Le Bossu Volume 2. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
je ne comptais point que ce serait sitôt. Je ne me donne point l'honneur de vous présenter à elle en ce moment; il n'est pas temps. Attendez-moi ici, je vous prie. Tout à l'heure, nous aurons besoin de vous.

      Il prit la main de la jeune fille, après l'avoir baisée de nouveau, et la fit entrer dans son appartement, dont la porte se renferma sur eux.

      Vous eussiez vu aussitôt tous les visages changer, sauf celui du petit marquis de Chaverny, qui resta impertinent comme devant.

      Le maître n'était plus là; tous ces écoliers barbus avaient vacances.

      – A la bonne heure! s'écria Gironne.

      – Ne nous gênons pas! fit Montaubert.

      – Messieurs, reprit Nocé, le feu roi fit une sortie semblable de madame de Montespan, devant toute la cour assemblée… Choisy, c'est ton vénérable oncle qui raconte cela dans ses mémoires. Monseigneur de Paris était présent, le chancelier, les princes, trois cardinaux et deux abbesses, sans compter le père Letellier. Le roi et sa comtesse devaient échanger solennellement leurs adieux pour rentrer, chacun de son côté, dans le giron de la vertu. Mais pas du tout: madame de Montespan pleura; Louis le Grand larmoya, puis tous deux tirèrent leur révérence à l'austère assemblée, et de cette aventure naquit mademoiselle de Blois, qui est maintenant madame la duchesse d'Orléans.

      – Qu'elle est belle! dit Chaverny tout rêveur.

      – Ah çà! fit Oriol, savez-vous une idée qui me vient? Cette assemblée de famille… si c'était pour un divorce!

      On se récria d'abord, puis chacun convint que la chose n'était pas impossible.

      Personne n'ignorait la profonde séparation qui existait entre le prince de Gonzague et sa femme.

      – Ce diable d'homme est fin comme l'ambre, reprit Taranne, il est capable de laisser la femme et de garder la dot!

      – Et c'est là-dessus, ajouta Gironne, que nous allons donner nos votes.

      – Qu'en dis-tu, toi, Chaverny? demanda le gros Oriol.

      – Je dis, répliqua le petit marquis, que vous seriez des infâmes, si vous n'étiez des sots…

      – De par Dieu! petit cousin, s'écria Nocé, tu es à l'âge où l'on corrige les mauvaises habitudes; j'ai envie…

      – La la! s'interposa le paisible Oriol.

      Chaverny n'avait même pas regardé Nocé.

      – Qu'elle est belle! fit-il une seconde fois.

      – Chaverny est amoureux! s'écria-t-on de toutes parts.

      – C'est pourquoi je lui pardonne, ajouta Nocé.

      – Mais, en somme, demanda Gironne, que sait-on sur cette jeune fille?

      – Rien, répondit Navailles, sinon que M. de Gonzague la cache soigneusement, et que Peyrolles est l'eunuque chargé d'obéir aux caprices de cette belle personne.

      – Peyrolles n'a pas parlé?

      – Peyrolles ne parle jamais.

      – C'est pour cela qu'on le garde.

      – Elle doit être à Paris, reprit Nocé, depuis une ou deux semaines tout au plus; car, le mois passé, la Nivelle était reine et maîtresse dans la petite maison de M. le prince.

      – Depuis lors, ajouta Oriol, nous n'avons pas soupé une seule fois à la petite maison.

      – Il y a une manière de corps de garde dans le jardin, dit Montaubert; les chefs de poste sont tantôt Faënza, tantôt Saldagne.

      – Mystère! mystère!

      – Prenons patience… Nous allons savoir cela aujourd'hui… Holà! Chaverny!

      Le petit marquis tressaillit comme si on l'eût éveillé en sursaut.

      – Chaverny, tu rêves!..

      – Chaverny, tu es muet!

      – Chaverny, parle! parle, quand même ce serait pour nous dire des injures!

      Le petit marquis appuya son menton contre sa main blanchette.

      – Messieurs, dit-il, vous vous damnez tous les jours trois ou quatre fois pour quelques chiffons de banque… Moi, pour cette belle fille-là, je me damnerai une fois, voilà tout.

      En quittant Cocardasse junior et Amable Passepoil, installés commodément à l'office devant un copieux repas, M. de Peyrolles était sorti de l'hôtel par la porte du jardin. Il prit la rue Saint-Denis, et, passant derrière l'église Saint-Magloire, il s'arrêta devant la porte d'un autre jardin dont les murs disparaissaient presque sous les branches énormes et pendantes d'une allée de vieux ormes.

      M. de Peyrolles avait dans la poche de son beau pourpoint la clef de cette porte.

      Il entra. Le jardin était solitaire. On voyait, au bout d'une allée en berceau, ombreuse jusqu'au mystère, un pavillon tout neuf, bâti dans le style grec, et dont le péristyle s'entourait de statues.

      Un bijou que ce pavillon! la dernière œuvre de l'architecte Oppenort!

      M. de Peyrolles s'engagea dans la sombre allée et gagna le pavillon.

      Dans le vestibule étaient plusieurs valets en livrée.

      – Où est Saldagne? demanda Peyrolles.

      On n'avait point vu M. le baron de Saldagne depuis la veille.

      – Et Faënza?

      Même réponse que pour Saldagne.

      La maigre figure de l'intendant prit une expression d'inquiétude.

      – Que veut dire ceci? pensa-t-il.

      Sans interroger autrement les valets, il demanda si mademoiselle était visible.

      Il y eut un va et vient de domestiques. On entendit la voix de la première camériste. Mademoiselle attendait M. de Peyrolles dans son boudoir.

      – Je n'ai pas dormi! s'écria-t-elle dès qu'elle l'aperçut, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit!.. Je ne veux plus demeurer dans cette maison!.. La ruelle qui est de l'autre côté du mur est un coupe-gorge.

      C'était la jeune fille admirablement belle que nous avons vue entrer tout à l'heure chez M. de Gonzague. Sans faire tort à sa toilette, elle était plus charmante encore, s'il est possible, dans son déshabillé du matin. Son peignoir blanc flottant laissait deviner les perfections de sa taille, légère et robuste à la fois; ses beaux grands cheveux noirs dénoués tombaient à flots abondants sur ses épaules, et ses petits pieds nus jouaient dans des mules de satin.

      Pour approcher de si près et sans danger pareille enchanteresse, il fallait être de marbre.

      M. de Peyrolles avait toutes les qualités de l'emploi de confiance qu'il remplissait auprès de son maître.

      Il eût disputé le prix de l'impassibilité à Mesrour, chef des eunuques noirs du calife Haroun-el-Reschild.

      Au lieu d'admirer les charmes de sa belle compagne, il lui dit:

      – Dona Cruz, M. le prince désire vous voir à son hôtel ce matin.

      – Miracle! s'écria la jeune fille; moi sortir de ma prison! moi traverser la rue! moi, moi! Êtes-vous bien sûr de ne pas rêver debout, monsieur de Peyrolles?

      Elle le regarda en face, puis elle éclata de rire, en exécutant très-remarquablement une pirouette double.

      L'intendant ajouta sans sourciller:

      – Pour vous rendre à l'hôtel; M. le prince désire que vous fassiez toilette.

      – Moi! se récria encore la jeune fille, faire toilette! santa Virgen! je ne crois pas un mot de ce que vous me dites!

      – Je parle pourtant très-sérieusement, dona Cruz; dans une heure, il faut que vous soyez prête.

      Dona Cruz se regarda dans une glace et se rit au nez.

      Puis, pétulante