Physiologie du goût. Brillat-Savarin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Brillat-Savarin
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084646
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astronomes.

      Celui qui, le premier, exprima par des caractères cette proposition si simple: deux plus deux égalent quatre, créa les mathématiques, cette science si puissante, et qui a véritablement élevé l'homme sur le trône de l'univers.

      Dans le cours des soixante dernières années qui viennent de s'écouler, plusieurs sciences nouvelles sont venues prendre place dans le système de nos connaissances, et entre autres la stéréotomie, la géométrie descriptive et la chimie des gaz.

      Toutes ces sciences, cultivées pendant un nombre infini de générations, feront des progrès d'autant plus sûrs que l'imprimerie les affranchit du danger de reculer. Eh! qui sait, par exemple, si la chimie des gaz ne viendra pas à bout de maîtriser ces éléments jusqu'à présent si rebelles, de les mêler, et d'obtenir par ce moyen des substances jusqu'ici non tentées, et d'obtenir par ce moyen des substances et des effets qui reculeraient de beaucoup les limites de nos pouvoirs!

       Origine de la gastronomie.

       17.

      A gastronomie s'est présentée à son tour, et toutes ses soeurs se sont approchées pour lui faire place.

      Eh! que pouvait-on refuser à celle qui nous soutient de la naissance au tombeau, qui accroît les délices de l'amour et la confiance de l'amitié, qui désarme la haine, facilite les affaires, et nous offre, dans le court trajet de la vie, la seule jouissance qui, n'étant pas suivie de fatigue, nous délasse encore de toutes les autres!

      Sans doute, tant que les préparations ont été exclusivement confiées à des serviteurs salariés, tant que les cuisiniers seuls se sont réservé cette matière et qu'on n'a écrit que des dispensaires, les résultats de ces travaux n'ont été que les produits d'un art.

      Mais enfin, trop tard peut-être, les savants se sont approchées.

      Ils ont examiné, analysé et classé les substances alimentaires, et les ont réduites à leurs plus simples éléments.

      Ils ont sondé les mystères de l'assimilation, et, suivant la matière inerte dans ses métamorphoses, ils ont vu comment elle pouvait prendre vie.

      Ils ont suivi la diète dans ses effets passagers ou permanents, sur quelques jours, sur quelques mois, ou sur toute la vie.

      Ils ont apprécié son influence jusque sur la faculté de penser, soit que l'âme se trouve impressionnée par les sens, soit qu'elle sente sans le secours de ses organes; et de tous ces travaux ils ont déduit une haute théorie, qui embrasse tout l'homme et toute la partie de la création qui peut s'animaliser.

      Tandis que toutes ces choses se passaient dans les cabinets des savants, on disait tout haut dans les salons que la science qui nourrit les hommes vaut bien au moins celle qui enseigne à les faire tuer; les poètes chantaient les plaisirs de la table, et les livres qui avaient la bonne chère pour objet présentaient des vues plus profondes et des maximes d'un intérêt plus général.

      Telles sont les circonstances qui ont précédé l'avènement de la gastronomie.

       Définition de la gastronomie.

      18.--La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit.

      Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible.

      Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments.

      Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.

      La gastronomie tient:

      À l'histoire naturelle, par la classification qu'elle fait des substances alimentaires;

      A la physique, par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités;

      A la chimie, par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir;

      A la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût;

      Au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre;

      Enfin, à l'économie politique, par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations.

      La gastronomie régit la vie tout entière; car les pleurs du nouveau-né appellent le sein de sa nourrice; et le mourant reçoit encore avec quelque plaisir la potion suprême qu'hélas! il ne doit plus digérer.

      Elle s'occupe aussi de tous les états de la société; car si c'est elle qui dirige les banquets des rois rassemblés, c'est encore elle qui a calculé le nombre de minutes d'ébullition qui est nécessaire pour qu'un oeuf soit cuit à point.

      Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être mangé; son but direct, la conservation des individus, et ses moyens d'exécution, la culture qui produit, le commerce qui échange, l'industrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout disposer pour le meilleur usage.

       Objets divers dont s'occupe la gastronomie.

       19.

      A gastronomie considère le goût dans ses jouissances comme dans ses douleurs; elle a découvert les excitations graduelles dont il est susceptible; elle en a régularisé l'action, et a posé les limites que l'homme qui se respecte ne doit jamais outrepasser.

      Elle considère aussi l'action des aliments sur le moral de l'homme, sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses perceptions, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il agisse, soit qu'il repose.

      C'est la gastronomie qui fixe le point d'esculence de chaque substance alimentaire; car toutes ne sont pas présentables dans les mêmes circonstances.

      Les unes doivent être prises avant que d'être parvenues à leur entier développement, comme les câpres, les asperges, les cochons de lait, les pigeons à la cuiller, et autres animaux qu'on mange dans leur premier âge; d'autres, au moment où elles ont atteint toute la perfection qui leur est destinée, comme les melons, la plupart des fruits, le mouton, le boeuf, et tous les animaux adultes; d'autres, quand elles commencent à se décomposer, telles que le nèfles, la bécasse, et surtout le faisan; d'autres, enfin, après que les opérations de l'art leur ont ôté leurs qualités malfaisantes, telles que la pomme de terre, le manioc, et d'autres.

      C'est encore la gastronomie qui classe ces substances d'après leurs qualités diverses, qui indique celles qui peuvent s'associer, et qui, mesurant leurs divers degrés d'alibilité, distingue celles qui doivent faire la base de nos repas d'avec celles qui n'en sont que les accessoires et d'avec celles encore qui, n'étant déjà plus nécessaires, sont cependant une distraction agréable, et deviennent l'accompagnement obligé de la confabulation conviviale.

      Elle ne s'occupe pas avec moins d'intérêt des boissons qui nous sont destinées, suivant le temps, les lieux et les climats. Elle enseigne à les préparer, à les conserver, et surtout à les présenter dans un ordre tellement calculé que la jouissance qui en résulte aille toujours en augmentant, jusqu'au moment où le plaisir finit et où l'abus commence.

      C'est la gastronomie qui inspecte les hommes et les choses, pour transporter d'un pays à l'autre tout ce qui mérite d'être connu, et qui fait qu'un festin savamment ordonné est comme