Ces échauguettes pouvaient recevoir un fauconneau; elles étaient ordinairement revêtues de combles en dalles posées sur une voûte, décorées d'armoiries et d'autres ornements qui donnaient aux saillants des boulevards un certain air monumental. Le temps et les boulets ont laissé peu de traces de ces petits ouvrages que nous ne retrouvons plus que dans d'anciennes gravures; et c'est à peine si, aujourd'hui, sur nos vieux bastions français, on aperçoit quelques assises des encorbellements qui portaient ces sortes d'échauguettes.
Sur les boulevards en terre et clayonnages dont on fit un grand usage pendant les guerres du XVIe siècle pour couvrir d'anciennes fortifications, on établissait des échauguettes en bois en dehors de l'angle saillant des bastions et au milieu des courtines (18 bis), afin de permettre aux sentinelles de voir ce qui se passait au fond des fossés. Ces sortes d'échauguettes sont employées jusqu'au XVIIe siècle.
On établissait aussi des échauguettes transitoires en bois sur les chemins de ronde des fortifications du moyen âge; ces échauguettes se reliaient aux hourds et formaient des sortes de bretèches (voy. ce mot). Quant aux échauguettes à demeure en charpente, nous les avons scrupuleusement détruites en France. À peine si nous en apercevons les traces sur quelques tours ou clochers. Pour trouver de ces sortes d'ouvrages encore entiers, il faut se décider à passer le Rhin et parcourir l'Allemagne conservatrice.
Sur le bord oriental du lac de Constance est une charmante petite ville qui a nom Lindau; c'est une tête du chemin de fer bavarois. Lindau a respecté ses murailles du moyen âge, avec quelques-unes des anciennes tours flanquantes. L'une de ces tours, dont la construction remonte au XIVe siècle, est couronnée de quatre échauguettes du XVe siècle, en bois, posant sur des encorbellements de pierre.
Voici (19) l'ensemble de cette construction. Les combles sont couverts en tuiles vernissées, avec boules et girouettes en cuivre doré. Depuis le XVe siècle, pas une main profane n'a touché cette innocente défense que pour l'entretenir; aucun Conseil municipal n'a prétendu que les bois du comble fussent pourris ou que la tour gênât les promeneurs.
Nous donnons (20) le détail de l'une de ces quatre échauguettes, dont les pans-de-bois sont hourdés en maçonnerie, avec meurtrières sur chacune des faces. Il suffit de jeter les yeux sur les gravures d'Israël Sylvestre, de Mérian, de Chastillon, pour constater qu'en France toutes les villes du Nord et de l'Est renfermaient quantité de ces tours couronnées d'échauguettes qui se découpaient si heureusement sur le ciel et donnaient aux cités une physionomie pittoresque. Aujourd'hui nous en sommes réduits à admirer ces restes du passé en Allemagne, en Belgique ou en Angleterre.
Dans la campagne, et surtout dans les pays de plaines, les combles des tours des châteaux se garnissaient d'échauguettes qui permettaient de découvrir au loin ce qui se passait; la Picardie et les Flandres surmontaient les combles de leurs donjons d'échauguettes de bois recouvertes de plomb ou d'ardoises. Les gravures nous ont conservé quelques-unes de ces guettes de charpenterie. Nous donnons ici l'une d'elles (21) en A 53.
À la base du pignon se voient deux autres échauguettes de pierre B, à deux étages, flanquant le chemin de ronde des mâchicoulis.
Nous retrouvons encore la tradition de ces guettes couronnant les combles des tours dans la plupart des châteaux de la Renaissance, comme à Chambord, à Tanlay, à Ancy-le-Franc, et, plus tard, au château de Richelieu en Poitou, de Blérancourt en Picardie, etc. Ce ne fut que sous le règne de Louis XIV, et lorsque les combles ne furent plus de mise sur les édifices publics ou privés, que disparurent ces derniers restes de la guette du château féodal.
Les combles des beffrois de ville étaient souvent munies d'échauguettes de bois. Comme les combles des donjons, on a eu grand soin de les détruire chez nous, et il nous faut sans cesse avoir recours aux anciennes gravures si nous voulons prendre une idée de leur disposition. La plupart des tours de beffrois des villes du nord en France, élevées pendant les XIIIe et XIVe siècles, étaient carrées 54; elles se terminaient par une galerie fermée ou à ciel ouvert, avec échauguettes aux angles; de plus, le comble en charpente, très-élevé et très-orné généralement (car les villes attachaient une sorte de gloire à posséder un beffroi magnifique), était percé de lanternes ou d'échauguettes, servant de guérites au guetteur. Il nous faut bien, cette fois encore, emprunter aux pays d'outre-Rhin, pour appuyer nos descriptions sur des monuments. Retournons donc à Prague, la ville des échauguettes, et celle dont l'architecture gothique se rapproche le plus de notre école picarde.
La cathédrale de cette ville possède deux tours sur sa façade occidentale dont les couronnements affectent bien plutôt la forme de nos beffrois municipaux du Nord que celle d'un clocher d'église. Ces tours, à défaut d'autres renseignements existants, vont nous servir à reconstituer les échauguettes des tours de ville des XIVe et XVe siècles.
Sur un dernier étage carré (22) s'épanouit un large encorbellement décoré d'écussons armoyés aux quatre angles; cet encorbellement arrive à former des portions d'octogones, ainsi que l'indique le plan A. Une balustrade de pierre pourtourne le couronnement et est surmontée aux angles de logettes également en pierre couvertes de pavillons aigus en charpente. En retraite, sur le parement intérieur de la tour, s'élève un grand comble à huit pans sur quatre faces duquel sont posées des échauguettes en bois couvertes aussi de pyramides à huit pans. Tous ces combles sont revêtus d'ardoises et de plomb, avec épis, boules, girouettes. Quatre petits combles diagonaux permettent de passer à couvert de la base de la charpente dans chacune des échauguettes d'angle.
La fig. 23 donne le détail de l'une des quatre échauguettes supérieures du comble. C'était un couronnement de ce genre, mais plus somptueux probablement, qui devait terminer le beffroi de la ville d'Amiens construit vers 1410 et brûlé en 1562. Un guetteur avait charge, du haut de ce beffroi, de sonner les cloches pour annoncer le bannissement de quelque malfaiteur, les incendies qui se déclaraient dans la ville ou la banlieue, pour donner l'alarme s'il voyait s'avancer vers la cité une troupe d'hommes d'armes, pour prévenir les sentinelles posées aux portes. Le son différent des cloches mises en branle faisait connaître aux habitants le motif pour lequel on les réunissait. Ce guetteur, au XVe siècle, recevait pour traitement un écu quarante sols par an, plus une cotte en drap moitié rouge moitié bleu qu'il portait à cause des «grans vans et froidures estant au hault dudict beffroi.» Il logeait dans la tour, devait jouer de sa «pipette» à la sonnerie du matin; il cornait pour annoncer aux bourgeois rassemblés hors la ville, à l'occasion de quelque fête ou cérémonie, qu'ils pouvaient être en paix et que rien de fâcheux ne survenait dans la cité. Il lui fallait aussi jouer certains airs lorsque des processions circulaient dans la ville 55. C'était, on en conviendra, un homme qui gagnait bien un écu quarante sols et un habit rouge et bleu par an.
Certains moustiers, certaines églises étaient fortifiées pendant le moyen âge, et ces églises étant habituellement entourées de contre-forts, on surmontait ceux-ci d'échauguettes. On voit encore, sur la façade occidentale de l'église abbatiale de Saint-Denis, des traces d'échauguettes circulaires bâties au XVe siècle sur les contre-forts du XIIe.