Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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vaudrait mieux.

      Pendant que s’échangeaient ces mots, Bouvreuil venait d’apercevoir l’Anglais.

      – Ah! Voici du moins quelqu’un qui me connaît et pourra affirmer si je suis ou non un imposteur.

      Miss Aurett se pencha vers son père et, rapidement, à voix basse:

      – Papa, vous ne pouvez rien dire… vous ne devez pas prendre parti contre M. Lavarède… question d’honneur.

      – Mais, cependant…

      – Ou bien, rappelez-vous que vous perdez vos droits aux quatre millions.

      – C’est juste.

      Bouvreuil s’adressa à sir Murlyton:

      – Voyons, monsieur, dites-leur donc qui je suis.

      – Moi… mais je ne vous connais pas.

      Un cri de rage lui répondit, lancé par Bouvreuil.

      – Mais c’est à devenir fou! cria-t-il.

      – Hélas! c’est fait depuis longtemps, mon bonhomme, riposta le second du bord.

      À ce moment, l’ange de Lavarède, sa Providence, comme il appelait miss Aurett, eut une idée précieuse.

      Lavarède se tenait à côté de l’officier.

      Se tournant vers le jeune homme:

      – Monsieur Bouvreuil, lui dit-elle, tâchez donc de savoir comment ce pauvre homme a fait pour arriver à Santander. Cela peut être intéressant, ajouta-t-elle avec intention.

      – Tiens, au fait, vous avez raison, miss.

      Cette intervention de la jeune Anglaise avait pour premier résultat d’enfoncer plus que jamais dans l’esprit des officiers l’idée que le faux Bouvreuil était bien le vrai. Mais elle était utile aussi à Lavarède au point de vue de sa défense future. Le danger qu’il avait cru écarté reparaissait plus fort que jamais.

      Seulement, pendant le temps qu’avaient duré ces scènes diverses, le commandant Kassler était revenu, avait donné l’ordre du départ, et la Lorraine était déjà en marche, emportant les deux Bouvreuil, lorsque leur entretien commença en présence des Murlyton et du second, qui s’arrêtait chaque fois que son service le lui permettait.

      L’infortuné Bouvreuil, le vrai, avait eu tous les malheurs à Bordeaux. D’abord, il lui avait fallu payer le transport de la caisse; puis, le retour du colis à Paris; ensuite, le prix de son propre voyage. Car, dans la bagarre, il avait perdu son ticket de première classe, et jamais personne n’avait voulu croire à «son invention». Enfin, il avait tout soldé, en maugréant et en maudissant Lavarède.

      Il se croyait quitte et n’avait qu’une pensée: courir à bord du bateau, lorsque, à leur tour, intervinrent les douaniers.

      La Compagnie du chemin de fer ne lui réclamait plus rien, soit. Mais la douane? Et puis le commissaire spécial? Il y avait un bon procès-verbal. Ça ne pouvait pas se passer comme ça. Bouvreuil envoie tout promener et s’élance.

      Voilà les gendarmes qui se mettent de la partie. On crie. On lui court après. On le rattrape. Il renverse un agent des douanes, bouscule un gendarme; et, finalement, il est appréhendé au corps, mis en prison, et poursuivi pour rébellion envers les agents de la force publique. La journée s’écoule ainsi. Et Dieu sait si Bouvreuil écumait en songeant que Lavarède lui échappait.

      Enfin, un commissaire de police survint qui, après interrogatoire, se laissa fléchir.

      Il demanda par dépêche à Paris des renseignements sur l’inculpé.

      «Gros propriétaire, financier considérable.»

      Telle fut la réponse.

      Au nom des porteurs d’actions du Panama, Bouvreuil fut à la fin relaxé, non sans qu’on lui infligeât une forte amende. Encore ne put-il échapper au procès et à la mise en jugement, c’est-à-dire à une grosse perte de temps, qu’en versant une somme considérable dans les caisses de bienfaisance de la ville. Après quoi, s’étant informé, il avait pris le chemin de fer du Midi, afin de retrouver la Lorraine à son escale de Santander. En résumé, transports, amendes, procès-verbaux, versements, voyages, etc., le tout lui revenait à plus de trois mille francs.

      C’était salé.

      Et plus Lavarède riait en écoutant ce récit lamentable, plus Bouvreuil s’emportait. Plus il s’emportait, plus il donnait raison à la lugubre fumisterie de son ennemi, plus il avait l’air d’un aliéné. Même il finit par proférer de telles imprécations que sir Murlyton lui lança un coup de poing, un de ces coups de poing anglais à assommer un homme.

      – Il a parlé en termes inconvenants devant ma fille… C’était trop shocking.

      Mais Bouvreuil, qui avait croulé à terre sous la secousse, n’en revenait pas.

      – Oh! disait-il gravement, assis sur son derrière, lui aussi il est contre moi!… Lui que je croyais mon allié… Mais ce Lavarède c’est donc le diable!…

      – Bon diable, en tout cas, répondit miss Aurett, car il s’occupe de vous avec un officier du bord.

      – De moi!… Grand Dieu!… Qu’est-ce qu’il va encore faire?…

      Et il se releva prestement.

      En effet, Lavarède et le second avaient été présenter une requête au commandant.

      La Lorraine était en route, on ne pouvait vraiment pas jeter ce pauvre fou à l’eau. Ils demandaient qu’on le gardât à bord. On le ferait coucher à l’infirmerie, par mesure de prudence, en cas de crise; et on le ferait manger avec les matelots. Pour l’utiliser, il donnerait un coup de main aux chauffeurs; il y a bien toujours une pelle disponible dans la soute aux charbons.

      En apprenant, par Lavarède froidement gouailleur, le sort qui lui était destiné, Bouvreuil entra dans une colère extrême.

      – Allons, bon! dit le second, voilà que ça le reprend.

      – Mais, criait le malheureux, je ne veux pas être traité en passager indigent. Je suis Bouvreuil et j’ai de l’argent!

      Ce disant, il brandissait un portefeuille.

      – Votre portefeuille, sans doute? dit un marin à Lavarède… Nous allons le lui reprendre.

      Armand l’arrêta.

      – Non, dit-il, laissez-le-lui un peu, puisqu’il y tient; cela occasionnerait encore un accès… Constatez seulement que mon ticket est bien là.

      Miss Aurett et sir Murlyton eurent un geste de satisfaction. Lavarède mystifiait son adversaire, mais il ne le volait pas.

      Il faut sept jours pour aller de Santander aux îles Açores. Le pauvre Bouvreuil n’eut pas la force de passer une semaine à faire le métier de chauffeur. Il avait essayé de protester d’abord. Rien n’y fit. Il dut prendre son mal en patience. Mais avant le troisième jour, il était fourbu, éreinté, et n’avait même plus la force de se plaindre. Il n’articulait plus que de faibles gémissements, lorsqu’il était en présence d’un officier.

      Grâce à un pourboire généreux octroyé aux mariniers de la chambre de chauffe, on ne lui donnait aucune besogne. Il restait étendu sur les tas de charbon. Seulement, l’atmosphère surchauffée de cette partie du navire surprenait ses poumons qui n’y étaient point habitués. Et il demanda à ne plus descendre aux machines. Ce fut Lavarède, à qui il lançait toujours des regards furibonds lorsqu’il l’apercevait, qui intercéda auprès du second, afin que son malheureux propriétaire restât à l’infirmerie et obtînt même la permission de prendre un peu l’air sur le pont.

      – Sur le pont, soit, dit l’officier, mais jamais à l’arrière avec les passagers. Qu’il se tienne à l’avant avec l’équipage. Là, nos hommes auront l’œil sur lui.

      C’était trop de satisfaction pour Lavarède. Aussi s’avisa-t-il d’un