BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai rendu compte, citoyens directeurs, que j'avais formé une colonne mobile à Tende contre les barbets; elle remplit parfaitement sa tâche. Les barbets sont mis de tous côtés en déroute, plusieurs de leurs chefs ont été fusillés. Le général Garnier, qui commande cette colonne mobile, montre beaucoup de zèle et se donne beaucoup de mouvement.
Les maladies continuent toujours, mais jusqu'à cette heure elles n'ont pas fait de grands ravages.
Je vous avais demandé dans ma dernière lettre vingt-cinq mille fusils; mais en ayant trouvé soixante-quatre mille à Livourne, appartenant au roi d'Espagne, j'en ai fait prendre vingt mille que j'ai fait conduire à l'armée. M. Azara, à qui j'en ai demandé la permission, m'a écrit que cela ne le regardait pas, mais qu'il n'y voyait pas un grand inconvénient, dès l'instant qu'on les ferait remplacer.
Je vous prie de prendre avec la cour d'Espagne les arrangemens que vous croirez bons. Si vous lui faites rendre ces fusils aux Pyrénées, elle y gagnera, puisqu'ils auraient pu être pris par les Anglais.
Les Autrichiens ont dans ce moment-ci quatorze mille hommes dans le Tyrol et quinze mille sur la Piave: ils attendent de nouveaux renforts. L'attaque tardera encore probablement quelques décades. Si la quatre-vingt-troisième est partie de Marseille comme je l'ai ordonné, et la quarantième de Lyon, comme le général Kellermann me l'a promis, il n'y a rien à craindre, et nous battrons encore cette fois-ci les Autrichiens. Si la circonstance de l'évacuation de la Méditerranée par les Anglais vous portait à ne pas vouloir faire la paix avec Naples, il faudrait chercher à l'amuser encore quelque temps. Je ne pense pas, si nous sommes maîtres de la mer, qu'il ose faire avancer des troupes par ici.
Si nous devenons maîtres de la Méditerranée, je crois qu'on doit exiger du commerce de Livourne 5 ou 6,000,000 fr. au lieu de 2 qu'il offre pour indemniser des marchandises qu'il a aux Anglais.
Enfin, citoyens directeurs, plus vous nous enverrez d'hommes, plus non-seulement nous les nourrirons facilement, mais encore plus nous lèverons de contributions au profit de la république. L'armée d'Italie a produit dans la campagne d'été 20,000,000 fr. à la république, indépendamment de sa solde et de sa nourriture: elle peut en produire le double pendant la campagne d'hiver, si vous nous envoyez en recrues et en nouveaux corps une trentaine de mille hommes.
Rome et toutes ses provinces, Trieste et le Frioul, même une partie du royaume de Naples deviendront notre proie; mais, pour se soutenir, il faut des hommes.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ferai passer, citoyens directeurs, la lettre que je viens de recevoir du général Gentili: il paraît, d'après cela, que la Méditerranée va devenir libre. La Corse, restituée à la république, offrira des ressources à notre marine, et même un moyen de recrutement à notre infanterie légère.
Le commissaire du gouvernement, Salicetti, part ce soir pour Livourne pour se rendre en Corse. Je vais ordonner à la huitième division de tenir un bataillon prêt à embarquer à Toulon; je ferai également partir un bataillon de Livourne, lesquels, joints à deux corps de gendarmerie, suffiront pour y établir le bon ordre.
Le général Gentili va commander provisoirement cette division: je lui donne les instructions nécessaires pour l'organisation de deux corps de gendarmerie. Je l'autorise provisoirement à mettre en réquisition plusieurs colonnes mobiles, pour pouvoir donner force au commissaire du gouvernement de pouvoir occuper les forteresses jusqu'à l'arrivée des troupes françaises. Lorsque ces troupes seront arrivées dans l'île, mon projet est d'y envoyer le général Berruyer pour y commander: j'y envoie un officier d'artillerie et un du génie pour y organiser la direction; mais comme cette île contient cinq à six forteresses aussi faibles qu'inutiles, je leur prescris de ne faire aucune dépense, mais seulement de faire des projets pour la défense du golfe Saint-Florent: il n'y a que ce point qui soit bien essentiel à la république, et où dès-lors il conviendrait de concentrer toute la défense de l'île, en y établissant une place, une fortification permanente, et en y employant pour la construire les sommes que coûteraient la réparation et l'entretien des forteresses inutiles de Bastia, Corte, Calvi, Ajaccio et Bonifaccio, où il suffit d'entretenir simplement des batteries de côtes. Si nous eussions eu une place à Saint-Florent et que nous y eussions concentré toutes nos forces, les Anglais ne se seraient pas emparés de cette île.
Comme l'établissement de Saint-Florent est encore en l'air, je crois que vous devriez concentrer toute l'administration militaire à Ajaccio, qui, jusqu'à ce que Saint-Florent soit devenu quelque chose, est le point le plus intéressant de l'île. Ce serait une grande faute que de placer à Bastia, comme l'avait fait l'ancienne administration, le point central de l'administration, vu que Bastia étant situé du côté de l'Italie, communique très-difficilement avec la France. L'expulsion des Anglais de la Méditerranée a une grande influence sur le succès de nos opérations militaires en Italie. L'on doit exiger de Naples des conditions plus sévères, cela fait le plus grand effet moral sur l'esprit des Italiens, assure nos communications, et fera trembler Naples jusque dans la Sicile.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Bologne, Modène, Reggio et Ferrare se sont réunis en congrès, en envoyant à Modène une centaine de députés: l'enthousiasme le plus vif et le patriotisme le plus pur les animent; déjà ils voient revivre l'ancienne Italie: leur imagination s'enflamme, leur patriotisme se remue, et les citoyens de toutes les classes se serrent. Je ne serais pas étonné que ce pays-ci et la Lombardie, qui forment une population de deux à trois millions d'hommes, ne produisissent vraiment une grande secousse dans toute l'Italie. La révolution n'a pas ici le même caractère qu'elle a eu chez nous: d'abord, parce qu'elle n'a pas les mêmes obstacles à vaincre et que l'expérience a éclairé les habitans; nous sommes bien sûrs au moins que le fanatisme ne nous fera pas de mal dans ce pays-ci, et que Rome aura beau déclarer une guerre de religion, elle ne fera aucun effet dans ce pays conquis.
Une légion de deux mille cinq cents hommes s'organise, habillée, soldée et équipée aux frais de ce pays-ci et sans que nous nous en mêlions. Voilà un commencement de force militaire, qui, réunie aux trois mille cinq cents que fournit la Lombardie, fait à peu près six mille hommes. Il est bien évident que si ces troupes, composées de jeunes gens qui ont le désir de la liberté, commencent à se distinguer, cela aura pour l'empereur et pour l'Italie des suites très-importantes. Je vous enverrai par le prochain courrier les actes et les manifestes publiés à cette occasion par le congrès.
J'attends avec quelque impatience les troupes que vous m'annoncez. J'ai fait sommer Wurmser dans Mantoue, je vous ferai passer la sommation; je n'ai pas jugé à propos de me servir de l'arrêté que vous m'envoyez, puisque vous m'en laissez le maître: par la réponse qu'il me fera, je verrai le ton qu'il prend. Le courrier que vous m'avez ordonné d'envoyer à Vienne est parti il y a long-temps: il doit être arrivé à cette heure, et j'en attends la réponse.