Du jour où chacun n'eut plus à songer à sa défense personnelle, l'échauguette disparut de nos édifices civils ou religieux; et il faut reconnaître que la gendarmerie de notre temps remplace avec avantage ces petits postes de surveillance.
«De l'échargaite, por Dieu, qu'en sera-t-il?»
Ce mot est formé de scara, interprété dans les monuments du VIIIe siècle par turma, acies, et de wachte, garde. Scaraguayta.
ÉCHELLE, s. f. Nous ne parlons pas ici de l'échelle dont se servent les ouvriers pour monter sur les échafauds, non plus des échelles qui étaient en permanence sur les places réservées aux exécutions, et auxquelles on attachait les gens coupables de faux serments ou de quelque délit honteux pour les laisser ainsi exposés aux quolibets de la foule 56. Nous ne nous occupons que de l'échelle relative. En architecture, on dit «l'échelle d'un monument... Cet édifice n'est pas à l'échelle.» L'échelle d'une cabane à chien est le chien, c'est-à-dire qu'il convient que cette cabane soit en proportion avec l'animal qu'elle doit contenir. Une cabane à chien dans laquelle un âne pourrait entrer et se coucher ne serait pas à l'échelle.
Ce principe, qui paraît si naturel et si simple au premier abord, est cependant un de ceux sur lesquels les diverses écoles d'architecture (de notre temps) s'entendent le moins. Nous avons touché cette question déjà dans l'article ARCHITECTURE, et notre confrère regretté, M. Lassus, l'avait traitée avant nous 57. Dans la pratique, cependant, il ne semble pas que les observations mises en avant sur ce sujet aient produit des résultats. Nous n'avons pas la vanité de nous en étonner; nous croyons simplement que nos explications n'ont été ni assez étendues ni assez claires. Il faut donc reprendre la question et la traiter à fond, car elle en vaut la peine.
Les Grecs, dans leur architecture, ont admis un module, on n'en saurait douter; ils ne paraissent pas avoir eu d'échelle. Ainsi, qu'un ordre grec ait cinq mètres ou dix mètres de hauteur, les rapports harmoniques sont les mêmes dans l'un comme dans l'autre, c'est-à-dire, par exemple, que si le diamètre de la colonne à la base est un, la hauteur de la colonne sera six, et l'entre-colonnement un et demi vers le milieu du fût, dans le petit comme dans le grand ordre. En un mot, la dimension ne paraît pas changer les proportions relatives des divers membres de l'ordre. Cependant les Grecs ont été pourvus de sens si délicats qu'on ne saurait guère admettre chez eux la non application d'un principe vrai en matière d'art, sans une cause majeure. Nous ignorons le mécanisme harmonique de l'architecture grecque; nous ne pouvons que constater ses résultats sans avoir découvert, jusqu'à présent, ses formules. Nous reconnaissons bien qu'il existe un module, des tonalités différentes, des règles mathématiques, mais nous n'en possédons pas la clef, et Vitruve ne peut guère nous aider en ceci, car lui-même ne semble pas avoir été initié aux formules de l'architecture grecque des beaux temps, et ce qu'il dit au sujet des ordres n'est pas d'accord avec les exemples laissés par ses maîtres. Laissons donc ce problème à résoudre, ne voyons que l'apparence. Si nous considérons seulement les deux architectures mères des arts du moyen âge, c'est-à-dire l'architecture grecque et l'architecture romaine, nous trouvons dans la première un art complet, tout d'une pièce, conséquent, formulé, dans lequel l'apparence est d'accord avec le principe; dans la seconde, une structure indépendante souvent de l'apparence, le besoin et l'art, l'objet et sa décoration. Le besoin étant manifesté dans l'architecture romaine, étant impérieux même habituellement, et le besoin se rapportant à l'homme, l'harmonie pure de l'art grec est détruite; l'échelle apparaît déjà dans les édifices romains; elle devient impérieuse dans l'architecture du moyen âge. De même que, dans la société antique, l'individu n'est rien, qu'il est le jouet du destin, qu'il est perdu dans la chose publique, aussi ne peut-il exercer une influence sur la forme ou les proportions des monuments qu'il élève. Un temple est un temple; il est grand, si la cité peut le faire grand; il est petit, si sa destination ou la pénurie des ressources exige qu'il soit petit; s'il est grand, il y a une grande porte; s'il est petit, il n'a qu'une petite porte. Les impossibilités résultant de la nature des matériaux mettent seules une limite aux dimensions du grand monument, comme l'obligation de passer sous une porte empêche seule qu'elle ne s'abaisse au-dessous de la taille humaine; mais il ne venait certainement pas à l'esprit d'un Grec de mettre en rapport son édifice avec lui-homme, comme il ne supposait pas que son moi pût modifier les arrêts du destin. Les rapports harmoniques qui existent entre les membres d'un ordre grec sont si bien commandés par l'art et non par l'objet, que, par exemple, un portique de colonnes doriques devant toujours s'élever sur un socle composé d'assises en retraite les unes sur les autres comme des degrés, la hauteur de ces degrés devant être dans un rapport harmonique avec le diamètre des colonnes, si le diamètre de ces colonnes est tel que chacun des degrés ait la hauteur d'une marche ordinaire, c'est tant mieux pour les jambes de ceux qui veulent entrer sous le portique. Mais si le diamètre de ces colonnes est beaucoup plus grand, la hauteur harmonique des degrés augmentera en proportion; il deviendra impossible à des jambes humaines de les franchir, et comme, après tout, il faut monter, on pratiquera, à même ces degrés, des marches sur quelques points, comme une concession faite par l'art aux besoins de l'homme, mais faite, on s'en aperçoit, avec regret. Évidemment le Grec considérait les choses d'art plutôt en amant qu'en maître. Chez lui, l'architecture n'obéissait qu'à ses propres lois. Cela est bien beau assurément, mais ne peut exister qu'au milieu d'une société comme la société grecque, chez laquelle le culte, le respect, l'amour et la conservation du beau étaient l'affaire principale. Rendez-nous ces temps favorables, ou mettez vos édifices à l'échelle. D'ailleurs il ne faut pas espérer pouvoir en même temps sacrifier à ces deux principes opposés. Quand, dans une cité, les édifices publics et privés sont tous construits suivant une harmonie propre, tenant à l'architecture elle-même, il s'établit entre ces oeuvres de dimensions très-différentes des rapports qui probablement donnent aux yeux le plaisir que procure à l'ouïe une symphonie bien écrite. L'oeil fait facilement abstraction de la dimension quand les proportions sont les mêmes, et on conçoit très-bien qu'un Grec éprouvât autant de plaisir à voir un petit ordre établi suivant les règles harmoniques qu'un grand; qu'il ne fût pas choqué de voir le petit et le grand à côté l'un de l'autre, pas plus qu'on n'est choqué d'entendre une mélodie chantée par un soprano et une basse-taille. Peut-être même les Grecs établissaient-ils dans les relations entre les dimensions les rapports harmoniques que nous reconnaissons entre des voix chantant à l'octave. Peut-être les monuments destinés à être vus ensemble étaient-ils composés par antiphonies? Nous pouvons bien croire que les Grecs ont été capables de tout en fait d'art, qu'ils éprouvaient par le sens de la vue des jouissances que nous sommes trop grossiers pour jamais connaître.
Le mode grec, que les Romains ne comprirent pas, fut perdu. À la place de ces principes harmoniques, basés sur le module abstrait, le moyen âge émit un autre principe, celui de l'échelle,