Fils d'émigré. Ernest Daudet. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest Daudet
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083274
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besoin de toi, mon camarade, fait-il.

      Et comme en lui parlant il tend la main, Valleroy la prend, se courbe pour y poser ses lèvres, et, se redressant, répond:

      —Je suis à vos ordres, Monsieur, aujourd'hui et toujours.

      —C'est que je ne sais si je ne vais pas t'envoyer à la mort, mon pauvre garçon!

      —Je tâcherai de vivre pour vous servir. Mais, s'il faut mourir, je mourrai.

      —Toi seul peux accomplir la mission dont je vais te charger, continue le comte. Demain, tu partiras pour Paris. Je te laisse maître de décider quelles précautions tu dois prendre pour y arriver sans encombre.

      —Monsieur le comte peut s'en fier à moi.

      —En y arrivant, tu te rendras à l'hôtel de Malincourt. Tu y pénétreras en veillant à n'être vu de personne, si ce n'est du suisse Kelner à qui j'en ai confié la garde.

      —Kelner est un ami. Nous nous comprendrons à demi mot.

      —Ecoute-moi bien, maintenant. Tu monteras dans ma chambre. À la tête du lit se trouve un bénitier; derrière le bénitier, un bouton de cuivre, dissimulé sous la tenture; Tu presseras ce bouton et tu découvriras une cachette ménagée dans le mur. Dans cette cachette, il y a un petit coffre en fer qui contient quatre mille louis. Tu me l'apporteras.

      —Entendu, Monsieur, et, sauf incident, dans quinze jours je serai rentré à Saint-Baslemont.

      —Ce n'est pas à Saint-Baslemont qu'il faudra venir me rejoindre.

      —Et où donc, Monsieur?

      —À Coblentz.

      —C'est donc vrai, s'écrie Valleroy, Monsieur le comte songe à émigrer?

      —J'y suis résolu. Oh! ne t'étonne pas, Valleroy. Il y a trois mois, quand je me mettais en route pour l'Allemagne dans l'unique but d'embrasser mon fils et de rapporter de ses nouvelles à sa mère, si quelqu'un m'eût attribué le dessein de vivre hors de France, j'aurais protesté.

      —Et vous auriez eu raison, Monsieur. La place des bons Français est en France. Si tant de gentilshommes n'avaient pas émigré, les bandits dont nous subissons le joug ne seraient pas victorieux.

      —C'est vrai; mais leur victoire est réalisée. Il en résulte qu'il n'y a plus sûreté dans le royaume pour les familles nobles. Moi-même, qui n'ai rien à me reprocher, j'ai été averti, en traversant Nancy, que le Comité révolutionnaire d'Epinal se propose de réclamer mon arrestation.

      —Vous, Monsieur, vous! Que vous reproche-t-on?

      —Mon nom, ma naissance, ma fortune, mon vieux dévouement au roi, la présence de mon fils sous l'étendard des princes.

      —Alors, vous avez raison; il faut émigrer.

      —Nous partirons la nuit prochaine, la comtesse, Bernard et moi. Je me suis procuré des passeports. Je sais quelle route nous devons suivre jusqu'à la frontière pour n'être pas inquiétés. Tandis que tu arriveras à Paris, nous arriverons à Coblentz. C'est là que tu m'apporteras le trésor dont je viens de te révéler l'existence et que je te confie. Sois-en le gardien courageux et vigilant, défends-le au prix même de ta vie, car il ne m'appartient plus; je n'en suis désormais que le dépositaire. Je l'ai offert aux princes frères du roi.

      —Vous leur donnez cent mille livres!

      —Il le faut bien, puisque leurs ressources sont épuisées.

      —Ils peuvent s'en procurer d'autres, tandis que vous…

      —Plus un mot, Valleroy, j'ai promis.

      —Mais de quoi vivrez-vous dans l'exil, Monsieur? De quoi vivront Mme la comtesse et M. le chevalier?

      —Dieu y pourvoira, réplique simplement le comte. Pour toi, ne pense plus maintenant qu'à l'exécution de mes ordres. Va faire tes préparatifs et te reposer, car il importe que tu te mettes en route demain en même temps que nous.

      —Je partirai demain et Monsieur le comte peut compter sur moi.

      C'est dit d'un ton qui, sous l'invincible dévouement de Valleroy, dissimule mal sa tristesse.

      —Tu me désapprouves donc? lui demande M. de Malincourt.

      —Vous désapprouver, moi! Je ne l'oserais. Mais, quitter son pays, aller vivre à l'étranger parmi ceux qui s'arment contre la France, au risque d'être confondu avec eux… je vous plains, je nous plains.

      —Tu ne seras pas obligé d'y rester. Ta mission remplie, tu pourras revenir ici.

      —Non, Monsieur, car ma place est près de vous. Rappelez-vous la vieille devise de mon père, que lui avait léguée le sien: «Valleroy appartient à Malincourt!»

      —Si ta place est auprès de moi, la mienne est auprès des princes.

       Malincourt appartient aux Bourbons.

      Sur ces mots décisifs, Valleroy croit l'entretien terminé. Il va se retirer. Mais le comte le retient.

      —Encore un mot, ajoute-t-il. Nous allons courir, l'un et l'autre, de grands périls, Valleroy, toi, pour mon service, moi pour la cause royale et aussi pour mettre en sûreté ma femme et mon fils. Je ne sais ce qu'il adviendra de nous. Mais, quoi qu'il arrive, et si je meurs et si tu me survis, souviens-toi que je remets à ta garde mon fils Bernard, et que, à défaut de son frère, tu dois le protéger jusqu'au jour où il sera devenu un homme.

      —Oh! pour cela, Monsieur, la recommandation était inutile. Depuis qu'ont éclaté les tourmentes qui nous emportent Dieu sait où, je me suis dit souvent que si M. le chevalier venait à vous perdre, c'est à moi qu'incomberait la tâche de veiller sur lui. Soyez donc sans crainte, mon noble seigneur: tant que je vivrai, il sera bien gardé!

      Cette promesse sincère et généreuse va au coeur de M. de Malincourt. Il ouvre les bras. Valleroy se presse contre lui, et, dans cette étreinte, le maître et le serviteur scellent le solennel engagement que vient de prendre ce dernier.

       Table des matières

      SUITE DU PRÉCÉDENT

      Tandis que M. de Malincourt s'entretenait avec Valleroy, la comtesse, rentrée dans son appartement, attendait impatiente. Rassurée sur le sort de son fils aîné, heureuse du retour de son mari, elle était troublée cependant par le peu qu'elle savait de ses projets. Elle avait hâte de les mieux connaître, et surtout d'en connaître les causes. Elle se disait que si, résolu naguère à ne pas quitter Saint-Baslemont, il avait changé d'avis et voulait maintenant en partir, c'est qu'il ne s'y croyait plus en sûreté; elle tremblait pour des jours qui lui étaient plus chers que les siens.

      Afin de tromper son attente, elle présida au coucher de Bernard; elle fit avec lui la prière du soir et ne s'éloigna que lorsqu'elle le vit endormi, après l'avoir tendrement embrassé. Alors, elle revint dans sa chambre. Là, bercée par le silence de la nuit, elle laissa s'en aller librement sa pensée vers les souvenirs d'un passé lointain. Elle se revoyait jeune fille, quand, orpheline et unique héritière de l'antique maison de Saint-Baslemont, elle fut recherchée par le brillant comte de Malincourt, colonel d'un régiment du roi, l'un des favoris de Marie-Antoinette, et alors dans tout l'éclat de sa jeunesse. Devenue sa femme, elle l'adora. Au milieu d'une société sceptique et pervertie, ils donnèrent, le rare exemple d'une fidélité réciproque, qui n'eut d'égale que leur félicité successivement accrue par la naissance des deux enfants devenus la parure et l'orgueil de leur foyer. Elle repassait tous les incidents de sa vie d'épouse et de mère heureuse, ses succès à la cour, sa joie lorsque, à sa demande, la reine accorda à M. de Malincourt un brevet de maréchal de camp, en la nommant elle-même dame d'honneur. Son existence