Le récit de cette terrifiante journée n'exige pas sa place dans notre étude. Il est de ceux que le monde entier connaît, ce massacre ayant eu le triste don, par ses dramatiques péripéties, de fasciner la curiosité humaine, souvent cruelle dans ses investigations. Parmi les documents célèbres qui abondent sur la Saint-Barthélemy, nous n'en connaissons pas de plus riche en révélations poignantes, en aveux effrayants, en clartés terribles, que la relation du duc d'Anjou, roi de Pologne, que l'histoire a enregistrée sous le nom de «discours de Cracovie14». Nous la mentionnons parmi les pièces recueillies à la fin de cet ouvrage. Ici, la probité dicte quelques réflexions.
L'œuvre sanglante de la Saint-Barthélemy a été, dans ces derniers temps, le sujet d'éclatantes controverses. On a écrit des volumes, d'ailleurs instructifs, sur cette question: «La Saint-Barthélemy a-t-elle été préméditée?» Par quel étrange abus de mots, par quel goût malsain pour les discussions byzantines, en est-on arrivé à transformer en problème ce qui, pendant trois siècles, n'a réclamé aucune démonstration? Depuis la paix de Saint-Germain jusqu'à l'attentat contre l'amiral, pendant plus de deux années, il n'y a pas, dans la politique de Catherine de Médicis, un seul acte qui ne tende visiblement à endormir la méfiance des calvinistes, à encourager leurs espérances, à flatter, sinon à satisfaire leurs ambitions; la cour leur promet tout, leur offre tout, leur donne tout; les Valois orthodoxes jettent leur fille dans les bras du Bourbon hérétique; toutes les amorces partent du Louvre et y ramènent l'élite de la France protestante: la voilà qui accourt au son des cloches de l'hymen royal. Et il n'y a pas eu de préméditation dans ce qui s'est fait, et il n'y en aura pas dans ce qui va suivre! C'est donc pour livrer la monarchie et le pays aux calvinistes qu'on les a rassemblés, leurs chefs en tête, autour du trône; ou bien, c'est par hasard que mille manœuvres inconscientes ont rempli deux années pour aboutir à l'immense manœuvre des derniers jours! Certes, une Saint-Barthélemy a été préméditée, longuement et savamment préméditée, si jamais quelque chose le fut en ce monde. Qu'on ait réglé, six mois, six semaines ou six jours auparavant, la mise en scène de l'effroyable dénouement; qu'on ait fait d'avance, dans l'œuvre de destruction, la part du feu, du poison et des cachots; qu'on ait condamné les uns, gracié les autres; que le nom de l'amiral ait figuré le premier ou le dernier sur la liste de proscription; qu'on ait hésité longtemps sur les mesures à prendre, sur les têtes à frapper, sur les agents à employer, sur l'économie du sinistre cérémonial, ce sont là des sujets précieux pour l'historiette, mais qui n'enlèvent rien à la réalité de ce grand fait caractérisant un grand crime: la préméditation.
La veille du massacre, dans le dernier conseil secret qui précéda l'exécution, «la vie du roi de Navarre et du prince de Condé», – dit Mézeray, qui résume ses devanciers, – «fut balancée quelque temps entre la grâce et la mort. Les Guises, à ce qu'on croit, ayant déjà conçu quelque rayon d'espérance de parvenir à la couronne, eussent bien souhaité qu'on les eût ôtés du monde, si bien que leurs confidents apportèrent quelques raisons dans le conseil pour le persuader, mais bien différentes de celles qui les mouvaient en effet. Quant au roi de Navarre, il fut considéré que le fait, qui de soi-même était fort étrange, paraîtrait beaucoup plus horrible aux nations étrangères, si un grand prince dont le père était mort au service du roi, et qui avait été enveloppé dans les mauvaises opinions par le malheur de sa naissance, était massacré dans le Louvre, à la vue de son beau-frère, entre les bras de sa nouvelle épouse; qu'au reste, l'on ne pourrait point se décharger d'un meurtre si atroce sur les Guises, parce que l'on savait bien qu'ils n'avaient point d'inimitié entre eux; et qu'après tout, ce serait une trop grande honte au roi de dire que ses sujets auraient eu l'audace de tuer son beau-frère à ses pieds. Ces puissantes raisons et d'ailleurs la facilité de son naturel, sa modération et sa grande bonté, qui, depuis qu'il était à la cour, avaient imprimé dans les cœurs de bons sentiments de lui, furent cause que le Conseil, presque tout d'une voix, conclut de lui sauver la vie. Mais pour celle du prince de Condé, comme son humeur inflexible et la mémoire de son père aggravaient sa cause, elle se trouva en grand danger. Il n'y eut que le duc de Nevers, qui avait épousé la sœur de sa femme, qui se montra ferme pour lui: ce qu'il fit de sorte qu'il l'emporta à la fin, mais avec grand'peine, en se rendant caution qu'il demeurerait dans l'obéissance du roi et se ferait catholique.»
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