Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Техническая литература
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de 0,30 c. à 0,40 c. de hauteur, on arrivait, en G, dans la seconde enceinte du donjon, bâti sur le penchant de l'escarpement. En K est tracée la coupe transversale de ce souterrain. Il était absolument impossible de forcer une semblable entrée, et l'assaillant qui se serait emparé du château eût été facilement écrasé par la garnison du donjon. Voyons maintenant comment sont disposées les défenses du donjon proprement dit, placé, à La Roche-Guyon, dans une position exceptionnelle.

      Voici (22) le plan, à rez-de-chaussée, de ce donjon. C'est en A que débouche le passage souterrain; à côté sont disposées des latrines dans l'épaisseur de la chemise. Un petit redan commande l'orifice inférieur du tuyau de chute de ces latrines. Du débouché A pour monter au donjon, il faut se détourner brusquement à droite et monter le degré B qui aboutit à la poterne C. À gauche, on trouve l'escalier à vis qui dessert les étages supérieurs. Le palier devant la poterne, à l'extérieur, était en bois et mobile, ainsi que le ponceau D qui aboutissait au chemin de ronde E, commandant l'escarpement. En P est un puits; en S, un petit silo destiné à conserver des salaisons 24. De l'enceinte intérieure du donjon, on débouchait dans l'enceinte extérieure par deux poternes GG', qui sont intactes. Passant sur une fosse F, les assiégés pouvaient sortir au dehors par la poterne extérieure H, parfaitement défendue par les deux parapets se coupant à angle droit. En I, à une époque assez récente, on a percé une seconde poterne extérieure; mais, primitivement, la tour I était pleine et formait un éperon épais et défendable du côté où l'assaillant devait diriger son attaque. Un fossé taillé dans le roc entourait la première enceinte, et un système de palissades et de tranchées reliait le donjon à un ouvrage avancé indiqué dans les fig. 8 et 9 de l'article CHÂTEAU. Si nous coupons le donjon longitudinalement sur la ligne OX, nous obtenons la fig. 23.

      Dans cette coupe, on voit comme les deux chemises de la tour principale s'élèvent en suivant la pente du plateau pour commander les dehors du côté attaquable, comme ces chemises et la tour elle-même forment éperons de ce côté. De la tour principale, la garnison se répandait sur le chemin de ronde de la seconde chemise au moyen du pont volant indiqué en D au plan; par une suite de degrés, elle arrivait au point culminant R. Par des portes ménagées dans le parapet de cette seconde enceinte, elle se jetait sur le chemin de ronde de la première, dont le point culminant est en T. Un assaillant ne pouvait songer à attaquer le donjon par les deux flancs M et N (voy. le plan fig. 22). Il devait nécessairement diriger son attaque principale au sommet de l'angle en I; mais là, s'il voulait escalader les remparts, il trouvait derrière les parapets les défenseurs massés sur une large plate-forme; s'il voulait employer la sape, il rencontrait une masse énorme de rocher et de maçonnerie. En admettant qu'il pût pénétrer entre la première et la seconde enceinte, il lui était difficile de monter sur le chemin de ronde de la chemise extérieure, et il se trouvait exposé aux projectiles lancés du haut des chemins de ronde de la première et de la seconde chemise. Les mêmes difficultés se rencontraient s'il voulait percer cette seconde chemise. S'il parvenait à la franchir, il lui était impossible de se maintenir et d'agir dans l'étroit espace laissé entre la seconde chemise et la tour. Il n'y avait d'autre moyen de s'emparer de ce donjon que de cheminer, par la mine souterraine, du point I au point S; or on comprend qu'une pareille entreprise fût longue et d'une exécution difficile, d'autant que l'assiégé pouvait contre-miner facilement entre les deux chemises et détruire les travaux des assiégeants.

      L'élévation latérale (24) indique la pente du plateau de craie, son escarpement fait à main d'homme, la position des souterrains communiquant avec le château et les niveaux différents des parapets des deux chemises, ainsi que le commandement de la tour principale. Tout, dans cette construction entièrement dépourvue d'ornements, est profondément calculé au point de vue de la défense. Le renforcement des murs des deux chemises, à mesure que ces murs prennent plus d'élévation et se rapprochent du point attaquable, la disposition des éperons destinés à résister à la sape et à recevoir un nombre considérable de défenseurs à l'extrémité du saillant en face la partie dominante du plateau, la manière dont les poternes sont disposées de façon à être masquées pour les assaillants, tout cela est fort sagement conçu et exécuté avec soin. Ici la règle «ce qui défend doit être défendu» est parfaitement observée. Les constructions sont bien faites, en moellons avec arêtes, arcs et pieds-droits en pierre de taille. Dans cette bâtisse, pas un profil, pas un coup de ciseau inutile; celui qui l'a commandée et celui qui l'a exécutée n'ont eu que la pensée d'élever sur ce promontoire un poste imprenable; l'artillerie moderne seule peut avoir raison de cette petite forteresse.

      Il est certain que les seigneurs féodaux qui habitaient ces demeures devaient y mourir d'ennui, lorsqu'ils étaient obligés de s'y renfermer (ce qui arrivait souvent); aussi ne doit-on pas s'étonner si, à la fin du XIe siècle et pendant le XIIe, ils s'empressèrent de se croiser et de courir les aventures en terre sainte. Pendant les longues heures de loisir laissées à un châtelain enfermé dans un de ces tristes donjons, l'envie, les sentiments de haine et de défiance devaient germer et se développer sans obstacles; mais aussi, dans les âmes bien faites, les résolutions généreuses, mûries, les pensées élevées devaient se faire jour: car si la solitude est dangereuse pour les esprits faibles, elle développe et agrandit. les coeurs bien nés. C'est, en effet, du fond de ces sombres donjons que sont sortis ces principes de chevalerie qui ont pris dans l'histoire de notre pays une si large part, et qui, malgré bien des fautes, ont contribué à assurer sa grandeur. Respectons ces débris; s'ils rappellent des abus odieux, des crimes même, ils conservent l'empreinte de l'énergie morale dont heureusement nous possédons encore la tradition.

      On observera que les donjons romans que nous avons reproduits jusqu'à présent ne sont pas voûtés à l'intérieur, mais que leurs étages sont habituellement séparés par des planchers de bois; les défenseurs admettaient qu'un étage inférieur étant pris, la défense pouvait encore se prolonger et la garnison reprendre l'offensive. L'assaillant avait cependant un moyen bien simple de s'emparer de la forteresse s'il parvenait à pénétrer dans les étages bas: c'était de mettre le feu aux planchers. Les assiégés devaient déployer une bien grande activité s'ils voulaient empêcher cette catastrophe. Il est certain que ce moyen fut souvent employé par des assaillants; aussi pensa-t-on bientôt à voûter au moins les étages inférieurs des donjons.

      Il existe encore à Provins un donjon bâti sur le point culminant de cette ville, si curieuse par la quantité d'édifices publics et privés qu'elle renferme: c'est la tour dite de César, ou la Tour-le-Roi, ou Notre-Sire-le-Roi. C'est un véritable donjon dont relevaient la plupart des fiefs du domaine de Provins, et qui fut construit vers le milieu du XIIe siècle. Le donjon de Provins présente en plan un octogone à quatre côtés plus petits que les quatre autres, les petits côtés étant flanqués de tourelles engagées à leur base, mais qui, se détachant du corps de la construction dans la partie supérieure, permettent ainsi de battre tous les alentours. Ce donjon pouvait être garni d'un grand nombre de défenseurs, à cause des différents étages en retraite et de la position flanquante des tourelles.

      Voici (25) le plan du rez-de-chaussée de ce donjon dont la base fut terrassée, au XVe siècle, par les Anglais, pour recevoir probablement de l'artillerie à feu. En C, on voit la place qu'occupe ce terrassement. En P est un puits auquel on descend par une rampe dont l'entrée est en F. En G, un four établi au XVe siècle; en H, une ancienne chapelle.

      La fig. 26 donne le plan du premier étage de ce donjon; c'est seulement au niveau de cet étage que l'on trouvait quatre poternes I mises en communication avec la chemise extérieure au moyen de ponts volants. D'un côté, au sud, l'un de ces ponts volants, tombant sur une chaussée détournée, correspondait au mur de prolongement D aboutissant à la porte de Paris


<p>24</p>

Dans cette petite excavation, les pierres sont profondément pénétrées de sel.