Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 3. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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n'avait fallu que mon sang pour le sauver!.. Mais je ne pouvais pas… Vous savez bien que je ne pouvais pas!..»

      Les lèvres de René grimacèrent un sourire.

      – Oh! oui… murmura-t-il, mon généreux frère savait cela, madame… et quand il est revenu, trois ans après, il vous a donné sans doute l'absolution de votre crime!..

      – Revenu? répéta Marthe étonnée.

      René haussa les épaules.

      «Ils me disaient encore, poursuivit-il en reprenant sa lecture, que vous aviez quitté le manoir pour fuir la vue de mes larmes; et comme je ne les croyais pas, ils me dirent une fois que vous étiez mort…

      «Pendant sept mois, tout fut inutile. Louis, ma plume se refuse à écrire le motif de ma résistance. Alors même que je n'eusse pas cru à la nouvelle de votre mort, je n'aurais pas pu me marier en ce temps-là…

      «Je me trompe, d'ailleurs, en disant que tout le monde était contre moi. Votre oncle Jean et sa femme, qui n'est plus, hélas! me soutenaient et m'encourageaient à vous attendre. Sans eux, il m'aurait fallu mourir de douleur et de honte…»

      René s'interrompit encore.

      – Il y avait longtemps que je me doutais de cela! dit-il; notre excellent oncle me trahissait tout en mangeant mon pain… Son tour viendra, et je lui garde sa digne récompense.

      Avant de continuer, il tourna le bouton de la lampe, dont la mèche, déjà trop longue, jetait une flamme haute et fumeuse.

      – On n'y voit plus!.. grommela-t-il.

      C'était le sang qui aveuglait ses yeux.

      «… Si cette lettre parvient jamais entre vos mains, reprit-il en faisant pour lire des efforts de plus en plus pénibles, priez pour la femme de Jean de Penhoël, qui a fait pour moi plus que ma propre mère! Et si jamais vous revoyez la France, rendez en bienfaits à Jean de Penhoël le dévouement dont il m'a comblée…

      «C'est lui qui me console et qui sait le fond de mon cœur; c'est avec lui seul que je puis parler de vous…»

      – Oh!.. dit René qui essuya son front en sueur; c'est long, madame, et je ne trouve pas dans tout cela ce que je cherche! Je suis bien sûr de l'avoir lu pourtant, au milieu de vos jérémiades amoureuses… Il est vrai qu'un autre œil plus perçant que le mien me montrait la ligne et la page… Que le diable emporte cette lampe! j'ai beau la monter, on n'y voit plus du tout!..

      Il but un grand verre pour s'éclaircir la vue.

      – Allons! poursuivit-il, je saute trois ou quatre pages de pleurs et de sanglots… Nous n'en sommes plus à savoir que vous aimiez mon généreux frère comme une folle… Voyons si j'ai la main heureuse:

      «… Vous avez des devoirs à remplir dont vous ne vous doutez pas, Louis. A Dieu ne plaise qu'un reproche tombe de ma plume pour aller troubler vos joies si vous êtes heureux, ou accroître vos peines si vous souffrez… mais il faut bien vous le dire: Descendez au fond de votre conscience et souvenez-vous… L'exil volontaire n'est permis qu'à celui qui se voit seul au monde, et vous n'êtes pas seul!..»

      – En ai-je trop sauté?.. s'écria René qui retourna la page; le diable s'en mêle, je crois!.. je ne comprends plus… La lampe s'éteint, et mon flacon se vide… Ah! si Robert de Blois était là pour m'aider!..

      Comme il tournait les feuillets au hasard, le papier s'échappa de sa main tremblante. Il se baissa pour le ressaisir; les veines de son front se gonflèrent.

      – Je suis de sang-froid… murmurait-il; j'ai fait exprès de ne pas boire… Il faut du calme pour juger… Écoutez, écoutez!.. Voici bien ce que je cherchais!..

      «… Revenez, Louis, je vous en supplie, revenez…»

      – Mais qu'y a-t-il donc ensuite?.. Oh! oh!.. l'encre a blanchi! le papier et l'écriture sont de la même couleur!.. Et cette lampe du démon!..

      Il tourna encore le bouton; le verre lui éclata au visage.

      Il se leva furieux.

      – On ne veut pas que je lise!.. s'écria-t-il; mais qu'importe tout cela?.. J'ai vu, vu de mes yeux… Blanche de Penhoël est sa fille!.. sa fille, entendez-vous?

      Il y avait longtemps que Marthe restait immobile et protégée par son engourdissement inerte. Comme toujours, le nom de Blanche secoua son apathie.

      – Blanche!.. répéta-t-elle. Vous ne m'avez pas dit encore ce que vous avez fait de ma fille…

      Puis elle ajouta en frissonnant:

      – Est-ce que vous vous seriez vengé sur elle?..

      Son intelligence s'éveillait. Elle comprenait vaguement que Robert, abusant de l'ivresse de René, lui avait fait voir dans la lettre les choses qui n'y étaient point.

      Penhoël était debout et faisait effort pour garder l'équilibre. Ses jambes avinées pouvaient à peine le soutenir. Marthe se laissa glisser, agenouillée, à ses pieds.

      – Elle est votre fille, murmura-t-elle. Oh! René, je vous le jure… au nom de Dieu, ayez pitié de votre enfant!

      Son cœur, qui recommençait à battre, avait envoyé un peu de sang à sa joue; ses yeux retrouvaient des larmes; ses grands cheveux blonds, dénoués, inondaient son visage et tombaient jusque sur ses épaules.

      René se prit à la contempler tout à coup en silence. Sa physionomie changea. Quand il prit enfin la parole, il y avait dans sa voix une émotion triste et presque tendre.

      – Oh! je sais bien que vous êtes belle!.. dit-il; si vous aviez voulu, nous aurions été bien heureux… Je ne demandais qu'à vous aimer en esclave, Marthe… Vous souvenez-vous?.. Il y a longtemps!.. Mais moi, je n'ai point oublié comme mon cœur battait à votre vue… Depuis, une autre femme m'a pris mon cœur et ma raison… Lola… qui est bien belle aussi!.. Lola, qui m'abandonne lâchement à l'heure où je souffre!.. Mais ce n'était pas le même amour… Oh! non… En ma vie je n'ai aimé que vous, Marthe, et je n'aimerai que vous!..

      Il se rassit à côté de Madame et prit à deux mains ses beaux cheveux pour les ramener en arrière.

      – Vous souvenez-vous, continua-t-il, de mes prières et de mes larmes?.. Je ne savais pas tout mon malheur, mais je sentais qu'on ne m'aimait pas… Mon Dieu! si la voix de quelque génie m'avait dit: «Veux-tu donner ta vie tout entière pour une semaine de bonheur… une semaine pendant laquelle on te rendra tendresse pour tendresse?..» Oh! Marthe, comme j'aurais donné ma vie!..

      Marthe baissait les yeux.

      – Ma fille!.. dit-elle tout bas; vous ne me parlez pas de ma fille!

      René se leva une seconde fois, et repoussa son fauteuil qui roula jusqu'au milieu du salon.

      – Fou que je suis!.. s'écria-t-il tandis que la colère empourprait de nouveau la tache ardente qui brûlait au milieu de sa joue pâle; il faut que cette femme me rappelle à moi-même?.. Sa fille, n'est-ce pas? poursuivit-il en menaçant du poing le portrait de son frère; sa fille à lui, le menteur et le lâche!.. Pas un mot, madame!.. Par le nom de Dieu, je ne veux plus vous entendre!.. Oh! je suis tombé bien bas… Le fils de Penhoël est pauvre maintenant comme les mendiants qui viennent chercher l'aumône à la porte du manoir… Le fils de Penhoël n'a plus d'asile… Et ce n'est pas le malheur seulement qui pèse sur sa tête… Il y a aussi la honte!.. Si les gens qui l'ont ruiné n'ont pas pitié de lui, le nom de son père sera traîné dans l'infamie… Et savez-vous qui a poussé René de Penhoël jusqu'au fond de cet abîme?.. ajouta-t-il en mettant sa main lourde sur l'épaule de Marthe. C'est l'homme qu'il aimait et c'est la femme qu'il adorait… c'est vous, l'épouse coupable, et lui, le frère indigne… Je vous dis de ne pas parler: je suis le maître! Vous savez bien que je dis la vérité… Le jour où mon sourcil s'est froncé pour la première fois en regardant le berceau de l'Ange, Dieu avait déjà prononcé mon arrêt… C'était mon dernier espoir qui mourait… Il n'y avait plus rien en mon cœur, et il fallait endormir l'angoisse de ma pensée… J'ai