Physiologie du goût. Brillat-Savarin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Brillat-Savarin
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084646
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la science, qui réunissait l'élan de l'enthousiasme à la patience des esprits bornés, et qui, mort à trente ans, a mérité que des honneurs publics fussent décernés à sa mémoire.

      Plus tard, le docteur Montègre porta dans la clinique un esprit philosophique. Il rédigea avec savoir la Gazette de santé, et mourut à quarante ans, dans nos îles, où il était allé afin de compléter les traités qu'il projetait sur la fièvre jaune et le vomito negro.

      Dans le moment actuel, le docteur Richerand est placé sur les plus hauts degrés de la médecine opératoire, et ses Éléments de physiologie ont été traduits dans toutes les langues. Nommé de bonne heure professeur en la faculté de Paris, il est investi de la plus auguste confiance. On n'a pas la parole plus consolante, la main plus douce, ni l'acier plus rapide.

      Le présent ainsi assuré, l'avenir se prépare; et sous les ailes de ces puissants professeurs s'élèvent des jeunes gens du même pays, qui promettent de suivre d'aussi honorables exemples.

      Déjà les docteurs Janin et Manjot brûlent le pavé de Paris. Le docteur Manjot (rue du Bac, nº 39) s'adonne principalement aux maladies des enfants; ses inspirations sont heureuses, il doit bientôt en faire part au public.

      J'espère que tout lecteur bien né pardonnera cette digression à un vieillard, à qui trente-cinq ans de séjour à Paris n'ont fait oublier ni son pays ni ses compatriotes. Il m'en coûte déjà assez de passer sous silence tant de médecins dont la mémoire subsiste vénérée dans le pays qui les vit naître, et qui, pour n'avoir pas eu l'avantage de briller sur le grand théâtre, n'ont eu ni moins de science ni moins de mérite.

       Table des matières

      Pour offrir au public l'ouvrage que je livre à sa bienveillance, je ne me suis pas imposé un grand travail, je n'ai fait que mettre en ordre des matériaux rassemblés depuis longtemps; c'est une occupation amusante, que j'avais réservée pour ma vieillesse.

      En considérant le plaisir de la table sous tous ses rapports, j'ai vu de bonne heure qu'il y avait là-dessus quelque chose de mieux à faire que des livres de cuisine, et qu'il y avait beaucoup à dire sur des fonctions si essentielles, si continues, et qui influent d'une manière si directe sur la santé, sur le bonheur, et même sur les affaires.

      Cette idée-mère une fois arrêtée, tout le reste a coulé de source: j'ai regardé autour de moi, j'ai pris des notes, et souvent, au milieu des festins les plus somptueux, le plaisir d'observer m'a sauvé des ennuis du conviviat.

      (Voyez la Méditation X.)

      Je suis surtout médecin-amateur; c'est chez moi presque une manie, et je compte parmi mes plus beaux jours celui où, entré par la porte des professeurs et avec eux à la thèse de concours du docteur Cloquet, j'eus le plaisir d'entendre un murmure de curiosité parcourir l'amphithéâtre, chaque élève demandant à son voisin quel pouvait être le puissant professeur étranger qui honorait l'assemblée par sa présence.

      Il est cependant un autre jour dont le souvenir m'est, je crois, aussi cher: c'est celui où je présentai au conseil d'administration de la société d'encouragement pour l'industrie nationale, mon irrorateur, instrument de mon invention, qui n'est autre chose que la fontaine de compression appropriée à parfumer les appartements.

      J'avais apporté dans ma poche ma machine bien chargée; je tournai le robinet, et il s'en échappa, avec sifflement, une vapeur odorante qui, s'élevant jusqu'au plafond, retombait en gouttelettes sur les personnes et sur les papiers.

      C'est alors que je vis avec un plaisir inexprimable les têtes les plus savantes de la capitale se courber sous mon irroration, et je me pâmais d'aise en remarquant que les plus mouillés étaient aussi les plus heureux.

      En songeant quelquefois aux graves élucubrations auxquelles la latitude de mon sujet m'a entraîné, j'ai eu sincèrement la crainte d'avoir pu ennuyer; car, moi aussi, j'ai quelquefois bâillé sur les ouvrages d'autrui.

      J'ai fait tout ce qui a été en mon pouvoir pour échapper à ce reproche; je n'ai fait qu'effleurer tous les sujets qui ont pu s'y prêter: j'ai semé mon ouvrage d'anecdotes, dont quelques-unes me sont personnelles; j'ai laissé à l'écart un grand nombre de faits extraordinaires et singuliers, qu'une saine critique doit faire rejeter; j'ai réveillé l'attention en rendant claires et populaires certaines connaissances que les savants semblaient s'être réservées. Si, malgré tant d'efforts, je n'ai pas présenté à mes lecteurs de la science facile à digérer, je n'en dormirai pas moins sur les deux oreilles, bien certain que la majorité m'absoudra sur l'intention.

      On pourrait bien me reprocher encore que je laisse quelquefois trop courir ma plume, et que, quand je conte, je tombe un peu dans la garrulité. Est-ce ma faute à moi si je suis vieux? Est-ce ma faute si je suis comme Ulysse, qui avait vu les moeurs et les villes de beaucoup de peuples? Suis-je donc blâmable de faire un peu de ma biographie? Enfin il faut que le lecteur me tienne compte de ce que je lui fais grâce de mes Mémoires politiques, qu'il faudrait bien qu'il lût comme tant d'autres, puisque, depuis trente-six ans, je suis aux premières loges pour voir passer les hommes et les événements.

      Surtout qu'on se garde bien de me ranger parmi les compilateurs: si j'en avais été réduit là, ma plume se serait reposée, et je n'en aurais pas vécu moins heureux.

      J'ai dit, comme Juvénal:

      Semper ego auditor tantum! nunquamne reponam!

      et ceux qui s'y connaissent verront facilement qu'également accoutume au tumulte de la société et au silence du cabinet, j'ai bien fait de tirer partie de l'une et de l'autre de ces positions.

      Enfin, j'ai fait beaucoup pour ma satisfaction particulière; j'ai nommé plusieurs de mes amis qui ne s'y attendaient guère, j'ai rappelé quelques souvenirs aimables, j'en ai fixé d'autres qui allaient m'échapper; et, comme on dit dans le style familier, j'ai pris mon café.

      Peut-être bien qu'un seul lecteur, dans la catégorie des allongés, s'écriera: «J'avais bien besoin de savoir si... A quoi pense-t-il, en disant que... etc., etc.?» Mais je suis sûr que tous les autres lui imposeront silence, et qu'une majorité imposante accueillera avec bonté ces effusions d'un sentiment louable.

      Il me reste quelque chose à dire sur mon style, car le style est tout l'homme, dit Buffon.

      Et