Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 3. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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sa lecture; hélas! quand je m'éveille après ce doux songe et que je me retrouve seul et maudit!..

      «Je n'ai pas vingt-deux ans! Ma vie sera bien longue encore peut-être. Que ferai-je en ce monde? Je n'ai plus de famille; mon avenir est sans but et mon passé n'est qu'un regret amer…

      «Mon Dieu! avais-je mesuré mes forces quand j'ai accompli ce sacrifice?

      «Je ne m'en repens pas, mon frère; je vous voyais dépérir et changer, vous dont l'adolescence était naguère si belle; je cherchais à deviner votre mal, et un jour, couché dans votre lit où vous clouait la fièvre, vous me dîtes:

      « – Je vais mourir, parce que je l'aime…

      «Dieu me dicta mon devoir.

      «Vous me devinez, n'est-ce pas?.. Je vous vois d'ici René; vous avez des larmes dans les yeux et vous dites:

      « – Pauvre frère, il l'aimait donc lui aussi!..»

      René interrompit sa lecture en effet, mais ce fut pour boire un grand verre d'eau-de-vie. Il s'endurcissait à plaisir, et l'épais sourire qui raillait naguère autour de sa lèvre était revenu.

      Il y avait de l'horreur dans le regard timide que Marthe jetait sur lui.

      «… Pauvre frère, il l'aime lui aussi, répéta-t-il comme un enfant qui épelle.

      «Car, poursuivait la lettre, quand je vous ai dit en partant que je ne l'aimais pas, je vous ai trompé, mon frère.

      «Je l'aimais… je l'aimais, je l'aime encore, je l'aimerai toujours!..

      «Et à cause de cela, mon exil doit durer autant que ma vie. Je ne reverrai plus la France. Notre père et notre mère mourront sans me donner leur bénédiction… Priez pour moi, René, car je vous ai donné tout mon bonheur…»

      Un sanglot souleva la poitrine de Marthe.

      – Silence!.. dit le maître de Penhoël sans tourner la tête. Toutes ces belles paroles ne l'ont pas empêché de trahir son frère, madame!.. Il ment dans cette lettre comme il a menti toute sa vie.

      – Il n'a jamais menti!.. murmura Marthe.

      – Silence!.. répéta René; contentez-vous donc de voir comme on vous aime!.. Nous n'avons encore employé qu'une dizaine de minutes et j'ai besoin d'être patient durant toute une heure!.. Pleurez, madame, mais pleurez tout bas, au souvenir de cette âme généreuse qui a fait de son frère le plus misérable des hommes!

      «… Je ne reviendrai pas, continuait encore la lettre, parce que je me crains moi-même… Peut-être n'aurais-je pas ce qu'il faut de force pour supporter la vue de votre bonheur, car vous êtes heureux et vous la rendez heureuse, n'est-ce pas, René?

      «Oh! si quelque jour j'apprenais que mon dévouement lui a été fatal!.. si j'allais savoir!..

      «Mais non, c'est impossible! Je ne veux même pas y arrêter ma pensée; vous êtes noble et bon, René; quant à elle, c'était un enfant; vous aurez trouvé son âme docile; vous lui avez appris facilement à vous aimer…

      «Ne comptant point revoir la France, et n'ayant nul besoin de la part de fortune qui doit me revenir par héritage, je remets mon patrimoine entre vos mains, à la charge par vous de le rendre intact, sans en rien distraire ni aliéner, aux enfants que Dieu pourra donner à Marthe…

      «En cas de mort, je veux et j'entends que cette partie de ma lettre soit regardée comme un testament…

      «Et maintenant, adieu, mon frère. Dites à Marthe que je la chéris comme une sœur, afin qu'elle entende au moins prononcer mon nom… Parlez de moi à notre père et à notre mère… et surtout écrivez-moi bien vite, car ma seule consolation est de vous aimer et de penser que vous m'aimez.

«Votre frère,«Louis de Penhoël.»

      Marthe avait la tête penchée et des larmes coulaient sur ses mains jointes.

      René la regardait avec un sourire cruel.

      – Voici une longue lettre… dit-il, et nous en avons ici de plus longues. (Il frappait sur le portefeuille.) Je vous l'ai lue tout entière, parce qu'on procède ainsi quand on est juge, madame… mais je sais parfaitement que vous la connaissez mieux que moi.

      Parmi la douleur de Marthe, il y avait comme une joie recueillie; chacune des paroles d'amour contenues dans la lettre était descendue jusqu'au fond de son cœur.

      Aux derniers mots de son mari, elle releva la tête et l'interrogea du regard.

      – Je ne vous comprends pas… murmura-t-elle.

      René toucha du doigt le papier encore déplié.

      – Il y a bien des larmes sur cette lettre!.. dit-il. Je ne sais plus celles qui sont à mon généreux frère et celles qui sont à vous.

      – Monsieur, répliqua Marthe, vous ne m'aviez jamais dit que Louis de Penhoël vous eût écrit depuis son départ.

      – Vous l'aviez apparemment deviné?..

      – C'est la première fois que j'entends parler de cette lettre, monsieur.

      L'accent de Marthe était si simple et si vrai, que le maître de Penhoël eut un instant de doute. Le sang lui monta violemment au visage à l'idée d'avoir mis lui-même sous les yeux de Marthe ce message qui devait réveiller tant de souvenirs; mais ce fut l'affaire d'une seconde. Il était prévenu.

      – Fou que je suis!.. s'écria-t-il avec son rire moqueur; je me vois toujours sur le point de vous croire… J'oublie toujours que vous êtes simple et pure à peu près comme il est généreux et dévoué!..

      – Je vous affirme sur l'honneur… commença Marthe.

      – Sur l'honneur!.. répéta Penhoël d'un ton rude et insultant; je vous dis que je sais tout, madame!.. ne prenez plus la peine de feindre… Cette lettre était dans mon secrétaire; elle disparut il y a environ dix-huit mois… C'est vous qui me l'aviez volée…

      – Au nom du ciel, croyez-moi, René!..

      – A quoi bon mentir?.. L'homme qui m'a remis ce soir le portefeuille l'avait pris dans votre chambre… où il avait sans doute ses entrées…

      – Oh!.. fit Marthe qui n'avait pas prévu cet excès d'outrage.

      Penhoël eut un sourire parce que l'insulte avait porté au cœur. Rien de cruel comme le cœur faible qui trouve une victime sans défense sur qui frapper.

      – Pensez-vous donc qu'on soit aveugle? reprit-il. Il y a des mois que je vois le manége de ce Robert autour de vous… C'est un audacieux coquin qui a ruiné le père, déshonoré la mère et séduit la fille… mais ce sont ces gens-là que les femmes adorent!

      – Ma fille!.. s'écria Marthe comme si elle se fût éveillée tout à coup; vous m'aviez dit que vous m'apprendriez où est ma fille?..

      – Chaque chose aura son temps, madame… et je vous le promets encore… Mais patience! nous n'en avons pas fini avec notre correspondance…

      Il tira du portefeuille une seconde lettre, ou plutôt un petit paquet composé de plusieurs feuilles assemblées.

      – Je ne serais pas étonné, dit-il en l'ouvrant, de vous voir nier aussi votre propre écriture, et dire que vous ne connaissez pas non plus ceci…

      A la vue du cahier, Marthe avait couvert son visage de ses mains.

      – Oh! murmura-t-elle, je le reconnais… ceci est mon seul crime… que Dieu me punisse si je suis coupable!..

      XVII

      L'ÉPÉE DE PENHOËL

      Le roman pèche, dit-on, quand il veut se guinder jusqu'aux régions de la haute philosophie; il pèche plus grièvement encore quand il s'égare le long des sentiers impossibles de la science sociale ou qu'il pérore, monté sur une borne, dans cette grande route de l'économie politique, pavée de lieux communs humanitaires et de sentimentales fadaises.

      Pauvre roman!