Le Bossu Volume 2. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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temps… voulut dire le flegmatique factotum.

      – Vous, allez-vous-en! s'écria dona Cruz; vous avez fait votre commission… J'irai.

      – C'est moi qui vous conduirai, rectifia Peyrolles.

      – Oh! l'ennui! santa Maria! soupira dona Cruz; si vous saviez comme je voudrais voir une autre figure que la vôtre, mon bon monsieur de Peyrolles!

      Madame Langlois, Angélique et Justine, trois chambrières parisiennes, entrèrent ensemble à ce moment. Dona Cruz ne songeait déjà plus à elles.

      – Je ne veux pas, dit-elle, que ces deux hommes restent la nuit dans ma maison, ils me font peur.

      Il s'agissait de Faënza et de Saldagne.

      – C'est la volonté de monseigneur, répliqua l'intendant.

      – Suis-je esclave? s'écria la pétulante enfant, déjà rouge de colère; ai-je demandé à venir ici? Si je suis prisonnière, c'est bien le moins que je puisse choisir mes geôliers! Dites-moi que je ne reverrai plus ces deux hommes ou je n'irai pas à l'hôtel…

      Madame Langlois, première camériste de dona Cruz, s'approcha de M. de Peyrolles et lui dit quelques mots à l'oreille. Le visage de l'intendant, qui était naturellement très-pâle, devint livide.

      – Avez-vous vu cela? demanda-t-il d'une voix qui tremblait.

      – Je l'ai vu, répondit la camériste.

      – Quand donc?

      – Tout à l'heure. On vient de les trouver tous deux.

      – Où cela?

      – En dehors de la poterne qui donne sur la ruelle.

      – Je n'aime pas qu'on parle à voix basse en ma présence, dit dona Cruz avec hauteur.

      – Pardon, madame, repartit humblement l'intendant; qu'il vous suffise de savoir que ces deux hommes qui vous déplaisent… vous ne les reverrez plus.

      – Alors, qu'on m'habille, ordonna la belle fille.

      – Ils ont soupé hier soir en bas tous les deux, racontait cependant madame Langlois en reconduisant Peyrolles sur l'escalier. Saldagne, qui était de garde, a voulu reconduire M. de Faënza. Nous avons entendu dans la ruelle un cliquetis d'épées.

      – Dona Cruz m'a parlé de cela, interrompit Peyrolles.

      – Le bruit n'a pas duré longtemps, reprit la camériste; tout à l'heure un valet sortant par la ruelle s'est heurté contre deux cadavres.

      – Langlois! Langlois! appela en ce moment la belle recluse.

      – Allez! ajouta la camériste remontant les degrés précipitamment; ils sont là, au bout du jardin.

      Dans le boudoir, les trois chambrières commencèrent l'œuvre facile et charmante de la toilette d'une jolie fille. Dona Cruz se livra bientôt tout entière au bonheur de se voir si belle. Son miroir lui souriait.

      Santa Virgen! elle n'avait jamais été si heureuse depuis son arrivée dans cette grande ville de Paris, dont elle n'avait vu que les rues longues et noires par une sombre nuit d'automne.

      – Enfin! se disait-elle, mon beau prince va tenir sa promesse… Je vais voir, être vue!.. Paris, qu'on m'a tant vanté, va être pour moi autre chose qu'un pavillon isolé dans un froid jardin entouré de murs!

      Et, toute joyeuse, elle échappait aux mains de ses caméristes pour danser en rond autour de la chambre, comme une folle enfant qu'elle était…

      M. de Peyrolles, lui, avait gagné tout d'un temps le bout du jardin. Au fond d'une charmille sombre, sur un tas de feuilles sèches, il y avait deux manteaux étendus.

      Sous les manteaux on devinait la forme de deux corps humains.

      Peyrolles souleva en frissonnant le premier manteau, puis l'autre.

      Sous le premier était Faënza, sous le second Saldagne.

      Tous deux avaient au front une blessure pareille.

      Les dents de Peyrolles s'entre-choquèrent avec bruit. Il laissa retomber les manteaux.

      VI

      – Dona Cruz. —

      Il y a une fatale histoire que tous les romanciers ont racontée au moins une fois en leur vie: c'est l'histoire de la pauvre enfant enlevée à sa mère, – qui était duchesse, – par les gypsies d'Écosse, par les brigands de la Calabre ou du Rhin, par les brigands de Hongrie ou par les gitanos d'Espagne.

      Nous ne savons absolument pas et nous prenons l'engagement de ne point l'apprendre, si notre belle dona Cruz était une duchesse volée ou une véritable fille de gitana.

      La chose certaine, c'est qu'elle avait passé sa vie entière parmi les gitanos, allant comme eux de ville en ville, de hameaux en bourgades en dansant sur la place publique, tant qu'on voulait pour un maravédis.

      C'est elle-même qui nous dira comment elle avait quitté ce métier libre, mais peu lucratif, pour venir habiter à Paris la petite maison de M. de Gonzague.

      Une demi-heure après sa toilette achevée, nous la retrouvons dans la chambre à coucher de ce dernier, émue malgré sa hardiesse, et toute confuse de la belle entrée qu'elle venait de faire.

      – Pourquoi Peyrolles ne vous a-t-il pas accompagnée? lui demanda Gonzague.

      – Votre Peyrolles, répondit la jeune fille, – a perdu la parole et le sens pendant que je faisais ma toilette… Il ne m'a quittée qu'un instant pour se promener au jardin…; quand il est revenu, il ressemblait à un homme frappé de la foudre. Mais, s'interrompit-t-elle d'une voix caressante, ce n'est pas pour parler de votre Peyrolles que vous m'avez fait venir, n'est-ce pas, monseigneur?

      – Non, répondit Gonzague en riant, – ce n'est pas pour parler de mon Peyrolles.

      – Dites vite! s'écria dona Cruz; – que voulez-vous de moi?.. Je brûle de le savoir, vous voyez bien! Dites vite!

      Gonzague la regardait attentivement.

      Il pensait:

      – J'ai cherché longtemps, mais pouvais-je trouver mieux?.. Elle lui ressemble, sur ma foi! ce n'est pas une illusion que je me fais…

      – Eh bien, reprit dona Cruz, dites donc!

      – Asseyez vous, chère enfant, repartit Gonzague.

      – Retournerai-je dans ma prison?

      – Pas pour longtemps…

      – Ah!.. fit la jeune fille avec regret, – j'y retournerai?.. Pour la première fois aujourd'hui, j'ai vu un coin de la ville au soleil… C'est beau!.. ma solitude me semblera plus triste.

      – Nous ne sommes pas à Madrid, objecta Gonzague, et il faut des précautions.

      – Pourquoi des précautions? fais-je du mal pour que l'on me cache?

      – Non, assurément, dona Cruz; mais…

      – Ah! tenez, monseigneur, l'interrompit-elle avec feu, – il faut que je vous parle: j'ai le cœur trop plein… Vous n'avez pas besoin de me le rappeler, allez! Je vois bien que nous ne sommes plus à Madrid… mon pauvre beau Madrid, où j'étais pauvre, c'est vrai, orpheline, abandonnée… mais où j'étais libre… libre comme l'air du ciel!..

      Elle s'interrompit, et ses sourcils noirs se froncèrent légèrement.

      – Savez-vous, monseigneur, dit-elle, que vous m'aviez promis bien des choses?

      – Je tiendrai plus que je n'ai promis, repartit Gonzague.

      – Ceci est encore une promesse… et je commence à ne plus croire.

      Ses sourcils se détendirent et un voile de rêverie vint adoucir l'éclair aigu de son regard.

      – Ils me connaissaient tous, dit-elle, – les gens du peuple et les seigneurs… ils m'aimaient, et, quand j'arrivais on criait: «Venez, venez