Cependant mademoiselle de Fontange fit un fidèle rapport à madame de D. L. M. «C'est à présent, lui dit-elle, qu'il faut agir: il y auroit danger de tout perdre par le retardement, et il est temps de vous déclarer; c'est pourquoi écrivez au Roi une lettre telle que l'amour vous l'inspirera.» Elle la fit aussitôt et la conçut dans ces termes:
Sire, bien que le peu de proportion qu'il y a entre un prince comme vous et une fille comme moi dût m'obliger à prendre plutôt le discours de Votre Majesté pour une galanterie que pour une sincère déclaration, néanmoins, s'il est vrai que les véritables amans connoissent en se voyant ce qui se passe de plus secret dans leur cœur, ce seroit en vain que je vous en voudrois plus longtemps cacher les sentimens. Oui, Sire, je vous l'avoue, le seul mérite de votre personne avoit déjà disposé de moi-même devant que Votre Majesté m'eût fait l'aveu de ses inclinations. Pardonnez-le-moi si j'ai combattu cette passion dès le moment de sa naissance: ce n'étoit pas par aucune répugnance que j'eusse à chérir ce qui me paroissoit si aimable, mais plutôt par la crainte que j'avois que mes yeux ou mes actions ne vous fissent connoître, à l'insu de mon cœur, ce qu'il ressentoit pour vous. Jugez, Sire, de la disposition où je suis par une confession si ingénue de ma foiblesse.
Je ne vous dirai point par qui la lettre fut portée; quoi qu'il en soit, le Roi la reçut, il la lut, et il est difficile de trouver des termes pour vous exprimer son ravissement; il répéta plusieurs fois ces dernières paroles: «Jugez de la disposition de mon cœur par une confession si ingénue de ma foiblesse.» En un mot il est charmé, il meurt pour sa belle et voudroit être en lieu de pouvoir se jeter à ses genoux pour la remercier comme il doit des tendres marques de son amour. Le Roi étoit dans ces transports de joie lorsque le duc de Saint-Aignan entra. Tout autre que lui auroit été incommode dans ce moment; le Roi fut bien aise de le voir; il ne l'entretint que des qualités engageantes de mademoiselle de Fontange. Le duc, qui sait faire sa cour autant qu'homme du monde, témoigna au Roi qu'il ne pouvoit pas mieux placer ses affections, que le choix qu'il avoit fait ne pouvoit pas être plus juste, et que dans toute sa Cour il n'y avoit pas une fille dont le mérite fût plus éclatant. Le Roi fut ravi de voir qu'on approuvoit ainsi ses élections; il s'étendit sur les louanges de son amante. «Non, dit-il au duc, on ne peut pas voir une taille mieux prise; elle a le plus bel œil qu'on ait jamais vu; sa bouche est petite et vermeille, et son teint et sa gorge sont admirables; mais ce qui me charme davantage, c'est un certain air doux et modeste qui n'a rien de farouche ni de trop libre.» Le duc ne manqua pas de relever encore tout ce que le Roi avoit dit, et il poussa sa complaisance si loin qu'il eût été difficile de rien ajouter à un portrait si achevé.
On ne faisoit donc plus de mystère de l'amour du Roi; il n'y avoit que mademoiselle de Fontange qui souhaitoit que Sa Majesté en tînt le secret caché le plus qu'elle pourroit; mais c'étoit demander une chose inutile, et, dans un entretien particulier qu'il eut avec elle le jour d'après celui qu'il reçut la lettre, il leva toutes ses craintes et la fit résoudre à partir avec lui pour Versailles. Jamais il n'a paru plus content qu'après avoir tiré le consentement de sa Déesse pour son départ. Ce fut dans ce tête-à-tête amoureux que nos amants se jurèrent une affection éternelle, et l'entretien de mademoiselle de Fontange eut des charmes si doux pour le Roi, que, pendant qu'il dura, il fut entièrement attaché à renouveler à cette aimable personne toutes les protestations du plus tendre amour. Ils se séparèrent; et, cette belle disant à son amant un adieu tendre des yeux, elle le laissa le plus amoureux de tous les hommes.
Le Roi, devant que de partir pour Versailles, envoya à mademoiselle de Fontange un habit dont la richesse ne se peut priser, non plus que l'éclat de la garniture qui l'accompagnoit ne se peut trop admirer. Elle le reçut, et partit un peu après avec Sa Majesté, qui donna tous les divertissemens ordinaires à toutes les dames de la Cour, en réservant un particulier pour son aimable maîtresse. Ce fut un jeudi après midi que cette place d'importance, après avoir été reconnue, fut attaquée dans les formes: la tranchée fut ouverte, on se saisit des dehors, et enfin, après bien des sueurs, des fatigues et du sang répandu, le Roi y entra victorieux. On peut dire que jamais conquête ne lui donna tant de peine. Pour moi, quoique je le croie fort vaillant, je n'en suis point surpris, parce que, s'il nous est permis de juger de la nature de la place par les dehors, l'entrée n'en a pu être que très difficile.
Quoi qu'il en soit, cette grande journée se passa au contentement de nos deux amans; il y eut bien des pleurs et des larmes versées d'un côté, et jamais une virginité mourante n'a poussé de plus doux soupirs. Cette fête fut suivie pendant huit jours de toutes sortes de jeux et de divertissements; la danse n'y fut pas oubliée, et mademoiselle de Fontange y parut merveilleusement, et se distingua parmi les autres13. Le duc de Saint-Aignan s'étant trouvé au lever du Roi le lendemain de la noce, d'abord que le Roi l'aperçut, il sourit, et, le faisant approcher, il lui fit confidence du succès de ses amours. Il l'assura que jamais il n'avoit plus aimé, et il lui dit que, selon les apparences, il ne changeroit jamais d'inclination. Le duc suivit le Roi chez sa nouvelle maîtresse; ils la trouvèrent qui considéroit attentivement les tapisseries faites d'après M. Lebrun, qui représentoient les victoires de Sa Majesté14: elles faisoient la tenture de son appartement;