Car il étoit alors aussi savant en siége
Qu'il étoit heureux en assaut.
Son courage étoit grand, son soin étoit extrême;
Il voyoit ses travaux lui-même,
Et ce conquérant, à son tour,
Employoit son adresse à remuer la terre,
Pour persuader que l'Amour
Est infatigable à la guerre.
Cependant, sur le prompt avis
Que la Gloire 25 eut du siége et de la guerre ouverte,
Elle se dépêcha d'aller au cœur d'Iris,
Pour empêcher les deux partis
De courir à leur perte.
Depuis longtemps elle savoit
Que la Vertu n'avoit point de foiblesse,
Qu'elle écoutoit tous ses conseils sans cesse,
Et que l'Amour quelquefois les suivoit,
Mais que l'Amour, étant opiniâtre,
Ou battroit, ou se feroit battre.
Elle eût voulu que la Vertu
Eût traité l'Amour sans rudesse,
Et que l'Amour eût combattu
Par le conseil de la Tendresse.
Le plus grand de tous ses souhaits
Etoit de presser une paix
Où tous les deux partis eussent de l'avantage:
Le monde l'espéroit, et l'on disoit partout
Que la Gloire étoit assez sage
Pour en pouvoir venir à bout.
L'Amour n'étoit pas sans peine,
Il redoutoit les assiégés,
Et ses gens étoient affligés
De voir son entreprise vaine.
Il prétendoit tout hasarder,
Il ne manquoit ni d'ardeur ni d'audace,
Et vouloit par assaut emporter cette place,
Croyant que la Vertu ne pourroit la garder.
Il fut la reconnoître et résolut ensuite
De l'attaquer des deux côtés:
Il se fondoit sur sa conduite,
Mais souvent il en manque et fait des nullités.
La porte de l'ouïe et celle de la vue
Lui parurent foibles d'abord;
Mais sur ce point l'Amour se trompa fort,
Car la place étoit bien pourvue.
Les assiégés à tous momens
L'incommodoient dans ses retranchemens;
Et, quoiqu'il fît toutes choses possibles,
Ils étoient toujours invincibles;
Ils regardoient avec indignité
L'Espérance et la Propreté;
Ils se moquoient de la Tendresse 26,
Ils repoussoient la Hardiesse,
Et sans relâche ils s'opposoient
A ce que les autres faisoient.
Encor que l'Amour soit habile,
Et qu'il puisse achever tout ce qu'il entreprend,
Il vit bien qu'il est difficile
De prendre un cœur que la Vertu défend.
Ces guerrières pourtant, quoiqu'alors malheureuses,
Faisoient leur devoir constamment;
L'Inquiétude seulement,
Par façons séditieuses,
Les troubloit indirectement;
Son humeur toujours inconstante,
A qui tout plaît et que rien ne contente,
Donnoit de la peine à l'Amour;
De tout ce qu'on faisoit elle étoit offensée,
Il ne se passoit point de jour
Qu'elle ne changeât de pensée.
Quant à la Jalousie, elle étoit sans emploi,
Quoique l'Amour l'eût avec soi,
Et quoiqu'elle en fût bien traitée.
La Ruse, qui veille toujours,
Fit une mine en peu de jours,
Mais la mine fut éventée.
L'Amour 27 étoit au désespoir
De voir que la Vertu méprisoit son pouvoir;
Mais une fortune contraire
Changea le vainqueur en vaincu,
Et fit connoître, en cette affaire,
Que souvent la Fortune aide peu la Vertu;
Car la Tendresse, étant suivie
Des Soins, des Soupirs et des Pleurs,
Malgré cent nobles défenseurs,
Gagna la porte de l'Ouïe.
Les assiégés crurent d'abord
Que tout cédoit à cet effort,
Et la surprise fut si grande
Que leur courage en fut presque abattu;
Mais rien n'ébranle la Vertu
Lorsque c'est elle qui commande.
Durant ces mouvemens, quelques légers Soupirs,
Courant au gré de leurs désirs,
Rapportent à l'Amour qu'on voit dans la campagne,
Un gros de gens qui viennent sur leurs pas.
L'Amour, que la peur accompagne,
Se vit d'abord dans l'embarras;
Il reprend cœur, il s'arme en diligence
Pour voir qui sont ces ennemis,
Et plus ce gros de gens s'avance
Plus l'Amour demeure surpris.
Mais il l'est plus qu'on ne peut croire
Lorsqu'il voit que ce gros accompagne la Gloire,
Et qu'elle s'en détache afin de l'embrasser.
Pour répondre à ces soins il s'avance, il se presse,
Et, chacun les laissant passer,
Ils se rendent tous deux caresse pour caresse.
Les complimens durèrent tout le jour;
Celui d'après, la Gloire vit l'Amour
Et lui parla de paix dès cette conférence.
L'Amour fit de la résistance,
Lui