Le Bossu, Volume 1. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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table et l'échiquier. Depuis quinze jours que le prince était au château, c'était bien la cent cinquantième partie qui allait commencer.

      A trente ans, avec le nom et la figure de Gonzague, cette passion d'échecs devait donner à penser.

      De deux choses l'une: ou il était bien ardemment amoureux d'Aurore, ou il était bien désireux de mettre la dot dans ses coffres.

      Tous les jours, après le dîner comme après le souper, on apportait l'échiquier. Le bonhomme Verrous était de quatorzième force. Tous les jours, Gonzague se laissait gagner une douzaine de parties, à la suite desquelles Verrous triomphant s'endormait dans son fauteuil, sans quitter le champ de bataille, et ronflait comme un juste.

      C'était ainsi que Gonzague faisait sa cour à mademoiselle Aurore de Caylus.

      – Monsieur le prince, dit le marquis en rangeant ses pièces, je vais vous montrer aujourd'hui une combinaison que j'ai trouvée dans le docte traité de Cessolis… Je ne joue pas aux échecs comme tout le monde, et je tâche de puiser aux bonnes sources. Le premier venu ne saurait point vous dire que les échecs furent inventés par Attalus, roi de Pergame, pour divertir les Grecs durant le long siége de Troie. Ce sont des ignorants ou des gens de mauvaise foi qui en attribuent l'honneur à Palamède… Voyons, attention à votre jeu, s'il vous plaît.

      – Je ne saurais vous exprimer, monsieur le marquis, répliqua Gonzague, tout le plaisir que j'ai à faire votre partie.

      Ils engagèrent. Les convives étaient encore autour d'eux.

      Après la première partie perdue, Gonzague fit signe à Peyrolles, qui jeta sa serviette et sortit. Peu à peu le chapelain et les autres officiers l'imitèrent. Verrous et Gonzague restèrent seuls.

      – Les Latins, reprenait le bonhomme, appelaient cela le jeu des latrunculi ou petits voleurs… Les Grecs le nommaient zatrikion. Sarrazin fait observer dans son excellent livre…

      – Monsieur le marquis, interrompit Philippe de Gonzague, je vous demande pardon de ma distraction… me permettez-vous de relever cette pièce?

      Par mégarde, il venait d'avancer un pion qui lui donnait partie gagnée.

      Verrous se fit un peu tirer l'oreille, mais sa magnanimité l'emporta.

      – Relevez, dit-il, monsieur le prince, mais n'y revenez point, je vous prie… Les échecs ne sont point un jeu d'enfant.

      Gonzague poussa un profond soupir.

      – Je sais, je sais, poursuivit le bonhomme d'un accent goguenard, nous sommes amoureux…

      – A en perdre l'esprit! monsieur le marquis.

      – Je connais cela, monsieur le prince… Attention au jeu!.. je prends votre fou.

      – Vous ne m'achevâtes point hier, dit Gonzague en homme qui veut secouer de pénibles pensées, l'histoire de ce gentilhomme qui voulut s'introduire dans votre maison…

      – Ah! rusé matois! s'écria Verrous, vous essayez de me distraire; mais je suis comme César, qui dictait cinq lettres à la fois… Vous savez qu'il jouait aux échecs?.. Eh bien, le gentilhomme eut une demi-douzaine de coups d'épée, là-bas, dans le fossé. Pareille aventure a eu lieu plus d'une fois; aussi la médisance n'a jamais trouvé à mordre sur la conduite de mesdames de Caylus.

      – Et ce que vous faisiez alors en qualité de mari, monsieur le marquis, demanda négligemment Gonzague, le feriez-vous aussi comme père?

      – Parfaitement, repartit le bonhomme; je ne connais pas d'autre façon de garder les filles d'Ève… Schah-Mato! monsieur le prince, comme disent les Persans… vous êtes encore battu.

      Il s'étendit dans son fauteuil.

      – De ces deux mots schah-mato, continua-t-il en s'arrangeant pour dormir sa sieste, qui signifient le roi est mort, nous avons fait échec et mat, suivant Ménage et suivant Fréret… Quant aux femmes, croyez-moi… de bonnes rapières autour de bonnes murailles… voilà le plus clair de la vertu!..

      Il ferma les yeux et s'endormit. Gonzague quitta précipitamment la salle à manger.

      Il était à peu près deux heures après midi. M. de Peyrolles attendait son maître en rôdant dans les corridors.

      – Nos coquins? fit Gonzague dès qu'il l'aperçut.

      – Il y en a six d'arrivés, répondit Peyrolles.

      – Où sont-ils?

      – A l'auberge de la Pomme-d'Adam, de l'autre côté des douves.

      – Qui sont les deux manquants?

      – Maître Cocardasse junior, de Tarbes, et frère Passepoil, son prévôt.

      – Deux bonnes lames! fit le prince; – et l'autre affaire?

      – Dame Marthe est présentement chez mademoiselle de Caylus.

      – Avec l'enfant?

      – Avec l'enfant.

      – Par où est-elle entrée?

      – Par la fenêtre basse de l'étuve qui donne dans les fossés, sous le pont.

      Gonzague réfléchit un instant, puis il reprit:

      – As-tu interrogé dom Bernard?

      – Il est muet, répondit Peyrolles.

      – Combien as-tu offert?

      – Cinq cents pistoles.

      – Cette dame Marthe doit savoir où est le registre… Il ne faut pas qu'elle sorte du château.

      – C'est bien, dit Peyrolles.

      Gonzague se promenait à grands pas.

      – Je veux lui parler moi-même, murmura-t-il; mais es-tu bien sûr que mon cousin de Nevers ait reçu le message d'Aurore?

      – C'est notre Allemand qui l'a porté.

      – Et Nevers doit arriver?

      – Ce soir.

      Ils étaient à la porte de l'appartement de Gonzague.

      Au château de Caylus, trois corridors se coupaient à angle droit: un pour le corps de logis, deux pour les ailes en retour.

      L'appartement du prince était situé dans l'aile occidentale, terminée par l'escalier qui menait aux étuves. Un bruit se fit dans la galerie centrale. C'était dame Marthe, qui sortait du logis de mademoiselle de Caylus. Peyrolles et Gonzague entrèrent précipitamment chez ce dernier, laissant la porte entre-bâillée.

      L'instant d'après, dame Marthe traversait le corridor d'un pas furtif et rapide.

      Il faisait plein jour; mais c'était l'heure de la sieste, et la mode espagnole avait franchi les Pyrénées. Tout le monde dormait au château de Caylus. Dame Marthe avait tout sujet d'espérer qu'elle ne ferait point de fâcheuse rencontre.

      Comme elle passait devant la porte de Gonzague, Peyrolles s'élança sur elle à l'improviste, et lui appuya fortement son mouchoir contre la bouche, étouffant ainsi son premier cri. Puis il la prit à bras-le-corps, et l'emporta demi-évanouie dans la chambre de son maître.

      II

      – Cocardasse et Passepoil. —

      L'un enfourchait un vieux cheval de labour à longs crins mal peignés, à jambes cagneuses et poilues; l'autre était assis sur un âne, à la manière des châtelaines voyageant au dos de leur palefroi.

      Le premier se portait fièrement, malgré l'humilité de sa monture, dont la tête triste pendait entre les deux jambes. Il avait un pourpoint de buffle, lacé, à plastron taillé en cœur, des chausses de tiretaine piquées et de ces belles bottes en entonnoir si fort à la mode sous Louis XIII. Il avait, en outre, un feutre rodomont et une énorme rapière.

      C'était maître Cocardasse junior, natif de Toulouse, ancien maître en fait d'armes de la ville de Paris, présentement établi à Tarbes, où