Gironne mit la main sur son cœur. Les autres se pincèrent les lèvres.
– «M. de Nocé me plaît aussi, continua Gonzague, rapportant les paroles authentiques de Sa Majesté. Et ce M. de Saldagne, tudieu! ce doit être un foudre de guerre.»
– A quoi bon ceci? lui glissa Chaverny à l'oreille, Saldagne est absent.
On n'avait vu, en effet, depuis la veille au soir, ni M. le baron de Saldagne ni M. le chevalier de Faënza.
Gonzague poursuivit sans prendre garde à l'interruption:
– Sa Majesté m'a parlé de vous, Montaubert; de vous aussi, Choisy, et d'autres encore.
– Et Sa Majesté, interrompit le petit marquis, a-t-elle daigné remarquer un peu la galante et noble tournure de M. de Peyrolles?
– Sa Majesté, répliqua sèchement Gonzague, n'a oublié personne, excepté vous.
– C'est bien fait pour moi! dit Chaverny; cela m'apprendra!
– On sait déjà votre affaire des mines, à la cour, Albret, poursuivit Gonzague. «Et votre Oriol, m'a dit le roi en riant, savez-vous qu'on me l'a donné comme étant bientôt plus riche que moi!»
– Que d'esprit! Quel maître nous aurons là!
Ce fut un cri d'admiration générale.
– Mais, reprit Gonzague avec un fin et bon sourire, ce ne sont là que des paroles; nous avons eu mieux, Dieu merci! Je vous annonce, ami Albret, que votre concession va être signée.
– Qui ne serait à vous, prince? s'écria Albret.
– Oriol, ajouta le prince, vous avez votre charge noble; vous pouvez voir d'Hozier pour votre écusson.
Le gros petit traitant s'enfla comme une boule et faillit crever du coup.
– Oriol, s'écria Chaverny, te voilà cousin du roi, toi qui es déjà cousin de toute la rue Saint-Denis… Ton écusson est tout fait: d'or, aux trois bas de chausses d'azur, deux et un, et en cœur un bonnet de nuit flamboyant, avec cette devise: Utile dulci!…
On rit un peu, sauf Oriol et Gonzague.
Oriol avait reçu le jour au coin de la rue Mauconseil, dans une boutique de bonneterie. Si Chaverny eût gardé ce mot pour le souper, il aurait eu un succès fou.
– Vous avez votre pension, Navailles, reprit cependant M. de Gonzague, cette vivante providence; Montaubert, vous avez votre brevet.
Montaubert et Navailles se repentirent d'avoir ri.
– Nocé, continua le prince, vous monterez demain dans les carrosses. Vous, Gironne, je vous dirai, quand nous serons seuls tous deux, ce que j'ai obtenu pour vous.
Nocé fut content. Gironne le fut davantage.
Gonzague, poursuivant le cours de ses largesses, qui ne lui coûtaient rien, nomma chacun par son nom. Personne ne fut oublié.
– Viens çà, marquis, dit-il enfin.
– Moi! fit Chaverny.
– Viens çà, enfant gâté!
– Cousin, je connais mon sort, s'écria plaisamment le marquis; tous nos jeunes condisciples qui ont été sages ont eu des satisfecit… Moi, le moins que je risque, c'est d'être au pain et à l'eau. Ah! ajouta-t-il en se frappant la poitrine, je sens que je l'ai bien mérité!
– M. de Fleury, gouverneur du roi, était au petit lever, dit Gonzague.
– Naturellement, repartit le marquis, c'est sa charge.
– M. de Fleury est sévère.
– C'est son métier.
– M. de Fleury a su ton histoire aux Feuillantines avec mademoiselle de Clermont.
– Aïe! fit Navailles.
– Aïe! aïe, répétèrent Oriol et consorts.
– Et tu m'as empêché d'être exilé, cousin? dit Chaverny: grand merci!
– Il ne s'agissait pas d'exil, marquis.
– De quoi donc s'agissait-il, cousin?
– Il s'agissait de la Bastille.
– Et tu m'as épargné la Bastille! Deux fois grand merci!
– J'ai fait mieux, marquis.
– Mieux encore, cousin? Il faudra donc que je me prosterne?
– Ta terre de Chaneilles fut confisquée sous le feu roi.
– Lors de l'édit de Nantes, oui.
– Elle était d'un beau revenu, cette terre de Chaneilles?
– Vingt mille écus, cousin… pour moitié moins, je me donnerais au diable.
– Ta terre de Chaneilles t'est rendue.
– En vérité! s'écria le petit marquis.
Puis, tendant la main à Gonzague et d'un grand sérieux:
– Alors, c'est dit, je me donne au diable!
Gonzague fronça le sourcil. Le cénacle entier n'attendait qu'un signe pour crier au scandale. Chaverny promena tout autour de lui son regard dédaigneux.
– Cousin, prononça-t-il lentement et à voix basse, je ne vous souhaite que du bonheur. Mais, si les mauvais jours venaient, la foule s'éclaircirait autour de vous. Je n'insulte personne: c'est la règle… Dussé-je rester seul, alors, cousin, moi, je resterai!
V
– Où est expliquée l'absence de Faënza et de Saldagne. —
La distribution était faite. Nocé combinait son costume pour monter le lendemain dans les carrosses du roi. Oriol, gentilhomme depuis cinq minutes, cherchait déjà quels ancêtres il avait bien pu avoir au temps de saint Louis. Tout le monde était content.
M. de Gonzague n'avait certes point perdu sa peine au petit lever de Sa Majesté.
– Cousin, dit pourtant le petit marquis, je ne te tiens pas quitte, malgré le magnifique cadeau que tu viens de me faire.
– Que te faut-il encore?
– Je ne sais si c'est à cause des Feuillantines et de mademoiselle de Clermont, mais Bois-Rosé m'a refusé obstinément une invitation pour la fête de ce soir au Palais-Royal. Il m'a dit que toutes les cédules étaient distribuées.
– Je crois bien! s'écria Oriol, elles faisaient dix louis rue Quincampoix ce matin. Bois-Rosé a dû gagner là-dessus cinq ou six cent mille livres.
– Dont moitié pour ce bon abbé Dubois, son maître!
– J'en ai vu vendre une cinquante louis, ajouta Albret.
– On n'a pas voulu m'en donner à soixante! enchérit Taranne.
– On se les arrache.
– A l'heure qu'il est, elles n'ont plus de prix!
– C'est que la fête sera splendide, messieurs, dit Gonzague: tous ceux qui seront là auront leur brevet de fortune ou de noblesse… Je ne pense pas qu'il soit entré dans la pensée de M. le régent de livrer ces cédules à la spéculation. Mais ceci est le petit malheur des temps… et, sur ma foi! je ne vois point de mal à ce que Bois-Rosé ou l'abbé fassent leurs affaires avec cela.
– Dussent les salons du régent, fit observer Chaverny, s'emplir cette nuit de courtiers et de trafiquants!
– C'est la noblesse de demain, répliqua Gonzague; le mouvement est là!
Chaverny frappa sur l'épaule d'Oriol.
– Toi