Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
attirèrent tous les regards.

      – Tiens, dit Bouvreuil, voilà un colis qui va faire le même voyage que moi.

      – Il va à Panama? demanda Pénélope.

      – Oui, c’est écrit dessus.

      – Ce doit être un piano, hasarda la demoiselle.

      – Quelque ingénieur de là-bas qui veut charmer ses loisirs, sans doute.

      – Prends bien garde aux fièvres, papa.

      – Rassure-toi, avec de l’argent on achète une hygiène parfaite. Au surplus, je n’aurai pas à y demeurer. Le temps d’inspecter les chantiers, de vérifier l’utilité des dépenses et l’état des travaux. Je ne ferai que prendre des notes et je rédigerai mon rapport pour mon syndicat sur le bateau, en revenant… Quinze jours me suffiront largement.

      – Avec les deux voyages d’aller et de retour, et le séjour que tu prévois, cela fait une absence de six semaines environ.

      – Six semaines au plus. Je te télégraphierai par le câble la date de mon arrivée là-bas et celle de mon départ.

      Ce disant, Bouvreuil s’installa dans un compartiment de première classe, où ne tardèrent pas à le rejoindre deux autres personnes.

      Sir Murlyton, escorté de sa fille, miss Aurett, et de la gouvernante, mistress Griff, étaient arrivés à la gare à l’heure dite, avec la précision et l’exactitude des insulaires de la Grande-Bretagne. Cherchant de tous côtés, ils ne virent point Lavarède. Celui-ci, nous le savons, ne pouvait être à la gare des voyageurs.

      – Est-ce qu’il aurait déjà renoncé à l’aventure? se demanda l’Anglais.

      – Ce n’est pas probable, répondit miss Aurett.

      Cependant l’heure passait, le moment du départ approchait, et Lavarède ne paraissait toujours pas.

      – Aoh! fit sir Murlyton mécontent.

      – Tu dois l’accompagner.

      – Pour cela, il faudrait qu’il fût là.

      – Mais peut-être a-t-il trouvé prudent de partir de Paris pour Bordeaux, seul, avant toi.

      – C’est cela, afin que je ne puisse pas vérifier s’il a pris son ticket qui coûte plus de vingt-cinq centimes, ajouta-t-il en riant.

      Ils firent une rapide inspection des wagons déjà bondés de voyageurs. Lavarède n’était pas parmi eux. Tout à coup, miss Aurett eut une idée.

      – Mon père, à Paris, dans le mouvement de la gare, tu cours le risque de le perdre de vue. Mais en allant l’attendre à Bordeaux, là, tu es sûr de ne pas le manquer. Pour embarquer dans le packet-boat, il n’y a qu’un seul chemin, la planche. Il a dit que le train correspond à Pauillac avec la ligne des vapeurs, tu devrais quand même aller jusque-là.

      – Oh! nous autres Anglais, grands voyageurs, ce n’est pas cela qui peut nous gêner beaucoup. Une simple promenade, après tout.

      – Oui, et si tu étais bien gentil, je t’y accompagnerais, pour te donner le baiser d’adieu avant ton départ pour le tour du monde.

      – Mais, si ce monsieur arrive tout à l’heure, en retard, après le départ de l’express, comment le saurai-je?

      – Mistress Griff l’a vu dans la rue, hier, et aussi chez le notaire. Elle n’a qu’à rester ici et à attendre. Elle le reconnaîtra bien et nous enverra une dépêche à Bordeaux-Pauillac, en gare, ou bien à la tente des Messageries maritimes.

      – C’est juste.

      On expliqua à la gouvernante le rôle qu’elle avait à jouer, et l’on prit deux tickets. Miss Aurett, avec la gaieté de ses vingt ans, était ravie de cette courte excursion qui ressemblait à une escapade de pensionnaire. Gravement mistress Griff l’embrassa.

      – À après-demain, n’est-ce pas, miss?

      – À demain peut-être. Le bateau part ce soir, on ne couche même pas à Bordeaux; je reprendrai donc un train de nuit, et il est plus que probable que je serai de retour demain et non après-demain.

      – Alors je reviendrai ici vous attendre.

      – Un télégramme vous préviendra.

      Le père intervint:

      – Une dernière recommandation, mistress. Dès que ma fille sera de retour, vous quitterez Paris, et vous retournerez chez nous, en Devonshire. Je ne peux savoir si mon absence sera longue ou courte, ni même si je m’embarquerai; cela ne dépend pas de moi, mais de l’autre. Dans tous les cas, je préfère vous savoir à la maison, at home, en Angleterre.

      Mistress Griff s’inclina respectueusement. Murlyton et Aurett montèrent dans le seul compartiment encore disponible en partie. Ils étaient assis en face de M. Bouvreuil qu’ils ne connaissaient point.

      Celui-ci avait tiré de sa poche un portefeuille énorme, le portefeuille de l’homme d’affaires; et, en attendant le départ du train, il prenait quelques notes, pendant que Mlle Pénélope cherchait des yeux sa bonne qui avait disparu. Bouvreuil écrivait sur une feuille blanche:

      «1° Choisir de préférence les hôtels anglais: ils sont plus confortables;

      «2° Éviter la société des Français, excepté celle des ingénieurs de la Compagnie;

      «3° Ne parler politique avec personne;

      «4° En cas de difficultés, aller voir d’abord le consul de France.»

      Il en était là de ses sages prévisions lorsque sa fille accourut vers le compartiment; son visage semblait bouleversé, mais rayonnant.

      – Papa, dit-elle, papa!… en voilà une nouvelle!…

      – Qu’y a-t-il?

      – Il y a que M. Lavarède doit être dans le même train que toi.

      – Dans le train!… je ne l’ai pas vu.

      – Ni toi ni personne. Il est dans la caisse.

      – Quelle caisse?

      – Tu sais bien, la grande caisse à destination de Panama.

      – Celle que nous croyions renfermer un piano?…

      Murlyton et sa fille ne purent s’empêcher d’échanger un regard et une parole.

      – Aoh! M. Lavarède…

      – Je te le disais bien, fit miss Aurett.

      Bouvreuil les regarda, tout étonné d’entendre prononcer par ces étrangers le nom de Lavarède. Mais il avait le temps de les interroger là-dessus, tandis que les contrôleurs fermaient déjà les portières des compartiments, et qu’il allait être séparé de Pénélope. Se penchant à la fenêtre, sa fille étant debout sur le marchepied, il demanda encore:

      – Mais comment sais-tu cela?

      – Par la bonne.

      – Ah bah!

      – Un des hommes d’équipe est son «pays», de Santenay, dans la Côte-d’Or. Ils se sont reconnus là, et cet homme lui a raconté, en riant, qu’il avait vu un individu entrer dans la caisse, au dépôt des marchandises. Le signalement est celui de M. Lavarède, impossible de s’y tromper. Un sous-chef de bureau est venu, très gaiement, refermer les planches qui forment la porte et a recommandé à l’employé témoin de garder le silence…

      – Qu’il s’est empressé de rompre.

      – Oh! Avec sa payse, cela lui a semblé sans importance. Mais il paraît que personne ne sait cela dans la gare.

      – Très bien, je le tiens! Je le ferai pincer à Bordeaux; ses quatre millions sont flambés.

      – Merci, papa, et dis-lui qu’il n’a qu’à venir à la maison, que je l’autorise à me faire sa cour, et que nous nous marierons dans