vous convaincront de la démence de ces gens-ci; il est déplorable de penser que cet aveuglement coûte le sang des pauvres peuples, innocens instrumens et de tout temps victimes des théologiens. Plusieurs prêtres, et entre autres un capucin, qui prêchaient l'armée des catholiques, ont été tués sur le champ de bataille.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Forti, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous fais passer, citoyens directeurs, le mémoire que m'envoie le citoyen Faypoult; vous frémirez d'indignation, lorsque vous y verrez avec quelle impudence on vole la république. Je donne les ordres pour que l'on arrête le citoyen Legros, contrôleur de la trésorerie, et le commissaire des guerres Lequeue; j'engage le citoyen Faypoult à faire arrêter à Gênes les citoyens Paillaud et Peregaldo. Vous ne souffrirez pas, sans doute, que les voleurs de l'armée d'Italie trouvent leur refuge à Paris. Pendant que je me battais et que j'étais éloigné de Milan, le citoyen Flachat s'en est allé, emportant cinq à six millions à l'armée, et nous a laissés dans le plus grand embarras. Si l'on ne trouve pas de moyens d'atteindre la friponnerie manifestement reconnue de ces gens-là, il faut renoncer au règne de l'ordre, à l'amélioration de nos finances et à maintenir une armée aussi considérable en Italie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bologne, le 18 pluviose