BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au général Gentili.
Vous passerez en Corse, citoyen général, pour y commander cette division. Arrivé dans cette île, vous donnerez le commandement temporaire de Bastia au citoyen Ristori, chef de brigade; celui d'Ajaccio au citoyen Regi, chef de brigade; celui de Saint-Florent au citoyen Jean-Charles Cotoni, capitaine; celui de Corte au citoyen Collé, chef de brigade; celui de Bonifaccio au citoyen Sabrini, capitaine, et celui de Calvi au citoyen Mamobli, capitaine.
Vous lèverez trois compagnies dans la garde nationale de Bastia, qui feront le service de la forteresse; vous choisirez trois capitaines patriotes, entre autres, le citoyen Girasco.
Vous lèverez deux compagnies dans la garde nationale d'Ajaccio, qui feront le service de la garde de la forteresse; vous nommerez capitaines les citoyens Tornano et Levio.
Vous lèverez de même une compagnie, prise dans la garde de Bonifaccio, de Calvi, de Saint-Florent et de Corte, pour la garde des forteresses et des magasins de la place.
Vous ferez extraire des compagnies de gendarmerie de la vingt-huitième division tous les officiers et soldats qui sont des départemens du Liamone et du Golo. Vous laisserez le commandement de la gendarmerie du département du Liamone au citoyen Gentili, avec le grade de chef de bataillon.
Vous vous concerterez avec le commissaire du gouvernement Salicetti pour le choix des autres emplois; vous prendrez des hommes attachés à la république et à la liberté.
Vous organiserez trois colonnes mobiles dans le département du Golo, fortes chacune de trois cents hommes. Vous en organiserez deux dans le département du Liamone. Vous donnerez le commandement de l'une au citoyen Grimaldi; vous choisirez pour les deux autres des patriotes braves et républicains: en Balagne et dans les terres des communes, vous choisirez, pour commander l'une des colonnes mobiles du département du Liamone, le citoyen Bouchi, et un patriote reconnu pour le côté de la Rogue.
Vous accorderez un pardon général à tous ceux qui n'ont été qu'égarés; vous ferez arrêter et juger par une commission militaire les quatre députés qui ont porté la couronne au roi d'Angleterre, les membres du gouvernement et les meneurs de cette infâme trahison, entre autres les citoyens Pozzo di Borgo; Bertholani, Piraldi, Stefanopoli, Tartarolo, Filipi et l'un des chefs de bataillon qui seront convaincus d'avoir porté les armes contre les troupes de la république.
Ainsi, la vengeance nationale n'aura à peser que sur une trentaine d'individus, qui se seront peut-être sauvés avec les Anglais.
Vous ferez également arrêter tous les émigrés, s'il y en avait qui eussent l'audace de continuer leur séjour dans les terres occupées par les troupes républicaines.
Mais je vous recommande surtout de faire une prompte justice de quiconque, par un ressentiment contraire à la loi, se serait porté à assassiner son ennemi; enfin, citoyen général, faites ce qui dépend de vous pour rétablir la tranquillité dans l'île, étouffer toutes les haines, et réunir à la république ce pays si longtemps agité.
Le payeur de l'armée aura soin de fournir aux dépenses de la solde des différens corps de troupes françaises, qui partiront de Toulon au moment où la liberté des passages sera constatée, et qui se rendront en Corse pour occuper les forteresses.
Vous donnerez l'ordre au général Lavoni et à l'adjudant-général Galliazzini de se rendre à Modène, ainsi qu'à tous les officiers supérieurs qui seraient en activité dans les demi-brigades de cette armée, hormis ceux qui auraient été désignés comme devant remplir des commandemens temporaires, et qui dès-lors seront remplacés à leurs corps.
L'ordre est donné pour qu'il ne soit payé aucun traitement à un officier hors de sa demi-brigade; engagez tous ceux qui sont avec vous à rejoindre leurs corps, où leur présence est nécessaire, tandis qu'elle devient inutile en Corse. Cependant, si vous croyez qu'il y en ait quelques-uns que vous dussiez garder, vous m'en enverrez la note, afin qu'il leur soit accordé de deux à trois décades, pour ensuite rejoindre leurs corps; vous aurez soin aussi de n'oublier aucun moyen pour faire passer à Livourne et de là à l'armée le plus de Corses qu'il sera possible. À cet effet, il sera nécessaire d'établir à Livourne un dépôt pour les habiller, les armer et leur donner leur route, à mesure qu'ils arriveront. Le seul moyen de faire sortir de Corse tous les hommes inquiets, ceux mêmes qui ont combattu pour les Anglais, c'est de les envoyer à l'armée. Si vous pouvez vous emparer de l'île d'Elbe avec le général Serrurier, auquel je donne l'ordre de vous aider dans le cas où cette expédition serait possible, je vous autorise à en prendre possession.
Tenez-moi souvent instruit de tout ce que vous ferez. Donnez l'ordre à deux des députés les plus intelligens de se rendre au quartier-général, qui sera à Bologne ou à Ferrare.
BONAPARTE.
Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au citoyen Cacault, agent de la république à Rome.
Je reçois à l'instant la nouvelle que les Anglais évacuent la Méditerranée: ils ont déjà évacué la Corse, qui a arboré l'étendard tricolor, et m'a envoyé des députés pour prêter serment d'obéissance.
Un courrier arrivé de Toulon m'apporte la nouvelle que notre escadre, composée de dix-huit vaisseaux de guerre et de dix frégates, est sur le point de mettre à la voile; qu'elle est déjà dans la grande rade, et qu'elle a à sa suite un convoi de soixante voiles chargé de troupes de débarquement.
Le délire étrange du pays où vous êtes ne sera pas long, il y sera bientôt porté un prompt remède. Cette folie passera comme un rêve; ce qui restera, ce sera la liberté de Rome et le bonheur de l'Italie.
Cent députés de Bologne, Modène, Reggio et Ferrare ont été réunis ici: il règne dans tous ces pays un enthousiasme auquel on n'avait pas le droit de s'attendre. La première légion de la Lombardie est déjà organisée, la première légion italienne s'organise: c'est le général Rusca qui commande cette légion. Vous sentez bien que j'ai mis un bon nombre de vieux officiers accoutumés à vaincre et à commander.
Restez, toutefois, encore à Rome. L'intention du gouvernement est qu'on mette ces gens dans leur tort.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bologne, le 28 vendémiaire an 5 (19 octobre 1796).
Au peuple de Modène.
J'ai vu avec plaisir en entrant dans votre ville l'enthousiasme qui anime les citoyens, et la ferme résolution où ils sont de conserver leur liberté. La constitution et votre garde nationale seront promptement organisées; mais j'ai été affligé de voir les excès auxquels se sont portés quelques mauvais sujets indignes d'être Bolonais.
Un peuple qui se livre à des excès est indigne de la liberté; un peuple libre est celui qui respecte les personnes et les propriétés. L'anarchie produit la guerre intestine et les calamités publiques. Je suis l'ennemi des tyrans; mais avant tout je suis l'ennemi des scélérats, des brigands qui les commandent lorsqu'ils pillent; je ferai fusiller ceux qui, renversant l'ordre social, sont nés pour l'opprobre et le malheur du monde.
Peuple de Bologne, voulez-vous que la république française vous protège? voulez-vous que l'armée française vous estime et s'honore de faire votre bonheur? voulez-vous que je me vante quelquefois de l'amitié que vous me témoignez? Réprimez ce petit nombre de scélérats, faites que personne ne soit opprimé: quelles que soient ses opinions, nul ne peut être opprimé qu'en vertu de la loi...; faites surtout que les propriétés soient respectées.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Ferrare, le 50 vendémiaire an 5 (21 octobre