Règne végétal.
29. Cependant le règne végétal ne présente à la nutrition ni moins de variétés ni moins de ressources.
La fécule nourrit parfaitement, et d'autant mieux qu'elle est moins mélangée de principes étrangers.
On entend par fécule la farine ou poussière qu'on peut obtenir des graines céréales, des légumineuses et de plusieurs espèces de racines, parmi lesquelles la pomme de terre tient jusqu'à présent le premier rang.
La fécule est la base du pain, des pâtisseries et des purées de toute espèce, et entre ainsi pour une très grande partie dans la nourriture de presque tous les peuples.
On a observé qu'une pareille nourriture amollit la fibre et même le courage. On en donne pour preuve les Indiens, qui vivent presque exclusivement de riz et qui se sont soumis à quiconque a voulu les asservir.
Presque tous les animaux domestiques mangent avec avidité la fécule, et ils sont, au contraire, singulièrement fortifiés, parce que c'est une nourriture plus substantielle que les végétaux secs ou verts qui sont leur pâture habituelle.
Le sucre n'est pas moins considérable, soit comme aliment, soit comme médicament.
Cette substance, autrefois reléguée aux Indes ou aux colonies, est devenue indigène au commencement de ce siècle. On l'a découverte et suivie dans le raisin, les navets, la châtaigne, et surtout dans la betterave; de sorte que, rigoureusement parlant, l'Europe pourrait, sous ce rapport, se suffire et se passer de l'Amérique ou de l'Inde. C'est un service éminent que la science a rendu à la société, et un exemple qui peut avoir dans la suite des résultats plus étendus. (Voyez ci-après, article sucre).
Le sucre, soit à l'état solide, soit dans les diverses plantes où la nature l'a placé, est extrêmement nourrissant; les animaux en sont friands, et les Anglais, qui en donnent beaucoup à leurs chevaux de luxe, ont remarqué qu'ils en soutiennent bien mieux les diverses épreuves auxquelles on les soumet.
Le sucre, qu'aux jours de Louis XIV on ne trouvait que chez les apothicaires, a donné naissance à diverses professions lucratives, telles que les pâtissiers du petit-four, les confiseurs, les liquoristes et autres marchands de friandises.
Les huiles douces proviennent ainsi du règne végétal; elles ne sont esculentes qu'autant qu'elles sont unies à d'autres substances, et doivent surtout être regardées comme un assaisonnement.
Le gluten, qu'on trouve particulièrement dans le froment, concourt puissamment à la fermentation du pain dont il fait partie; les chimistes ont été jusqu'à lui donner une nature animale.
On a fait à Paris, pour les enfants et les oiseaux, et pour les hommes dans quelques départements, des pâtisseries où le gluten domine, parce qu'une partie de la fécule a été soustraite au moyen de l'eau.
Le mucilage doit sa qualité nutritive aux diverses substances auxquelles il sert de véhicule.
La gomme peut devenir, au besoin, un aliment; ce qui ne doit pas étonner, puisqu'à très peu de chose près elle contient les mêmes éléments que le sucre.
La gélatine végétale qu'on extrait de plusieurs espèces de fruits, notamment des pommes, des groseilles, des coings, et de quelques autres, peut aussi servir d'aliment: elle en fait mieux la fonction, unie au sucre, mais toujours beaucoup moins que les gelées animales qu'on tire des os, des cornes, des pieds de veau et de la colle de poisson. Cette nourriture est en général légère, adoucissante et salutaire. Aussi la cuisine et l'office s'en emparent et se la disputent.
Différence du gras au maigre.
Au jus près, qui, comme nous l'avons dit, se compose d'osmazôme et d'extractif, on trouve dans les poissons la plupart des substances que nous avons signalées dans les animaux terrestres, telles que la fibrine, la gélatine, l'albumine: de sorte qu'on peut dire avec raison que c'est le jus qui sépare le régime gras du maigre.
Ce dernier est encore marqué par une autre particularité: c'est que le poisson contient en outre une quantité notable de phosphore et d'hydrogène, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus combustible dans la nature. D'où il suit que l'ichthyophagie est une diète échauffante: ce qui pourrait légitimer certaines louanges données jadis à quelques ordres religieux, dont le régime était directement contraire à celui de leurs voeux déjà réputé le plus fragile.
Observations particulières.
30.--Je n'en dirai pas davantage sur cette question de physiologie; mais je ne dois pas omettre un fait dont on peut facilement vérifier l'existence:
Il y a quelques années que j'allai voir une maison de campagne, dans un petit hameau des environs de Paris, situé sur le bord de la Seine, en avant de l'île de Saint-Denis, et consistant principalement en huit cabanes de pécheurs. Je fus frappé de la quantité d'enfants que je vis fourmiller sur la route.
J'en marquai mon étonnement au batelier avec lequel je traversai la rivière. «Monsieur, me dit-il, nous ne sommes ici que huit familles, et nous avons cinquante-trois enfants, parmi lesquels il se trouve quarante-neuf filles et seulement quatre garçons, et de ces quatre garçons, en voilà un qui m'appartient.» En disant ces mots, il se redressait d'un air de triomphe, et me montrait un petit marmot de cinq à six ans, couché sur le devant du bateau, où il s'amusait à gruger des écrevisses crues. Ce petit hameau s'appelle...
De cette observation qui remonte à plus de dix ans, et de quelques autres que je ne puis pas aussi facilement indiquer, j'ai été amené à penser que le mouvement génésique causé par la diète ichthyaque pourrait bien être plus irritant que pléthorique et substantiel; et j'y persiste d'autant plus volontiers que, tout récemment, le docteur Bailly a prouvé, par une suite de faits observés pendant près d'un siècle, que toutes les fois que, dans les naissances annuelles, le nombre des filles est notablement plus grand que celui des garçons, la surabondance des femelles est toujours due à des circonstances débilitantes; ce qui pourrait bien nous indiquer aussi l'origine des plaisanteries qu'on a faites de tout temps au mari dont la femme accouche d'une fille.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les aliments considérés dans leur ensemble, et sur les diverses modifications qu'ils peuvent subir par le mélange qu'on peut en faire; mais j'espère que ce qui précède suffira, et au-delà, pour le plus grand nombre de mes lecteurs. Je renvoie les autres au traité ex professo, et je finis par deux considérations qui ne sont pas sans quelque intérêt.
La première est que l'animalisation se fait à peu près de la même manière que la végétation, c'est-à-dire que le courant réparateur formé par la digestion est aspiré de diverses manières par les cribles ou suçoirs dont nos organes sont pourvus, et devient chair, ongle, os ou cheveu, comme la même terre arrosée de la même eau produit un radis, une laitue ou un pissenlit, selon les graines que le jardinier lui a confiées.
La seconde est qu'on n'obtient point, dans l'organisation vitale, les mêmes produits que dans la chimie absolue; car les organes destinés à produire la vie et le mouvement agissent puissamment sur les principes qui leur sont soumis.
Mais la nature, qui se plaît à s'envelopper de voiles et à nous arrêter au second ou au troisième pas, a caché le laboratoire où elle fait ses transformations; et il est véritablement difficile d'expliquer comment, étant convenu que le corps humain contient de la chaux, du phosphore, du fer et dix autres substances encore, tout cela peut cependant se soutenir et se renouveler pendant plusieurs années avec du pain et de l'eau.