Le Bossu Volume 2. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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l'Écossais Law qui en avait eu l'idée, et c'était aussi l'Écossais Law qui en faisait les frais énormes.

      Ce devait être le triomphe symbolique du système, comme on disait alors, la constatation officielle et bruyante de la victoire du crédit sur les espèces monnayées.

      Pour que cette ovation eût plus de solennité, Law avait obtenu que Philippe d'Orléans lui prêtât les salons et les jardins du Palais-Royal.

      Bien plus, les invitations étaient faites au nom du régent, et, pour ce seul fait, le triomphe du dieu Papier devenait une fête nationale.

      Law avait mis, dit-on, des sommes folles à la disposition de la maison du régent, pour que rien ne manquât au prestige de ces réjouissances. Tout ce que la prodigalité la plus large peut produire en fait de merveilles devait éblouir les yeux des invités.

      On parlait surtout du feu d'artifice et du ballet.

      Le feu d'artifice, commandé au cavalier Gioja, devait représenter le palais gigantesque bâti en projet par Law sur les bords du Mississipi. Le monde, on le savait bien, ne devait plus avoir qu'une merveille: c'était ce palais de marbre, orné de tout l'or inutile que le crédit vainqueur jetait hors de la circulation.

      Un palais grand comme une ville où seraient prodiguées toutes les richesses métalliques du globe!

      L'argent et l'or n'étaient plus bons qu'à cela.

      Le ballet, œuvre allégorique dans le goût du temps, devait encore représenter le crédit personnifiant le bon ange de la France et la plaçant à la tête des nations.

      Plus de famines, plus de misère, plus de guerres!

      Le crédit, cet autre messie envoyé par Dieu clément, allait étendre au globe entier les délices reconquises du paradis terrestre.

      Après la fête de cette nuit, le crédit déifié n'avait plus besoin que d'un temple.

      Les pontifes existaient d'avance.

      M. le régent avait fixé à trois mille le nombre des entrées. Dubois tierça sous main le compte; Bois-Rosé, maître des cérémonies, le doubla en tapinois.

      A ces époques où règne la contagion de l'agio, l'agio se fourre partout, rien n'échappe à son envahissante influence.

      De même que vous voyez, dans les bas quartiers du négoce, les petits enfants marchant à peine trafiquer déjà de leurs jouets, et faire l'article en bégayant, sur un pain d'épice entamé, sur un cerf-volant en lambeaux, sur une demi-douzaine de billes; de même, quand la fièvre de spéculer prend un peuple, les grands enfants se mettent à survendre tout ce qu'on recherche, tout ce qui a vogue: les cartes du restaurant à la mode, les stalles du théâtre heureux, les chaises de l'Église encombrée.

      Si le pain est rare, on fait les miches à prime; si c'est le vin, on fait monter le campêche.

      Et ces choses ont lieu tout uniment, sans que personne s'en formalise.

      Ceux qui pourraient se plaindre ont en général la voix trop faible et parlent de trop bas.

      Ceux qui ont une tribune ne peuvent crier tant ils ont la bouche pleine.

      Mon Dieu, M. de Gonzague pensait comme tout le monde en disant: «Il n'y a point de mal à ce que Bois-Rosé gagne cinq ou six cent mille livres avec cela!»

      – Il me semble avoir entendu dire à Peyrolles, reprit-il en atteignant son portefeuille, qu'on lui a offert deux ou trois mille louis du paquet de cédules que Son Altesse a bien voulu m'envoyer… mais fi donc!.. je les ai gardées pour mes amis.

      Il y eut un long bravo. Plusieurs de ces messieurs avaient déjà des cartes dans leurs poches; mais abondance de cartes ne nuit pas, quand elles valent cent pistoles la pièce.

      On n'était vraiment pas plus aimable que ce M. de Gonzague ce matin!

      Il ouvrit son portefeuille, et jeta sur la table un gros paquet de lettres roses, ornées de ravissantes vignettes qui toutes représentaient, parmi des Amours entrelacés et des fouillis de fleurs, le Crédit, le grand Crédit, tenant à la main une corne d'abondance.

      On fit le partage. Chacun en prit pour soi et ses amis, sauf le petit marquis, qui était encore un peu gentilhomme, et ne revendait point ce qu'on lui donnait.

      Le noble Oriol avait, à ce qu'il paraît, un nombre considérable d'amis, car il emplit ses poches.

      Gonzague les regardait faire.

      Son œil rencontra celui de Chaverny, et tous deux se prirent à rire.

      Si quelqu'un de ces messieurs croyait prendre Gonzague pour dupe, celui-là se trompait; Gonzague avait son idée: il était plus fort dans son petit doigt qu'une douzaine d'Oriol multipliées par un demi-cent de Gironne ou de Montaubert.

      – Veuillez, messieurs, dit-il, laisser deux de ces cartes pour Faënza et pour Saldagne… Je m'étonne, en vérité, de ne les point voir ici.

      Il était sans exemple que Faënza et Saldagne eussent manqué à l'appel.

      – Je suis heureux, reprit Gonzague, pendant qu'avait lieu la curée d'invitations cotées rue Quincampoix, je suis heureux d'avoir pu faire encore pour vous cette bagatelle… Souvenez-vous bien de ceci… Partout où je passerai, vous passerez. Vous êtes autour de moi un bataillon sacré: votre intérêt est de me suivre, mon intérêt est de vous tenir toujours la tête au-dessus de la foule.

      Il n'y avait plus sur la table que les deux lettres de Saldagne et de Faënza. On se remit à écouter le maître attentivement et respectueusement.

      – Je n'ai plus qu'une chose à vous dire, acheva Gonzague: des événements vont avoir lieu sous peu qui seront pour vous des énigmes. Ne cherchez jamais, – je ne demande point ceci, je l'exige, – ne cherchez jamais les raisons de ma conduite; prenez seulement le mot d'ordre, et faites… Si la route est longue et difficile, peu vous importe, puisque je vous affirme sur mon honneur que la fortune est au bout.

      – Nous vous suivrons! s'écria Navailles.

      – Tous, tant que nous sommes! ajouta Gironne.

      Et Oriol, rond comme un ballon, conclut avec un geste chevaleresque:

      – Fût-ce en enfer!

      – La peste! cousin, fit Chaverny entre haut et bas, les chauds amis que nous avons là!.. Je voudrais gager que…

      Un cri de surprise et d'admiration l'interrompit.

      Lui-même resta bouche béante à regarder une jeune fille d'une admirable beauté qui venait de se montrer étourdiment au seuil de la chambre à coucher de Gonzague.

      Évidemment, elle n'avait point cru trouver là si nombreuse compagnie.

      Comme elle franchissait le seuil, son visage tout jeune, tout brillant d'espiègle gaieté, avait un petillant sourire. A la vue des compagnons de Gonzague, elle s'arrêta, rabattit vivement son voile de dentelle, épaissi par la broderie, et resta immobile comme une charmante statue.

      Chaverny la dévorait des yeux. Les autres avaient toutes les peines du monde à réprimer leurs regards curieux.

      Gonzague, qui d'abord avait fait un mouvement, se remit aussitôt et alla droit à la nouvelle venue.

      Il prit sa main, qu'il porta vers ses lèvres avec plus de respect encore que de galanterie.

      La jeune fille resta muette.

      – C'est la belle recluse! murmura Chaverny.

      – L'Espagnole!.. ajouta Navailles.

      – Celle pour qui M. le prince tient close sa petite maison derrière Saint-Magloire!

      Et ils admiraient, en connaisseurs qu'ils étaient, cette taille souple, amoureuse et noble à la fois, ce bas de jambe adorable, attaché à un pied de fée, cette splendide couronne de cheveux abondants, soyeux et plus noirs que le jais.

      C'était tout ce qu'ils pouvaient voir.

      L'inconnue portait une