Physiologie du goût. Brillat-Savarin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Brillat-Savarin
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084646
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      Je devrais écrire à merveille, car Voltaire, Jean-Jacques, Fénélon, Buffon, et plus tard Cochin et d'Aguesseau, ont été mes auteurs favoris, je les sais par coeur.

      Mais peut-être les dieux en ont-ils ordonné autrement; et s'il est ainsi, voici la cause de la volonté des dieux.

      Je connais, plus ou moins bien, cinq langues vivantes, ce qui m'a fait un répertoire immense de mots de toutes livrées.

      Quand j'ai besoin d'une expression, et que je ne la trouve pas dans la case française, je prends dans la case voisine, et de là, pour le lecteur, la nécessité de me traduire ou de me deviner: c'est son destin.

      Je pourrais bien faire autrement, mais j'en suis empêché par un esprit de système auquel je tiens d'une manière invincible.

      Je sais intimement persuadé que la langue française, dont je me sers, est comparativement pauvre. Que faire en cet état? Emprunter ou voler. Je fais l'un et l'autre, parce que ces emprunts ne sont pas sujets à restitution, et que le vol de mots n'est pas puni par le Code pénal.

      On aura une idée de mon audace, quand on saura que j'appelle volante (de l'espagnol) tout homme que j'envoie faire une commission, et que j'étais déterminé à franciser le verbe anglais to sip, qui signifie boire à petites reprises, si je n'avais exhumé le mot français siroter, auquel on donnait à peu près la même signification.

      Je m'attends bien que les sévères vont crier à Bossuet, à Fénélon, à Racine, à Boileau, à Pascal, et autres du siècle de Louis XIV; il me semble les entendre faire un vacarme épouvantable.

      A quoi je réponds posément que je suis loin de disconvenir du mérite de ces auteurs, tant nommés que sous-entendus; mais que suit-il de là?... Rien, si ce n'est qu'ayant bien fait avec un instrument ingrat, ils auraient incomparablement mieux fait avec un instrument supérieur. C'est ainsi qu'on doit croire que Tartini aurait encore bien mieux joué du violon, si son archet avait été aussi long que celui de Baillot.

      Je suis donc du parti des néologues, et même des romantiques; ces derniers découvrent les trésors cachés; les autres sont comme les navigateurs qui vont chercher au loin les provisions dont on a besoin.

      J'ai autrefois entendu, à l'Institut, un discours fort gracieux sur le danger du néologisme et sur la nécessité de s'en tenir à notre langue telle qu'elle a été fixée par les auteurs du bon siècle.

      Comme chimiste, je passai cette oeuvre à la cornue; il n'en resta que ceci: Nous avons si bien fait qu'il n'y a pas moyen de mieux faire, ni de faire autrement.

      Or, j'ai vécu assez pour savoir que chaque génération en dit autant, et que la génération suivante ne manque jamais de s'en moquer.

      D'ailleurs, comment les mots ne changeraient-ils pas, quand les moeurs et les idées éprouvent des modifications continuelles? Si nous faisons les mêmes choses que les anciens, nous ne les faisons pas de la même manière, et il est des pages entières, dans quelques livres français, qu'on ne pourrait traduire ni en latin ni en grec.

      Toutes les langues ont eu leur naissance, leur apogée et leur déclin; et aucune de celles qui ont brillé depuis Sésostris jusqu'à Philippe-Auguste, n'existe plus que dans les monuments. La langue française aura le même sort, et en l'an 2825 on ne me lira qu'à l'aide d'un dictionnaire, si toutefois on me lit...

      J'ai eu à ce sujet une discussion à coups de canon avec l'aimable M. Andrieux, de l'Académie française.

      Je me présentai en bon ordre, je l'attaquai vigoureusement; et je l'aurais pris, s'il n'avait fait une prompte retraite, à laquelle je ne mis pas trop d'obstacle, m'étant souvenu, heureusement pour lui, qu'il était chargé d'une lettre dans le nouveau lexique.

      Je finis par une observation importante; aussi l'ai-je gardé pour la dernière.

      Quand j'écris et parle de moi au singulier, cela suppose une confabulation avec le lecteur; il peut examiner, discuter, douter et même rire. Mais quand je m'arme du redoutable nous, je professe; il faut se soumettre.

      I am, Sir, oracle,

      And, when I open my lips, let no dog bark.

      (Shakespeare, Merchant of Venice, act. I, sc. 1.)

      Les sens sont les organes par lesquels l'homme se met en rapport avec les objets extérieurs.

       Nombre des Sens.

       1.

      N doit en compter au moins six:

      La vue, qui embrasse l'espace et nous instruit, par le moyen de la lumière, de l'existence et des couleurs des corps qui nous environnent;

      L'ouïe, qui reçoit, par l'intermédiaire de l'air, l'ébranlement causé par les corps bruyants ou sonores;

      L'odorat, au moyen duquel nous flairons les odeurs des corps qui en sont doués;

      Le goût, par lequel nous apprécions tout ce qui est sapide ou esculent;

      Le toucher, dont l'objet est la consistance et la surface des corps;

      Enfin le génésique ou amour physique, qui entraîne les sexes l'un vers l'autre, et dont le but est la reproduction de l'espèce.

      Il est étonnant que, presque jusqu'à Buffon, un sens si important ait été méconnu, et soit resté confondu ou plutôt annexé au toucher.

      Cependant la sensation dont il est le siège n'a rien de commun avec celle du tact; il réside dans un appareil aussi complet que la bouche ou les yeux; et ce qu'il y a de singulier, c'est que chaque sexe ayant tout ce qu'il faut pour éprouver cette sensation, il est néanmoins nécessaire que les deux se réunissent pour atteindre au but que la nature s'est proposé. Et si le goût, qui a pour but la conservation de l'individu, est incontestablement un sens, à plus forte raison doit-on accorder ce titre aux organes destinés à la conservation de l'espèce.

      Donnons donc au génésique la place sensuelle qu'on ne peut lui refuser, et reposons-nous sur nos neveux du soin de lui assigner son rang.

       Mise en action des Sens.

      2.--S'il est permis de se porter, par l'imagination, jusqu'aux premiers moments de l'existence du genre humain, il est aussi permis de croire que les premières sensations ont été purement directes, c'est-à-dire qu'on a vu sans précision, ouï confusément, flairé sans choix, mangé sans savouré, et joui avec brutalité.

      Mais