Le Bossu, Volume 1. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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le gouverneur de Pampelune n'avait plus de filles, et sa réputation de geôlier était si parfaitement établie, que les plus intrépides parmi les demoiselles à marier reculèrent devant sa recherche.

      Il resta veuf, attendant avec impatience l'âge où sa fille aurait besoin d'être cadenassée. Les gentilshommes du pays ne l'aimaient point, et, malgré son opulence, il manquait souvent de compagnie. L'ennui le chassa hors de ses donjons. Il prit l'habitude d'aller chaque année à Paris, où les jeunes courtisans lui empruntaient de l'argent et se moquaient de lui.

      Pendant ces absences, Aurore restait à la garde de deux ou trois duègnes et d'un vieux chapelain.

      Aurore était belle comme sa mère. C'était du sang espagnol qui coulait dans ses veines. Quand elle eut seize ans, les bonnes gens du hameau de Tarrides entendirent souvent, dans les nuits noires, les chiens de Caylus qui hurlaient.

      Vers cette époque, Philippe de Lorraine, duc de Nevers, un des plus brillants seigneurs de la cour de France, vint habiter son château du Buch dans le Jurançon. Il atteignait à peine sa vingtième année, et, pour avoir usé trop tôt de la vie, il s'en allait mourant d'une maladie de langueur. L'air des montagnes lui fut bon; après quelques semaines de vert, on le vit mener ses équipages de chasse jusque dans la vallée de Louron.

      La première fois que les chiens de Caylus hurlèrent la nuit, le jeune duc de Nevers, harassé de fatigue, avait demandé le couvert à un bûcheron de la forêt d'Ens.

      Nevers resta un an à son château du Buch. Les bergers de Tarrides disaient que c'était un généreux seigneur.

      Les bergers de Tarrides racontaient deux aventures nocturnes qui eurent lieu pendant son séjour dans le pays. – Une fois, on vit, à l'heure de minuit, des lueurs à travers les vitraux de la vieille chapelle de Caylus.

      Les chiens n'avaient pas hurlé; – mais une forme sombre, que les gens du hameau commençaient à connaître pour l'avoir aperçue souvent, s'était glissée dans les douves après la brume tombée.

      Ces antiques châteaux sont tous pleins de fantômes.

      Une autre fois, vers onze heures de nuit, dame Marthe, la moins âgée des duègnes de Caylus, sortit du manoir par la grand'porte, et courut à cette cabane de bûcheron où le jeune duc de Nevers avait naguère reçu l'hospitalité. Une chaise portée à bras traversa peu après le bois d'Ens. – Puis des cris de femme sortirent de la cabane du bûcheron.

      Le lendemain, ce brave homme avait disparu. Sa cabane fut à qui voulut la prendre.

      Dame Marthe quitta aussi, le même jour, le château de Caylus.

      Il y avait quatre ans que ces choses s'étaient passées. On n'avait plus ouï parler jamais du bûcheron ni de dame Marthe.

      Philippe de Nevers n'était plus à son manoir du Buch.

      Mais un autre Philippe, non moins brillant, non moins grand seigneur, honorait la vallée de Louron de sa présence. C'était Philippe-Polyxène de Mantoue, prince de Gonzague, à qui M. le marquis de Caylus prétendait donner sa fille Aurore en mariage.

      Gonzague était un homme de trente ans, un peu efféminé de visage, mais d'une beauté rare au demeurant. Impossible de trouver plus noble tournure que la sienne. Ses cheveux noirs, soyeux et brillants, s'enflaient autour de son front plus blanc qu'un front de femme, et formaient naturellement cette coiffure ample et un peu lourde que les courtisans de Louis XIV n'obtenaient guère qu'en ajoutant deux ou trois chevelures à celle qu'ils avaient apportée en naissant. Ses yeux noirs avaient le regard clair et orgueilleux des gens d'Italie. Il était grand, merveilleusement taillé; sa démarche et ses gestes avaient une majesté théâtrale.

      Nous ne disons rien de la maison d'où il sortait. Gonzague sonne aussi haut dans l'histoire que Bouillon, Este ou Montmorency.

      Ses liaisons valaient sa noblesse. Il avait deux amis, deux frères, dont l'un était Lorraine, l'autre Bourbon. Le duc de Chartres, neveu propre de Louis XIV, depuis duc d'Orléans et régent de France, le duc de Nevers et le prince de Gonzague étaient inséparables. La cour les nommait les trois Philippe. Leur tendresse mutuelle rappelait les beaux types de l'amitié antique.

      Philippe de Gonzague était l'aîné; le futur régent n'avait que vingt-quatre ans, et Nevers comptait une année de moins.

      On doit penser combien l'idée d'avoir un gendre semblable flattait la vanité du vieux Caylus. Le bruit public accordait à Gonzague des biens immenses en Italie; de plus, il était cousin germain et seul héritier de Nevers, que chacun regardait comme voué à une mort précoce. Or, Philippe de Nevers, unique héritier du nom, possédait un des plus beaux domaines de France.

      Certes, personne ne pouvait soupçonner le prince de Gonzague de souhaiter la mort de son ami; mais il n'était pas en son pouvoir de l'empêcher, et le fait certain est que cette mort le faisait dix ou douze fois millionnaire.

      Le beau-père et le gendre étaient à peu près d'accord. Quant à Aurore, on ne l'avait même pas consultée. Système Verrous.

      C'était par une belle journée d'automne, en cette année 1699. Louis XIV se faisait vieux et se fatiguait de la guerre. La paix de Ryswyck venait d'être signée; mais les escarmouches entre partisans continuaient aux frontières, et la vallée de Louron, entre autres, avait bon nombre de ces hôtes incommodes.

      Dans la salle à manger du château de Caylus, une demi-douzaine de convives étaient assis autour de la table amplement servie. Le marquis pouvait avoir ses vices, mais du moins traitait-il comme il faut.

      Outre le marquis, Gonzague et mademoiselle de Caylus, qui occupaient le haut bout de la table, les assistants étaient tous gens de moyen état et à gages. C'était d'abord dom Bernard, le chapelain de Caylus, qui avait charge d'âmes dans le petit hameau de Tarrides, et tenait en la sacristie de sa chapelle registre des décès, naissances et mariages; c'était ensuite dame Isidore du Mas de Gabour, qui avait remplacé dame Marthe dans ses fonctions auprès d'Aurore; c'était, en troisième lieu, le sieur de Peyrolles, gentilhomme attaché à la personne du prince de Gonzague.

      Nous devons faire connaître celui-ci, qui tiendra sa place dans notre récit.

      M. de Peyrolles était un homme entre deux âges, à figure maigre et pâle, à cheveux rares, à stature haute et un peu voûtée. De nos jours, on se représenterait difficilement un personnage semblable sans lunettes; la mode n'y était point. Ses traits étaient comme effacés, mais son regard myope avait de l'effronterie. Gonzague affirmait que M. de Peyrolles se servait fort bien de l'épée qui pendait gauchement à son flanc.

      En somme, Gonzague le vantait beaucoup; il avait besoin de lui.

      Les autres convives, officiers de Caylus, pouvaient passer pour de purs comparses.

      Mademoiselle Aurore de Caylus faisait les honneurs avec une dignité froide et taciturne. Généralement, on peut dire que les femmes, voire les plus belles, sont ce que leur sentiment présent les fait. Telle peut être adorable auprès de ce qu'elle aime, et presque déplaisante ailleurs. Aurore était de ces femmes qui plaisent en dépit de leur vouloir, et qu'on admire malgré elles-mêmes.

      Elle avait le costume espagnol. Trois rangs de dentelles tombaient parmi le jais ondulant de ses cheveux.

      Bien qu'elle n'eût pas encore vingt ans, les lignes pures et fières de sa bouche parlaient déjà de tristesse; mais que de lumière devait faire naître le sourire autour de ces jeunes lèvres! et que de rayons dans ces yeux largement ombragés par la soie recourbée des longs cils!

      Il y avait bien des jours qu'on n'avait vu un sourire autour des lèvres d'Aurore.

      Son père disait:

      – Tout cela changera quand elle sera madame la princesse.

      Et il ne s'en inquiétait point autrement.

      A la fin du second service, Aurore se leva et demanda la permission de se retirer. Dame Isidore jeta un long regard de regret sur les pâtisseries, confitures et conserves qu'on apportait. Son devoir l'obligeait de suivre sa jeune maîtresse.

      Dès qu'Aurore fut partie, le marquis prit un air plus