Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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sur le pont. Les parents et les amis viennent de quitter le navire après les derniers adieux. La planche va être retirée. Le second achève l’appel des voyageurs.

      – Voyons, personne ne manque… Nous avons les cabines 8 et 9 qui viennent d’être retenues.

      – 8 et 9, c’est pour moi et ma fille, répond sir Murlyton.

      – Bon! vous êtes à bord… Mais il y a le 10 qui n’a pas encore répondu. Voyons où est le numéro 10… Retenu à Paris, à l’Agence maritime?

      Un homme se précipite sur la planche, juste au moment où le matelot de service allait l’enlever.

      – Le numéro 10, c’est moi, me voilà!… crie-t-il tout effaré.

      – Quel nom? demande le second du navire.

      – Bouvreuil, de Paris.

      – C’est bien ça… En route!

      Coup de sifflet, coup de cloche. La Lorraine démarre majestueusement. On est parti. Deux passagers se rencontrent nez à nez au pied de la dunette.

      – Aoh! dit l’un… monsieur Lavarède.

      – Parfaitement, sir Murlyton; et mademoiselle votre fille est-elle retournée à Paris?

      – Non, monsieur; elle est ici.

      – À bord! Enchanté vraiment de commencer notre voyage en sa gracieuse compagnie.

      – Pardon, sir?… Mais comment vous trouvez-vous ici? Je sais le prix du passage, je viens d’en régler deux, et cela dépasse la somme que vous devez avoir en poche.

      – Assurément… aussi ne l’ai-je point payé et voici mes vingt-cinq centimes encore intacts. Vous pouvez le vérifier, mon sévère contrôleur.

      – Soit, mais cela ne répond pas à ma question.

      – C’est bien simple. J’ai la cabine numéro 10, dont le prix a été soldé par cet excellent M. Bouvreuil; voyage en première classe et nourriture, tout est compris.

      – Il a soldé… pour vous?

      – Non, pour lui.

      – Aoh!… Je ne comprends pas.

      – Eh bien, quoi? Je suis dans sa cabine.

      – Ah!… et lui?

      – Lui? Il est dans ma caisse, parbleu!…

      – La caisse est à bord?

      – Non pas… elle est restée à terre.

      – Et lui dedans?

      – Certainement… lui dedans.

      Sir Murlyton songea quelques secondes, puis sourit à sa fille qui, s’approchant, avait entendu les derniers mots.

      – Pas du tout correct, dit-il avec gravité, mais fort ingénieux.

      Puis il tourna les talons et alla s’accouder au bastingage. Les deux jeunes gens échangèrent quelques paroles:

      – Vous avez réussi, monsieur, je vous en félicite.

      – Si j’ai franchi ce premier danger, miss, c’est à vous que je le dois, je ne l’oublie pas.

      – Oh! monsieur, nous ne sommes pas quittes encore.

      – Vous tenez donc bien, fit-il en souriant, à me devoir la vie?

      – Je tiens surtout à ne pas nuire à vos intérêts.

      – Même aux dépens des vôtres?

      Miss Aurett ne répondit pas et se rapprocha de son père. Il était naturel qu’Armand y suivit cette jeune fille si peu cupide; sa nouvelle amie, d’ailleurs, l’y autorisa d’un regard. Leur groupe réuni, elle dit:

      – Vous allez me trouver bien curieuse, monsieur Lavarède, mais lorsque, par hasard, – elle rougit vivement en prononçant ces mots, – lorsque, par hasard, la porte de votre petit appartement de voyage s’est ouverte, il y a une heure, il m’a semblé apercevoir comme un siège capitonné… Me suis-je trompée?

      – Pas du tout, miss.

      – Aoh! comment et pourquoi capitonné? demanda sir Murlyton.

      – Parce que cela avait été préparé tout exprès pour faire un long voyage, des Pyrénées à Paris, par un fantaisiste dont j’avais raconté l’aventure dans mon journal. Je m’en suis souvenu. Je me suis assuré que cette caisse, dont tout Paris a parlé, était encore à la gare d’Orléans… et je m’en suis servi, voilà toute l’histoire.

      – Je disais bien, fit l’Anglais… vous êtes un gentleman fort ingénieux.

      Un sourire de la jeune fille confirma l’opinion de son père.

      Accoudé sur le bastingage, sir Murlyton promenait sa jumelle marine sur le passage de terre qui commençait à disparaître dans la brume du lointain.

      Pourtant quelque chose frappa son regard.

      – Voyez donc, monsieur Lavarède, dit-il en lui passant la longue-vue… Ne distinguez-vous pas quelque chose qui s’agite sur le môle, au bout de la jetée?

      Armand regarda.

      – Oui, un homme court, en faisant de grands gestes… Mais il est poursuivi… On peut même se rendre compte qu’il y a des uniformes parmi ceux qui lui donnent la chasse. Ce sont des gendarmes sans doute.

      – Qu’est-ce que cela peut être?

      – Oh! sans hésiter, je pense que c’est Bouvreuil… Il n’est pas mort d’apoplexie sur le coup… Allons, tant mieux, tant mieux.

      Cependant la Gironde fut vite descendue et aucun signal ne rappela la Lorraine. Lavarède se croyait donc tranquille pour tout le temps du voyage.

      III. Escales

      Les deux premiers jours de ce voyage furent des plus agréables pour Lavarède. Chaque matin, il se retrouvait sur le pont en compagnie de sir Murlyton et de miss Aurett. Et c’étaient avec la jeune fille de douces causeries, où se révélait l’âme délicieuse et fraîche de la petite Anglaise. Seulement, s’ils parlaient un peu de tout, si les nombreux voyages d’Armand et du père fournissaient ample matière à d’intéressantes conversations, il était un sujet que miss Aurett évitait avec soin.

      Jamais le nom de Mlle Pénélope ne fut prononcé. Jamais ne fut faite la moindre allusion aux projets de mariage que Bouvreuil avait avoués, en wagon, au départ de Paris. Il semblait que cette idée répugnait à la jeune Anglaise. N’y avait-il pas là un de ces petits secrets que renferment les cœurs mystérieux des jeunes filles?

      Lavarède ne pouvait pas songer à cela, pour deux raisons: la première est qu’il ignorait complètement que miss Aurett fût au courant des idées conçues par Mlle Pénélope Bouvreuil; la seconde est que celle-ci n’occupait pas du tout son esprit, et que, tout entier au charme amical qu’il subissait inconsciemment et involontairement, il ne pensait pas le moins du monde à cette longue et désagréable personne.

      Un matin, après avoir échangé le bonjour quotidien, il dit:

      – Comment se fait-il, mademoiselle, que vous, qui êtes étrangère de naissance, vous parliez si purement notre langue?

      – Rien d’étonnant, cher monsieur. Comme la plupart des jeunes filles bien élevées de mon pays, une fois mes études terminées à Londres, j’ai été envoyée sur le continent pour me perfectionner dans la langue française. Mon père m’avait placée dans une institution de Choisy-le-Roi, celle de Mme Laville, où je rencontrai une douzaine de mes compatriotes, pensionnaires comme moi, mais assez libres, vu leur âge et l’éducation anglaise; et nous venions ensemble presque tous les jours à Paris.

      – En sorte que vous êtes presque une petite Parisienne?

      – Avec, en moins, la coquetterie, ce mot qui n’a pas de traduction littérale en anglais.

      – Mais