Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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dont sa sœur a été pourvue, fut encore un effet de sa libéralité. Tant il est vrai que nous n'avons plus rien de cher, quand une fois nous avons donné notre cœur. Cette nouvelle abbesse fut bénite avec une pompe et une magnificence extraordinaires; c'étoit assez qu'elle fût la sœur de la maîtresse du Roi pour qu'il ne manquât rien à la cérémonie: aussi fût-elle honorée d'un grand nombre d'évêques; presque toute la cour y assista, et mademoiselle de Fontange y parut avec un si grand éclat qu'elle attira autant de regards sur elle que celle qui en faisoit le principal personnage.

      Si toutes ces grâces et ces faveurs dont nous venons de parler avoient été accordées à des personnes qui ne fussent pas recommandables par leur mérite particulier, elles pourroient être sujettes aux changemens; mais toutes les demandes de mademoiselle de Fontange sont faites avec tant de choix et de discrétion, qu'il n'y a rien à craindre de ce côté-là. Si la V. L. R. avoit autant apporté de circonspection dans tout ce qu'elle a exigé du Roi45, son oncle46 ne seroit pas devenu d'évêque meunier; le proverbe est un peu commun, mais il ne convient pas mal au sujet. On dit que c'est sur sa pure et simple démission que M. de B. V. U.47 remplit dignement sa place; nous ne pouvons le croire pieusement, sans ôter à une vertu ce qui appartient à une autre et donnera l'humilité de L. B. L. B.48 ce qui a été un pur effet de son obéissance. Peut-être que s'il eût eu autant de bonheur qu'il eut de zèle pour apaiser quelques légers troubles de son diocèse, il ne seroit pas si tôt déchu de sa grandeur; mais le peu de réussite qui suivit ses empressemens ne causa pas seulement sa disgrâce, mais contribua aussi à celle de M. de Molac49. Le Roi lui en marqua son ressentiment par une lettre, qu'il eut la simplicité de faire voir, où entre autres termes il y avoit: J'entends que votre Bréviaire fasse toute votre occupation. Tant il est vrai que la cour ne juge de la nature d'une entreprise que par le bon ou le mauvais succès, et que les bonnes intentions ne produisent pas toujours de bons effets.

      Comme l'air de la campagne donne souvent de l'assaisonnement à des plaisirs que nous trouverions fades et insipides dans les plus grandes villes, le Roi ne passa pas longtemps à Paris sans méditer son retour à Versailles: il est vrai que c'est un lieu rempli d'enchantement, depuis qu'on s'est appliqué à l'orner et à l'embellir. Toute la cour partit donc pour ce lieu de plaisance, et le Roi y renouvela toutes les fêtes et tous les divertissements qui avoient été en quelque manière interrompus par son départ si précipité: les parties de chasse y furent assignées; les dames qui accompagnent d'ordinaire Sa Majesté dans cet exercice y parurent infatigables et y firent voir beaucoup de vigueur. La santé de mademoiselle de Fontange étoit trop chère au Roi pour qu'il lui permît de s'engager, comme beaucoup d'autres dames, dans la course; elle en eut le plaisir sans se mettre dans le hasard, et vit de son carrosse tout ce qui pouvoit satisfaire sa curiosité. La chasse finie, le Roi descendit de cheval, prit la place auprès d'elle et la conduisit dans son appartement. Elle étoit pour lors dans l'humeur la plus gaie du monde, et elle dit mille plaisanteries à son amant sur le divertissement qu'une de la troupe avoit donné en tombant de son cheval. Le Roi rioit de tout son cœur, particulièrement quand elle dit devant plusieurs personnes que cette chute devoit être d'autant plus sensible à cette belle chasseresse, que les dames ne s'étoient pas pourvues de caleçons, contre l'ordinaire. Cela donna occasion à mademoiselle de B…50, fille d'honneur de Madame51, de dire qu'elle mourroit s'il lui étoit arrivé un pareil accident. «Je me réserve, continua-t-elle, pour des divertissemens plus tranquilles, et je ne puis assez admirer celles qui ne peuvent goûter de plaisirs sans courir fortune de leur vie.» Elle lâcha cette parole sans prendre garde que Madame, qui étoit présente, est une des plus passionnées pour cet exercice. Aussi releva-t-elle hautement ce qui avoit été dit. «Je vois bien, reprit-elle en s'adressant à celle qui eût bien voulu retirer sa parole, je vois bien que les plaisirs de la ruelle vous toucheroient plus vivement que ceux qui se trouvent dans l'agitation: il faut des divertissemens paresseux et sédentaires à celles dont la foiblesse ne leur permet pas d'en prendre d'autres.» Madame la Dauphine fit changer l'entretien en parlant du bal que Sa Majesté donnoit le lendemain. Ce fut un des plus beaux de tous ceux qui ont paru auparavant; tout y étoit pompeux et magnifique. Le Roi y dansa avec son adresse ordinaire; mais ce qui surprit le plus, ce fut qu'il prit jusques à deux fois une jeune demoiselle et lui dit quelques galanteries fort obligeantes. Il fut le lendemain au lever de sa maîtresse; mais il la trouva dans une tristesse et un abattement extraordinaires. Il témoigna bien du chagrin de la voir dans cet état; il lui demanda fort tendrement quel en étoit le sujet. «Ah! Sire, lui dit-elle en le regardant avec un air fort touchant, si votre personne étoit moins aimable, on auroit moins de tristesse!» Il connut que c'étoit la jalousie qui causoit ce désordre; il n'en fut pas fâché, car quand il aime il veut être aimé, et il n'y a rien qui l'engage si fortement que ces sortes de craintes, quand on les marque à propos. Il apprit de sa belle que ce qui s'étoit passé au bal l'avoit un peu alarmée, et que c'étoit la seule cause de sa mauvaise humeur. Il lui fit voir le peu de sujet qu'elle avoit eu de s'affliger, l'assura qu'il n'aimeroit jamais qu'elle, et que le soupçon qu'elle avoit eu étoit le plus mal fondé du monde. «Eh quoi! continua-t-il, est-il possible que vous connoissiez si mal les sentimens de mon cœur? J'abandonne tout ce que j'ai de plus cher dans la vie. Ah! c'est faire tort à mon amour que d'en avoir seulement la pensée, et vous ne le pouvez sans condamner mon jugement dans le choix que j'ai fait de votre personne. Non, je vous le dis encore une fois, ne jugez pas de l'amour que je vous porte par celui que j'ai témoigné à d'autres par le passé; la différence vous en doit être connue si vous connoissez votre mérite. Croyez que, trouvant en vous seule tout ce qu'il y a d'aimable dans toutes les autres, je ne ferai rien contre mon intérêt, ma parole et mon inclination. – Ah! Sire, quel plaisir n'ai-je point goûté par votre discours! et qu'il est doux d'entendre de la bouche d'un prince si aimable des paroles si tendres et si obligeantes! Mais aussi qu'il est difficile d'aimer un prince comme vous sans crainte et sans inquiétude! Non, je ne puis posséder un cœur comme le vôtre sans en appréhender la perte! C'est pourquoi excusez ma tristesse passée, et profitez de la joie que vous m'avez rendue en me confirmant dans la possession de votre cœur.» Elle dit ces dernières paroles en se jetant au cou du Roi, qui ne put résister plus longtemps à ses caresses; il la baisa, il l'embrassa, et après tout ce badinage, ils font quelque chose qui n'est guère plus sérieux.

      [52Bien que les choses qui sont d'une ardeur si violente ne semblent pas devoir être de longue durée, nous avons néanmoins sujet de croire que comme c'est la beauté, l'esprit et le mérite d'une personne toute charmante, qui ont fait cet attachement, il subsistera tant qu'elle conservera les mêmes avantages.

Si nous faisons un juste parallèle du mérite de notre héroïne avec les qualités de celles qui l'ont précédée dans son emploi, nous trouverons que sans le secours de sa beauté elle les surpasse toutes. Ceux de la Cour qui se piquent d'être savants dans le discernement des esprits disent que le sien ne peut être plus accompli, qu'il a en même temps les lumières et le brillant de celui de La Vallière53, et le fond et le solide de celui d'Astérie. S'ils ne se trompent point dans le jugement qu'ils en font, il est à croire que, ramassant de la sorte en soi toutes les perfections qui peuvent rendre le Roi sensible, elle sera toujours aimée, et que tant qu'elle saura ménager sa fortune, il ne cherchera point d'autre amusement. Madame de Fontange est bonne, fort spirituelle, et sensible autant qu'il se peut à deux passions toutes différentes, à l'amour et à la haine; ce qui fait que, si elle aime avec ardeur ce que son cœur trouve agréable, elle ne hait pas avec moins d'excès ceux dont elle croit être méprisée. Elle aime l'honneur et la gloire, et le titre de duchesse ne lui déplaît pas. Elle a un grand air de jeunesse, qui la rend toute aimable. Elle parle agréablement. Mais pour faire son portrait en deux paroles, il suffit de dire qu'elle est du goût du plus délicat de tous les hommes en matière d'amour, et qu'elle a su engager le plus grand et le plus fier de tous les cœurs54.]

      SUITE


<p>45</p>

Ceci est en contradiction avec ce que l'on a vu ailleurs de sa réserve, qui étoit qualifiée d'égoïsme.

<p>46</p>

Guillaume de La Baume le Blanc de La Vallière, oncle de la duchesse de La Vallière, se démit de l'évêché de Nantes en 1677.

<p>47</p>

M. de Beauveau. Guillaume de La Baume le Blanc de La Vallière, évêque de Nantes, eut pour successeur à ce siége Gilles de Beauveau, son neveu, fils de François de Beauveau et de Louise de La Baume le Blanc.

<p>48</p>

M. de La Baume le Blanc. – La première édition seule donne ces initiales.

<p>49</p>

Sébastien de Rosmadec, quatrième du nom, marquis de Molac, qui avoit épousé Catherine Gasparde de Scorraille, sœur de mademoiselle de Fontange. Voy. t. 2, p. 469.

<p>50</p>

«J'avois une fille d'honneur nommée Beauvais, dit la princesse palatine, mère du régent; c'étoit une personne fort honneste. Louis XIV en devint très amoureux; mais elle tint bon. Alors il se tourna vers sa compagne, la Fontange, qui étoit charmante aussi, mais sans esprit.» – L'initiale de notre texte a sans doute ici son explication.

<p>51</p>

Marie Anne-Christine-Victoire de Bavière, fille de Ferdinand-Marie, duc de Bavière, électeur du Saint-Empire, et d'Adélaïde-Henriette de Savoie, épousa le 28 janvier 1680 Louis, dauphin de France, fils de Louis XIV.

<p>52</p>

Toute la fin de cette histoire, écrite du vivant de mademoiselle de Fontange, a été changée dans les éditions faites après sa mort. Nous avons suivi le texte le plus ancien. On a lu dans la France galante tous les passages que les éditeurs maladroits de 1754 en ont détachés pour les recoudre à ce récit, dont ils ont dénaturé la rédaction primitive.

<p>53</p>

Madame de Sévigné a fait aussi la comparaison de mademoiselle de Fontange et de madame de La Vallière, mais tout à l'avantage de la seconde: «La belle beauté, dit-elle (mademoiselle de Fontange) est si touchée de sa grandeur qu'il faut l'imaginer précisément le contraire de cette petite violette (mademoiselle de La Vallière) qui se cachoit sous l'herbe, et qui étoit honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse: jamais il n'y en aura sur ce moule.» (Lettre du 1er septembre 1680.)

<p>54</p>

On a vu, à la fin du second volume, le récit de la mort de mademoiselle de Fontange. Nous devons le compléter ici par cette lettre, où Louis XIV, craignant peut-être de trouver les preuves d'un empoisonnement, écrit au duc de Noailles de ne laisser ouvrir le corps que si on ne pouvoit absolument l'empêcher. Voici cette lettre, publiée par la Société de l'histoire de France, Bulletin, nov. 1852:

Ce samedy à dix heures.– «Quoyque j'atandisse il y a longtemps la nouvelle que vous m'avés mendée, elle n'a pas laissé de me surprendre et de me fascher. Je voy par vostre lettre que vous avés donné tous les ordres nécessaires pour faire exécuter ce que je vous ay ordonné. Vous n'avés qu'à continuer ce que vous avés commencé. Demeurés tant que vostre présence sera nécessaire, et venés ensuitte me rendre compte de touttes choses. Vous ne me dittes rien du père Bourdaloue. Sur ce que l'on désire de faire ouvrir le corps, si on le peut esvister, je croy que c'est le meilleur party. Faites un compliment de ma part aux frères et aux sœurs, et les assurés que dans les occasions ils me trouveront toujours disposé à leur donner des marques de ma protection.

«Louis.»