Quatre animaux M. D. T. S. 37 sont maîtres de ton sort;
Chacun voit son rival d'un œil de jalousie
Et veut gouverner seul, mais leur rage est unie
Pour sucer tour à tour ton sang jusqu'à la mort.
Le lion 38 prend partout, sans épargner l'autel;
Le timide mouton 39 opprime l'innocence;
Le lézard 40 des rappins 41 dort dessus la finance;
Mais du dernier de tous le poison est mortel 42.
C'est ce funeste auteur de toutes nos misères
Qui chassa du jardin le premier de nos pères,
Et pour prix de sa foi lui promit un trésor.
Ce serpent garde encor son ancienne malice;
Il se couvre de fleurs, et tout son artifice
Est de tromper son maître avec la pomme d'or.
Il n'est pas nécessaire de vous dire que la lecture de ce sonnet fit changer l'entretien: on connut d'abord l'excès de la satyre, et chacun voulut faire paroître son zèle pour en rechercher l'auteur; mais ce fut inutilement. On l'attribua à un Italien fort critique, qui s'appeloit Gerolamo Pamphilio; quelques mécontentemens qu'il avoit reçus sans sujet d'un des ministres d'Etat donnèrent fondement de croire que c'étoit lui qui avoit ainsi répandu sa bile sur tous les autres; il avoit déjà été soupçonné d'être l'auteur de cette inscription qui fit tant de bruit et qui fut placée dans un cartouche au-dessus de la porte de la chambre d'Astérie, un jour que le roi lui donnoit le divertissement de la musique. Comme je crois que personne ne l'ignore, je ne la mets point ici, outre qu'elle ne fait rien au sujet.
Revenons à mademoiselle de Fontange, que nous avons laissée avec le Roi, bien fâchée de ce qu'elle avoit servi de divertissement à la compagnie. Elle témoigna que cette aventure la touchoit d'autant plus vivement, qu'on l'attaquoit dans ce qu'elle avoit de plus sensible. Le Roi n'en marqua pas moins de déplaisir, mais seulement à cause qu'il en donnoit à sa maîtresse; car, pour lui, on peut dire qu'il se met au-dessus de ces sortes de bagatelles. Il la consola et lui promit d'en faire une si exacte recherche, qu'il découvriroit celui ou celle qui auroient voulu se divertir à ses dépens. Cela la remit un peu, et, après quelques réflexions, elle le pria de laisser le tout dans le silence, sans y penser davantage. Elle fit prudemment, car c'étoit l'unique moyen d'étouffer la raillerie et d'empêcher le monde d'en parler. Nos amans ne s'appliquèrent donc plus qu'à passer agréablement le temps et à se donner tous les témoignages les plus tendres de leur amours. On peut dire que le Roi n'en a jamais marqué davantage que pour mademoiselle de Fontange. Il ne peut pas être plus ardent, et le retour avec lequel cette belle témoigna le sien ne peut pas être plus passionné. Elle le fit paroître particulièrement lorsqu'étant à Paris, elle apprit de Saint-Germain que le Roi, qui se fait souvent un de ces plaisirs de vigueur, avoit couru grand danger dans la poursuite d'un sanglier; que son cheval avoit été blessé par cette bête, et que sans une force et une adresse particulières, Sa Majesté auroit eu de la peine à se tirer du péril. Cette nouvelle lui fut communiquée par un gentilhomme de madame la princesse d'Epinoi43, qui étoit elle-même de la partie. Mademoiselle de Fontange y fut presque aussi sensible que si le mal étoit effectivement arrivé; elle tomba dans la plus grande tristesse du monde, et envoya dès le même jour ce billet au Roi:
Je ne puis, mon cher Prince, vous exprimer l'inquiétude où je suis. Puis-je apprendre de tous côtés le peu de soin que vous apportez à votre conservation sans trembler? Au nom de Dieu, ménagez mieux une vie qui m'est plus chère que la mienne, si vous voulez me trouver à votre retour. Eh quoi! votre courage n'est-il pas assez connu, aussi bien que votre adresse, pour vous exposer ainsi à de nouveaux dangers? Pouvez-vous trouver le délassement des fatigues de la guerre dans un exercice si pénible et si périlleux? Ah! j'en tremble de peur! Pardonnez, mon cher Prince, ces reproches, à l'ardeur de ma passion, et revenez si vous aimez et si vous voulez retirer de la crainte celle qui vous chérit si tendrement.
Il est aisé à connoître que l'étude a moins de part à cette lettre que le cœur; l'on découvre d'abord que c'est lui qui parle, et il seroit difficile de le faire parler plus tendrement. Elle fut lue du roi avec des transports de joie qu'il seroit mal aisé d'exprimer; il la baisa mille fois, et envoya aussitôt un exprès à sa maîtresse, avec cette réponse:
Non, ma chère enfant, ne craignez pas, le péril est passé, et je ne veux plus me conserver que pour vous seule. Je vous l'avoue, je ne suis pas excusable d'avoir cherché du plaisir dans des exercices que vous n'avez pas partagés avec moi; mais pardonnez ces momens que j'ai donnés aux désirs de la gloire, et je pars pour passer les jours entiers à vous dire que je vous aime. Ah! qu'il est doux seulement d'y penser, lorsqu'on aime un enfant si aimable, et qu'on est certain d'en être aimé!
Le Roi suivit de bien près cette lettre, et partit de Versailles le jour d'après celui qu'elle fut envoyée, pour aller rassurer sa belle. «Ah! que je suis heureuse, mon cher Prince, lui dit-elle en l'abordant avec un air engageant, de vous voir ainsi de retour! Ah! que l'éloignement de ce qu'on aime est une chose difficile à supporter! – Je l'ai bien éprouvé, ma chère enfant, lui dit le Roi en l'embrassant, et ce n'est que l'amour extrême que je vous porte qui m'a si tôt rappelé et qui n'a pas pu me permettre de vivre un moment sans vous.» Cette entrevue fut accompagnée d'autant de marques de joie que si c'eût été la première: nos amans ne pouvoient assez se regarder, et les plaisirs qui suivirent ces transports furent goûtés de l'un et de l'autre dans toute leur étendue. Oui, on peut dire que ce fut dans toute leur étendue, puisque la nuit qui suivit l'arrivée de Versailles fut trop courte pour Mars et pour Vénus; le jour d'après partageoit une partie de leurs ébats, et les dégoûts qui suivent de si près les plus purs contentemens n'osèrent pas troubler le doux passe-temps de notre monarque.
Ce fut dans ces doux momens que mademoiselle de Fontange obtint du roi la grâce de… qui lui avoit inutilement été demandée