Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Техническая литература
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carrée, posée sur un de ses côtés, contenait dans l'origine de petits cabinets et un escalier de bois couronné d'une défense et ne montant que jusqu'au troisième étage. On arrivait à la défense du sommet par un escalier à vis pratiqué dans un des contre-forts d'angle. Les parties supérieures du donjon furent refaites au XIVe siècle et conformément au système de défense de cette époque; mais, des dispositions premières, il reste encore trois étages et un chemin de ronde supérieur extrêmement curieux. Le plan du donjon de Chambois est donné ci-contre par la fig. 11.

      On voit, en A, la tourelle carrée accolée au corps de logis et dans laquelle, au XIVe siècle, on a fait un escalier à vis. Ce donjon n'était pas voûté, non plus que la plupart des donjons normands; les étages étaient séparés par des planchers en bois portés sur des corbelets intérieurs. Sa porte est relevée à six mètres au-dessus du sol, et s'ouvre sur le flanc de la tour carrée contenant l'escalier en bois; on ne pouvait arriver à cette porte, dont le seuil est au niveau du plancher du premier étage, qu'au moyen d'une échelle, et le donjon ne se défendait, dans sa partie inférieure, que par l'épaisseur de ses murs. Au commencement du XIVe siècle, l'ancien crénelage fut remplacé par un parapet avec mâchicoulis, créneaux et meurtrières. Sur les quatre contre-forts d'angle furent élevées de belles échauguettes avec étage supérieur crénelé, à la place, probablement, des anciennes échauguettes flanquantes.

      Voici (12) l'élévation du donjon de Chambois du côté de la petite tour carrée avant la construction des crénelages du XIVe siècle. La bâtisse du XIIe siècle s'élève intacte aujourd'hui jusqu'au niveau B; c'est au niveau C que s'ouvre la poterne. Mais la particularité la plus curieuse du donjon de Chambois consiste en un chemin de ronde supérieur qui, sous le crénelage, mettait les quatre échauguettes et la petite tour accolée en communication les unes avec les autres, sans qu'il fût nécessaire de passer dans la salle centrale occupée par le commandant. La défense était ainsi complétement indépendante de l'habitation, et elle occupait deux étages, l'un couvert, l'autre découvert. Voici, en coupe (13), quelle est la disposition de ce chemin de ronde couvert qui fait le tour du donjon et réunit les échauguettes sous le crénelage. Ce chemin de ronde existe encore à peu près complet. Le donjon est construit en moellons réunis par un excellent mortier; les contre-forts d'angle sont bâtis en petites pierres d'appareil, ainsi que les entourages des baies.

      Les donjons carrés, comme celui d'Arques, ceux de Loches, de Beaugency, de Domfront, de Falaise, de Broue, de Pons, de Nogent-le-Rotrou, de Montrichard, de Montbason, de Chauvigny, de Blanzac, de Pouzanges (Vendée), qui tous sont construits sous l'influence normande, pendant les XIe et XIIe siècles, n'étaient guère, à l'époque même où ils furent élevés, que des défenses passives, se gardant plutôt par leur masse, par l'épaisseur de leurs murs et la difficulté d'accès, que par des défenses proprement dites. C'étaient des retraites excellentes lorsqu'il n'était besoin que de se garantir contre des troupes armées d'arcs et d'arbalètes, possédant quelques engins imparfaits, et ne pouvant recourir, en dernier ressort, qu'à la sape. Mais si de l'intérieur de ces demeures on méprisait des assaillants munis de machines de guerre d'une faible puissance, on ne pouvait non plus leur causer des pertes sérieuses. Les seigneurs assiégés n'avaient qu'à veiller sur leurs hommes, faire des rondes fréquentes, s'assurer de la fermeture des portes, lancer quelques projectiles du haut des créneaux si les assaillants tentaient de s'approcher des murs, contre-miner si on minait; et d'ailleurs ils pouvaient ainsi rester des mois entiers, même devant un gros corps d'armée, sans avoir rien à craindre. Aussi était-ce presque toujours par famine que l'on prenait ces forteresses. Mais lorsque l'art de l'attaque se fut perfectionné à la suite des premières croisades, que les assiégeants mirent en batterie des engins puissants, que l'on fit des boyaux de tranchée, que l'on mit en usage ces longs chariots couverts, ces chats, pour permettre de saper les murs sans danger pour les mineurs, alors les donjons rectangulaires, si épais que fussent leurs murs, parurent insuffisants; leurs angles n'étaient pas flanqués et offraient des points saillants que le mineur attaquait sans grand péril; les garnisons enfermées dans ces réduits voyaient difficilement ce qui se passait à l'extérieur; elles ne pouvaient tenter des sorties par ces portes placées à plusieurs mètres au-dessus du sol; la complication des défenses était, dans un moment pressant, une cause de désordre; les assiégés eux-mêmes s'égaraient ou au moins perdaient beaucoup de temps au milieu de ces nombreux détours, ou encore se trouvaient pris dans les piéges qu'eux-mêmes avaient tendus. Dès le milieu du XIIe siècle, ces défauts de la défense du donjon normand furent certainement reconnus, car on changea complétement de système, et on abandonna tout d'abord la forme rectangulaire. Une des premières et une des plus heureuses tentatives vers un système nouveau se voit à Étampes. Le donjon du château d'Étampes, quoique fort ruiné, possède encore cependant plus de trois étages, et on peut se rendre compte des divers détails de sa défense. Nous ne saurions assigner à cette construction une date antérieure à 1150 ni postérieure à 1170. Quelques chapiteaux qui existent encore et le mode de bâtir appartiennent à la dernière période de l'époque romane, mais ne peuvent cependant dater du règne de Philippe-Auguste. La tradition fait remonter la construction du donjon d'Étampes au commencement du XIe siècle, ce qui n'est pas admissible. Philippe-Auguste fit enfermer sa femme Isburge, en 1199, dans le donjon que nous voyons encore aujourd'hui 20: donc il existait avant cette époque. Le chapiteau dessiné ici (14) ne peut laisser de doutes sur la date de cette forteresse: c'est bien la sculpture du commencement de la seconde moitié du XIIe siècle.

      Le plan du donjon d'Étampes est un quatre-feuilles, ce qui donne un meilleur flanquement qu'une tour cylindrique. Il est posé à l'extrémité d'un plateau qui domine la ville d'Étampes, au-dessus de la gare du chemin de fer. Les défenses du château s'étendaient autrefois assez loin sur le plateau, se dirigeant vers l'ouest et le midi; aussi, du côté de l'ouest, ce donjon était-il protégé par un mur de contre-garde ou chemise dont on voit encore les soubassements.

      Ce mur (15) se retournait probablement, faisant face au sud, et aboutissait à une sorte de chaussée diagonale A' destinée à recevoir l'extrémité du pont volant qui permettait d'entrer dans la tour par une poterne percée au-dessous du niveau du premier étage. Le rez-de-chaussée était voûté grossièrement en moellons, et ces voûtes reposaient sur une grosse colonne centrale qui montait jusqu'au deuxième étage. Il fallait du premier étage descendre au niveau du rez-de-chaussée par un escalier B, pris aux dépens de l'épaisseur du mur, qui n'a pas moins de quatre mètres. En C est un puits et en D une fosse de latrines. Du vestibule E de la poterne, tournant à main gauche, on descendait donc par le degré B à l'étage inférieur; tournant à main droite, on montait par quelques marches au niveau du premier étage. Le vestibule E était ainsi placé à mi-étage afin que l'assaillant, entrant précipitamment par la poterne et allant droit devant lui, tombât d'une hauteur de quatre mètres au moins en F sur le sol de la cave, où il se trouvait enfermé; les défenseurs postés sur la rampe ascendante de droite devaient d'ailleurs le pousser dans cette fosse ouverte. La rampe de droite arrivait donc au niveau du premier étage (16), en G; de là on entrait dans la salle par l'embrasure d'une fenêtre.

      Mais si l'on voulait monter au second étage, il fallait entrer dans le petit corps-de-garde H, placé juste au-dessus du vestibule de la poterne et percé d'un mâchicoulis, prendre la rampe d'escalier I qui menait à un escalier à vis desservant le second étage et les étages supérieurs; l'arrivée au niveau du second étage était placée au-dessus du point G. La margelle du puits C était placée sur les voûtes du rez-de-chaussée: c'était donc du premier étage que l'on tirait l'eau nécessaire aux besoins de la garnison. En L se voit un cabinet d'aisances. Le premier étage était primitivement couvert par un plancher dont les poutres principales, conformément au tracé ponctué, portaient sur la colonne centrale.


<p>20</p>

Dom Fleureau. Voy. la notice sur le donjon d'Étampes, insérée dans le t. XII du Bull. monum., p. 488, par M. Victor Petit.