Le Bossu, Volume 1. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
fit Cocardasse, nous serons ses domestiques s'il veut, le petit Parisien, n'est-ce pas, mon bon?

      – Et nous ferons de lui un grand seigneur! acheva Passepoil; comme ça, l'argent du Peyrolles ne nous portera pas male-chance!

      C'était donc M. de Peyrolles, l'homme de confiance de Philippe de Gonzague, qui faisait voyager ainsi maître Cocardasse et frère Passepoil.

      Ils connaissaient bien ce Peyrolles, et mieux encore M. de Gonzague, son patron. Avant d'enseigner aux hobereaux de Tarbes ce noble et digne art de l'escrime italienne, ils avaient tenu salle d'armes à Paris, rue Croix-des-Petits-Champs, à deux pas du Louvre.

      Et, sans le trouble que les passions apportaient dans leurs affaires, peut-être qu'ils eussent fait fortune, car la cour tout entière venait chez eux.

      C'étaient deux bons diables, qui avaient fait sans doute, en un moment de presse, quelque terrible fredaine. Ils jouaient si bien de l'épée! Soyons cléments, et ne cherchons pas trop pourquoi, mettant la clef sous la porte un beau jour, ils avaient quitté Paris comme si le feu eût été à leurs chausses.

      Il est certain qu'à Paris, en ce temps-là, les maîtres en fait d'armes se frottaient aux plus grands seigneurs. Ils savaient souvent le dessous des cartes mieux que les gens de cour eux-mêmes.

      C'étaient de vivantes gazettes. Jugez si Passepoil, qui, en outre, avait été barbier, devait en connaître de belles!

      En cette circonstance, ils comptaient bien tous deux tirer parti de leur science.

      Passepoil avait dit en partant de Tarbes:

      – C'est une affaire où il y a des millions… Nevers est la première lame du monde après le petit Parisien… S'il s'agit de Nevers, il faut qu'on soit généreux.

      Et Cocardasse n'avait pu qu'approuver chaudement un discours si sage.

      Il était deux heures après midi quand ils arrivèrent au hameau de Tarrides, et le premier paysan qu'ils rencontrèrent leur indiqua l'auberge de la Pomme-d'Adam.

      A leur entrée, la petite salle basse de l'auberge était déjà presque pleine. Une jeune fille, ayant la jupe éclatante et le corsage lacé des paysannes de Foix, servait avec empressement, apportant brocs, gobelets d'étain, feu pour les pipes dans un sabot, et tout ce que peuvent réclamer six vaillants hommes après une longue traite accomplie sous le soleil des vallées pyrénéennes.

      A la muraille pendaient six fortes rapières avec leur attirail.

      Il n'y avait pas là une seule tête qui ne portât le mot spadassin écrit en lisibles caractères.

      C'étaient toutes figures bronzées, tous regards impudents, toutes effrontées moustaches. Un honnête bourgeois, entrant par hasard en ce lieu, serait tombé de son haut, rien qu'à voir ces profils de bravaches.

      Ils étaient trois à la première table, auprès de la porte: trois Espagnols, on pouvait le juger à la mine. A la table suivante, il y avait un Italien balafré du front au menton, et, vis-à-vis de lui un coquin sinistre, dont l'accent dénonçait l'origine allemande.

      Une troisième table était occupée par une manière de rustre à longue chevelure inculte qui grasseyait le patois de Bretagne.

      Les trois Espagnols avaient nom Saldagne, Pinto et Pépé, dit el Matador, tous trois escrimidores, l'un de Murcie, l'autre de Séville, le troisième de Pampelune.

      L'Italien était un bravo de Spolète; il s'appelait Giuseppe Faënza.

      L'Allemand se nommait Staupitz; le bas Breton, Joël de Jugan.

      C'était M. de Peyrolles qui avait assemblé toutes ces lames: il s'y connaissait.

      Quand maître Cocardasse et frère Passepoil franchirent le seuil du cabaret de la Pomme-d'Adam, après avoir mis leurs pauvres montures à l'étable, ils firent tous deux un mouvement en arrière à la vue de cette respectable compagnie.

      La salle basse n'était éclairée que par une seule fenêtre, et dans ce demi-jour la fumée des pipes mettait un nuage. Nos deux amis ne virent d'abord que les moustaches en croc saillant hors des maigres profils, et les rapières pendues à la muraille.

      Mais six voix enrouées crièrent à la fois:

      – Maître Cocardasse!

      – Frère Passepoil!

      Non sans accompagnement de jurons assortis: juron des États du saint-père, juron des bords du Rhin, juron de Quimper-Corentin, jurons de Murcie, de Navarre et d'Andalousie.

      Cocardasse mit sa main en visière au-dessus de ses yeux.

      – A pa pur! s'écria-t-il, todos camaradas!..

      – Tous des anciens! traduisit Passepoil, qui avait la voix encore un peu tremblante.

      Ce Passepoil était un poltron de naissance que le besoin avait fait brave. La chair de poule lui venait pour un rien, mais il se battait mieux qu'un diable.

      Il y eut des poignées de main échangées, de bonnes poignées de main qui broient les phalanges; il y eut grande dépense d'accolades: les pourpoints de buffle se frottèrent les uns contre les autres; le vieux drap, le velours pelé entrèrent en communication. On eût trouvé de tout dans le costume de ces intrépides, excepté du linge blanc.

      De nos jours, les maîtres d'armes, ou, pour parler leur langue, MM. les professeurs d'escrime sont de sages industriels, bons époux, bons pères, exerçant honnêtement leur état.

      Au xviie siècle, un virtuose d'estoc et de taille était une manière de Mondor, favori de la cour et de la ville, ou bien un pauvre diable obligé de faire pis que pendre pour boire son soûl de mauvais vin à la gargote. Il n'y avait pas de milieu.

      Nos camarades du cabaret de la Pomme-d'Adam avaient eu peut-être leurs bons jours; mais le soleil de la prospérité s'était éclipsé pour eux tous. Ils étaient manifestement battus par le même orage.

      Avant l'arrivée de Cocardasse et de Passepoil, les trois groupes, distincts, n'avaient point lié familiarité. Le Breton ne connaissait personne, l'Allemand ne frayait qu'avec le Spolétan, et les trois Espagnols se tenaient fièrement à leur écot. Mais Paris était déjà un centre pour les beaux-arts. Des gens comme Cocardasse junior et Amable Passepoil, qui avaient tenu table ouverte dans la rue Croix-des-Petits-Champs, au revers du Palais-Royal, devaient connaître tous les fendants de l'Europe.

      Ils servirent de trait d'union entre les trois groupes, si bien faits pour s'apprécier et s'entendre. La glace fut rompue, les tables se rapprochèrent, les brocs se mêlèrent, et les présentations eurent lieu dans les formes.

      On connut les titres de chacun. C'était à faire dresser les cheveux!

      Ces six rapières accrochées à la muraille avaient taillé plus de chair chrétienne que les glaives réunis de tous les bourreaux de France et de Navarre.

      Le Quimpérois, s'il eût été Huron, aurait porté deux ou trois douzaines de perruques à sa ceinture; le Spolétan pouvait voir vingt et quelques spectres dans ses rêves; l'Allemand avait massacré deux gaugraves, trois margraves, cinq rhingraves et un landgrave: il cherchait un burgrave.

      Et ce n'était rien auprès des trois Espagnols, qui se fussent noyés aisément dans le sang de leurs innombrables victimes.

      Pépé le Tueur (el Matador) ne parlait jamais que d'embrocher trois hommes à la fois.

      Nous ne saurions rien dire de plus flatteur à la louange de notre Gascon et de notre Normand: ils jouissaient de la considération générale dans ce conseil de tranche-montagnes.

      Quand on eut bu la première tournée de brocs et que le brouhaha des vanteries se fut un peu apaisé, Cocardasse dit:

      – Maintenant, mes mignons, causons de nos affaires.

      On appela la fille d'auberge, tremblante au milieu de ces cannibales, et on lui demanda d'apporter d'autre vin.

      C'était une grosse brune un peu louche, Passepoil avait déjà