Le Bossu Volume 2. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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il l'était à l'apogée de la richesse, de la puissance et de la faveur, Gonzague semblait n'avoir besoin de personne.

      – Et l'on parle des mines du Pérou! disait le gros Oriol pendant que le maître se tenait à l'écart. L'hôtel de M. le prince vaut à lui seul le Pérou et toutes ses mines!

      Il était rond comme une boule, ce traitant; il était haut en couleur, joufflu, essoufflé. Ces demoiselles de l'Opéra consentaient à se moquer de lui amicalement, pourvu qu'il fût en fonds et d'humeur donnante.

      – Ma foi, répliqua Taranne, financier maigre et plat, c'est ici l'Eldorado!

      – La maison d'or! ajouta M. de Montaubert, ou plutôt la maison de diamant!

      – Ya! traduisit le baron de Batz, té tiamant plitôt.

      – Plus d'un grand seigneur, reprit Gironne, vivrait toute une année avec une semaine du revenu du prince de Gonzague.

      – C'est que, dit Oriol, le prince de Gonzague est le roi des grands seigneurs!

      – Gonzague, mon cousin, s'écria Chaverny d'un air plaisamment piteux, par grâce, demande quartier, ou cet ennuyeux hosannah durera jusqu'à demain.

      Le prince sembla s'éveiller.

      – Messieurs, dit-il sans répondre au petit marquis, car il n'aimait point la raillerie, prenez la peine de me suivre dans mon appartement; il faut que cette salle soit libre.

      Quand on fut dans le cabinet de Gonzague:

      – Vous savez pourquoi je vous ai convoqués, messieurs? reprit-il.

      – J'ai entendu parler d'un conseil de famille, répondit Navailles.

      – Mieux que cela, messieurs… une assemblée solennelle… un tribunal de famille où Son Altesse Royale le régent sera représenté par trois des premiers dignitaires de l'État: le président de Lamoignon, le maréchal de Villeroy et le vice-chancelier d'Argenson.

      – Peste! fit Chaverny. S'agit-il donc de la succession à la couronne?

      – Marquis, prononça sèchement le prince, nous allons parler de choses sérieuses… épargnez-nous.

      – N'auriez-vous point, cousin, demanda Chaverny en bâillant par avance, quelque livre d'estampes pour me distraire pendant que vous serez sérieux?

      Gonzague sourit afin de le faire taire.

      – Et de quoi s'agit-il, prince? demanda M. de Montaubert.

      – Il s'agit de me prouver votre dévouement, messieurs, répondit Gonzague.

      Ce ne fut qu'un cri:

      – Nous sommes prêts!

      Le prince salua et sourit.

      – Je vous ai fait convoquer spécialement, vous, Navailles, Gironne, Chaverny, Nocé, Montaubert, Choisy, Lavallade, etc., en votre qualité de parents de Nevers; vous, Oriol, comme chargé d'affaires de notre cousin de Châtillon; vous, Taranne et Albret, comme mandataires des deux Chastellux…

      – Si ce n'est la succession de Bourbon, interrompit Chaverny, ce sera donc la succession de Nevers qui sera mise sur le tapis?

      – On décidera, répondit Gonzague, l'affaire des biens de Nevers… et d'autres affaires encore.

      – Et que diable avez-vous besoin des biens de Nevers, vous, mon cousin, qui gagnez un million par heure?

      Gonzague fut un instant avant de répondre.

      – Suis-je seul? demanda-t-il ensuite d'un accent pénétré. N'ai-je pas votre fortune à faire?

      Il y eut un vif mouvement de reconnaissance dans l'assemblée. Tous les visages étaient plus ou moins attendris.

      – Vous savez, prince, dit Navailles, si vous pouvez compter sur moi!

      – Et sur moi! s'écria Gironne.

      – Et sur moi!.. et sur moi!

      – Sur moi aussi, pardieu! fit Chaverny après tous les autres. Je voudrais seulement savoir…

      Gonzague l'interrompit pour dire avec une hauteur sévère:

      – Toi, tu es trop curieux, petit cousin! cela te perdra… Ceux qui sont avec moi, comprends bien ceci, doivent entrer résolûment dans mon chemin, bon ou mauvais, droit ou tortueux…

      – Cependant…

      – C'est ma volonté!.. Chacun est libre de me suivre ou de rester en arrière, mais quiconque s'arrête a rompu volontairement le pacte; je ne le connais plus… Ceux qui sont avec moi doivent voir par mes yeux, entendre par mes oreilles, penser avec mon intelligence… La responsabilité n'est pas pour eux qui sont les bras, mais pour moi qui suis la tête… Tu m'entends bien, marquis? je ne veux pas d'amis faits autrement que cela!

      – Et nous ne demandons qu'une chose, ajouta Navailles, c'est que notre illustre parent nous montre la route.

      – Puissant cousin, dit Chaverny, m'est-il permis de vous adresser humblement et modestement une question? Qu'aurai-je à faire?

      – A garder le silence et à me donner ta voix dans le conseil.

      – Dussé-je blesser le touchant dévouement de nos amis, je vous dirai, cousin, que je tiens à ma voix à peu près autant qu'à un verre de champagne vide; mais…

      – Point de mais! interrompit Gonzague.

      Et tous avec enthousiasme:

      – Point de mais!

      – Nous nous serrerons autour de monseigneur, ajouta lourdement Oriol.

      – Monseigneur, ajouta Taranne, le financier d'épée, sait si bien se souvenir de ceux qui le servent!

      L'invite pouvait n'être pas adroite, mais elle était au moins directe.

      Chacun prit un air froid, pour n'avoir point l'air d'être complice.

      Chaverny adressait à Gonzague un sourire triomphant et moqueur. Gonzague le menaça du doigt comme on fait à un enfant méchant. Sa colère était passée.

      – C'est le dévouement de Taranne que j'aime le mieux, dit-il avec une légère nuance de mépris dans la voix. Taranne, mon ami, vous avez la ferme d'Épernay.

      – Ah! prince!.. fit le traitant.

      – Point de remercîments, interrompit Gonzague; mais je vous prie, Montaubert, ouvrez la fenêtre… je me sens mal.

      Chacun se précipita vers les croisées. Gonzague était fort pâle, et des gouttelettes de sueur perlaient de ses cheveux. Il trempa son mouchoir dans le verre d'eau que lui présentait Gironne, et se l'appliqua sur le front.

      Chaverny s'était rapproché avec un véritable empressement.

      – Ce ne sera rien, dit le prince; la fatigue… j'avais passé la nuit, et j'ai été obligé d'assister au petit lever du roi.

      – Et que diable avez-vous besoin de vous tuer ainsi, cousin? s'écria Chaverny; que peut pour vous le roi? je dirais presque, que peut pour vous le bon Dieu?

      A l'égard du bon Dieu, il n'y avait rien à reprocher à Gonzague. S'il se levait trop matin, ce n'était certes point pour faire ses dévotions.

      Il serra la main de Chaverny. Nous pouvons bien dire qu'il eût payé volontiers un bon prix la question que Chaverny venait de lui faire.

      – Ingrat! murmura-t-il, est-ce pour moi que je sollicite?

      Les courtisans de Gonzague furent sur le point de s'agenouiller.

      Chaverny eut bouche close.

      – Ah! messieurs! reprit le prince, que notre jeune roi est un enfant charmant!.. Il sait vos noms, et me demande toujours des nouvelles de mes bons amis.

      – En vérité! fit le chœur.

      – Quand M. le régent, qui était dans la ruelle avec madame Palatine, a ouvert les rideaux, le jeune Louis a soulevé ses belles