Vers le même temps, par un retour offensif dans les États de Jeanne d'Albret, Montluc essaya de contrebalancer les succès des huguenots, et il eût fait, sans doute, une sanglante besogne dans ces pays, si l'on en juge par le siège et la destruction de Rabastens; mais la blessure qu'il y reçut, le 23 juillet, vint paralyser les mouvements de son armée. On touchait, du reste, à une suspension des hostilités. Coligny, toujours suivi des négociateurs de Catherine de Médicis, avait signé, à La Charité, une trêve qui amena la paix de Saint-Germain, dite la «paix du roi Charles», conclue le 8 août. Ce traité reproduit plusieurs articles des traités précédents, mais, dans l'ensemble, il est comme l'ébauche du célèbre édit de Nantes.
Le roi accorde aux «confédérés» une amnistie entière, la liberté de conscience, le libre exercice du culte dissident par toute la France, excepté dans Paris et à la cour; un cimetière protestant dans toutes les villes; l'admission, sans distinction de culte, des pauvres et des malades dans les écoles et dans les hôpitaux.
Il ordonne à tous ses sujets de vivre en bonne intelligence; rétablit l'exercice de la religion catholique dans toutes les parties du royaume; déclare qu'il regarde la reine de Navarre, les princes de Navarre et de Condé, comme ses bons et fidèles parents, et comme amis tous ceux qui ont suivi leur parti, même les princes étrangers.
Il approuve et ratifie tout ce qui a été fait, pendant la guerre, par les ordres des chefs confédérés, même la levée des deniers du roi, ordonnée par Jeanne, et défend toute recherche à ce sujet; reconnaît que les protestants, supportant les charges de l'Etat, en doivent partager les honneurs et les dignités; entend qu'on rende les biens et les meubles enlevés aux protestants; à certaines villes, le droit en vertu duquel elles étaient exemptes de garnisons; au prince d'Orange et à ses frères, les riches possessions acquises en France, depuis les traités conclus entre François Ier et la Maison de Nassau; à la reine de Navarre, toutes ses terres, villes et places fortes.
Charles IX ordonne que la justice soit égale pour tous; que les jugements, même criminels, rendus pendant les troubles, soient révoqués, annulés; que les protestants soient tenus d'observer toutes les lois et coutumes de l'Etat. Toutefois, comme le parlement de Toulouse leur est suspect, ils pourront appeler de ses jugements devant les maîtres des requêtes, qui en décideront en dernier ressort. On leur concède même le droit de récuser jusqu'à six juges, un président et un certain nombre de conseillers, dans les parlements de Dijon, de Rouen, d'Aix, de Grenoble, de Bordeaux et de Rennes, où ils comptaient beaucoup d'ennemis.
Comme garanties, le roi laisse aux calvinistes, pour places de sûreté, La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité, que les princes de Navarre et de Condé et quarante des principaux seigneurs du parti s'obligent de rendre deux ans après la publication de l'édit. Enfin, la peine de mort est prononcée contre quiconque oserait enfreindre le traité ou refuserait de le publier.
Enregistré au parlement de Paris, le 10 août 1570, l'édit de paix fut publié, le 11, au camp des princes, et, le 26, à La Rochelle.
CHAPITRE VIII
Le piège manifeste. – Aveuglement des calvinistes. – Coligny séduit. – Résistance de Jeanne d'Albret et de Henri. – Jeanne cède enfin. – La reine de Navarre à Blois. – Ses tribulations. – Sa lettre au prince de Navarre. – Signature du contrat de mariage de Henri avec Marguerite de Valois. – Jeanne d'Albret à Paris. – Sa maladie et sa mort. – Elle ne fut pas empoisonnée. – Son testament. – Jugement sur la vie de cette reine.
En présence de ce traité, si favorable aux vaincus de Jarnac et de Moncontour, une réflexion vient forcément à l'esprit. Comment les calvinistes ne gardèrent-ils pas, jusqu'à la fin, les sentiments de défiance qu'ils montrèrent, sitôt la paix conclue, et longtemps après? Terrassés deux fois, capables encore de troubler le royaume, mais impuissants à le subjuguer, on accueille toutes leurs revendications; on les amnistie; on leur rouvre toutes les voies qu'on avait voulu leur barrer, et qu'on leur avait barrées en effet; ils obtiennent, non après une victoire, mais au cours d'une campagne dont l'issue était au moins incertaine, plus d'avantages et plus de garanties qu'ils n'en eussent osé espérer; pour tout dire, on les restaure, agrandis, dans l'Etat, et leurs yeux ne s'ouvrent pas, et ils ne touchent pas du doigt le piège, ils n'entrevoient pas l'abîme! Ils le pressentirent; mais Coligny fut accablé par la cour de tant de caresses, jusqu'à ce point que le roi voulut favoriser le second mariage du nouveau Caton avec une nouvelle Porcia; on accueillit avec tant de déférence sa personne, ses amis, ses avis, ses projets de guerre contre l'Espagne, qu'il finit par ressentir et prêcher la plus entière confiance. L'amiral séduit, la cour espéra gagner aussi Jeanne d'Albret par le projet de mariage de Marguerite de Valois avec son fils. Mais la reine de Navarre résista plus longtemps que l'amiral, et, jusqu'aux derniers jours, elle fut méfiante, tout en se laissant aller, elle et les siens et leur fortune, sur la pente fatale où glissait tout un parti: plus clairvoyante, mais moins logique, il faut l'avouer, que l'amiral, qui niait encore le péril, la veille de sa mort.
Les négociations et les pourparlers préliminaires avec Jeanne furent très laborieux, et durèrent depuis la fin de l'année 1570 jusqu'au mois d'avril 1572: elle mit sur les dents toute la diplomatie de Catherine de Médicis, aidée en cela par les répugnances de son fils pour l'union projetée. Henri, en effet, ne semble pas s'être jamais fait illusion sur les conséquences de son mariage, bien qu'il fût loin, sans doute, d'en prévoir les plus extrêmes. Il partageait, du reste, la méfiance de sa mère, et des historiens ont prétendu que, livré à lui-même, il n'eût pas voulu s'allier aux Valois dans les circonstances où il en était sollicité. On trouve l'expression personnelle de ses sentiments dans une lettre au roi de France, datée du 13 janvier 1571. Quelques semaines auparavant, Charles IX avait épousé Elisabeth d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien II. Avant de rentrer à Paris avec la reine, il souhaita la présence du prince de Navarre, qui répondit: «Le maréchal de Cossé m'a dit de bouche, de votre part, l'honneur que me faites de me désirer près de vous, et me trouver à votre entrée à Paris… Il se pourrait que cela servît à l'établissement de la paix, ainsi que vous le mandez à la reine de Navarre, ma mère, laquelle n'en a moindre affection que moi… Mais les pratiques et les menées de ceux qui ne peuvent vivre sans remuer et brouiller, et les évidentes contraventions qui se font à votre édit nous font craindre que l'on nous veuille encore tromper…»
Jeanne d'Albret, par écrit ou verbalement, énuméra en détail ses griefs, sans en omettre un seul: restitutions, réparations, garanties, pour elle, pour son fils, pour ses coreligionnaires, elle ne fit grâce de rien à Catherine ou à ses envoyés. Elle stipula même qu'on obligerait Bordeaux, qui avait refusé ses portes à Henri et à Condé allant en Béarn, à reconnaître et à honorer comme son gouverneur le prince de Navarre. On discutait ses prétentions, mais on les admettait; plus elle retardait la conclusion du traité matrimonial, plus on lui faisait d'avances ou de concessions. Enfin, pressée de toutes parts, forcée de reconnaître que ses amis étrangers, comme ses partisans français, l'amiral en tête, comme ses propres sujets, se déclaraient en faveur du mariage, elle donna sa parole, promettant de se rendre à la cour pour arrêter les détails du contrat. Le 26 novembre 1571, Jeanne partit de Pau, accompagnée de son fils, de Catherine, sa fille, de Louis de Nassau, son cousin, et d'une grande partie de sa cour. Elle fit un assez long séjour à Nérac et dans plusieurs villes de Guienne, de Saintonge et de Poitou, et, se séparant de son fils, qu'elle ne devait plus revoir, elle arriva, dans les premiers jours du printemps, à Blois, où la cour