Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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celui de bousculer la caisse, ce qui fit aussitôt reconnaître à ces hommes accoutumés à manier des colis qu’elle était légère et partant qu’elle devait être vide.

      – Vous êtes fou, mon brave, dit à Bouvreuil l’employé de la gare. Il ne peut pas y avoir un homme là-dedans.

      – Mais si! affirma-t-il.

      – Mais non, insista l’autre, tenez, je la retourne d’une main sans effort.

      – C’est juste, opina le douanier.

      – Pourtant, je vous atteste, comme je l’ai déclaré, qu’à Paris…

      – À Paris, mes collègues se sont moqués de vous.

      – Enfin, il n’y a qu’à l’ouvrir, on verra bien.

      – Seulement, nous n’avons pas d’outils ici, et puis je n’oserai déclouer les planches qu’en présence d’un de mes chefs. Je vais aller chercher des camarades pour transporter ce colis suspect au bureau.

      – Et moi, ajouta le préposé, je vais chercher mon brigadier, nous assisterons à l’autopsie.

      – C’est cela! fit Bouvreuil en levant les bras au ciel d’un air navré… et, pendant ce temps-là, le brigand qui est là-dedans s’enfuira de sa caverne!

      – Eh bien! Restez en faction devant, et vous verrez bien s’il sortira, dirent les deux autres en s’en allant.

      Bouvreuil était donc seul à faire les vingt pas dans un petit espace de terrain demeuré vide entre des monticules de caisses, de tonneaux, de ballots, de paniers, de marchandises de toutes les provenances et de toutes les espèces, venant des Amériques ou y allant.

      Nous disons qu’il y était seul, car miss Aurett, un peu avant, s’était approchée de la cachette de Lavarède qui lui avait fait un signe de détresse.

      – Je vous en supplie, miss, dit-il à voix basse, ne restez pas là… Il ne faut pas qu’il y ait un seul témoin de ce qui va se passer.

      Sans répondre, elle salua Bouvreuil et s’éloigna pour retrouver son père qui s’était dirigé, lui, vers l’appontement du paquebot.

      – Eh bien, ma fille?… demanda-t-il.

      – Eh bien, rien de définitif.

      – Aoh!… Et M. Lavarède?

      – Je crois qu’il va s’embarquer.

      – Alors je vais régler le prix de mon passage.

      – De notre passage, mon père.

      Sans s’émouvoir, sir Murlyton dit:

      – Vous voulez aussi venir avec moi?

      Aussi froidement, en véritable Anglaise, elle répondit:

      – Oui, mon père; cette petite excursion à Panama peut être instructive; je n’ai pas encore parcouru le centre de l’Amérique.

      – Les voyages forment la jeunesse… Mais quel bagage avez-vous?

      – Ma valise de promenade et mon nécessaire de toilette.

      – Pensez-vous que cela suffise?

      – Non; mais je vais rapidement faire les achats indispensables.

      – All right! Mais mistress Griff?

      – Je profiterai de mes courses pour lui télégraphier qu’elle doit retourner tout de suite et seule dans notre cottage du Devonshire.

      – Alors tout est prévu. C’est bien.

      Ils échangèrent une poignée de main et se séparèrent, elle pour aller aux abords de la gare maritime de Pauillac, lui pour monter sur le bateau et y retenir deux cabines. Ni l’un ni l’autre ne s’étaient un instant départis du classique flegme britannique. Ils allaient en Amérique comme ils seraient allés à Asnières, toujours avec le même calme.

      Pendant que cette petite scène se passait devant la Lorraine, le transatlantique commandé par le capitaine Kassler, voici celle qui se passait devant la caisse coupable. Brusquement Lavarède, souriant, apparut aux yeux de Bouvreuil rageant.

      – Ah! Je savais bien! fit celui-ci d’un air triomphant.

      – Vous saviez quoi? interrogea gracieusement le jeune homme.

      – Que vous étiez là!… et il désignait la boîte.

      – Vous vous trompez, cher monsieur, j’étais autre part.

      – Je sais ce que je dis.

      – Pas aussi bien que moi, croyez-le. Je me promène en attendant de faire un petit tour en Amérique, comme vous, d’ailleurs… Seulement, moi, c’est pour fuir vos huissiers, vos aimables huissiers.

      Bouvreuil eut un air d’ironique pitié.

      – Oui, vous voulez, comme vous dites, filer en Amérique, mais en voyageant d’une manière frauduleuse, à l’aide d’une machination ténébreuse.

      – Le fait est, dit Armand gouailleur, qu’on n’y voit pas très clair dans ces planches. Ténébreux est le mot.

      – Tandis que moi, continua le financier d’un ton suffisant, je voyage au grand jour, en payant ma place, moi, monsieur!… en retenant la cabine numéro 10, moi, monsieur!… en ne m’enfouissant pas dans les profondeurs d’un inavouable colis, moi, monsieur!…

      Et, chaque fois qu’il appuyait sur ce «moi, monsieur!» sa voix s’enflait, prenant des inflexions majestueuses, prudhommesques et mélodramatiques. Timidement, Lavarède riposta:

      – Je fais ce que je peux, moi, monsieur!

      Et, d’un mouvement rapide et brusque, il ouvrit la porte de la caisse, y fit entrer de force l’infortuné propriétaire, et repoussa les planches avec vivacité. Seulement, il fit déclencher le secret de la fermeture sous un effort violent, de telle sorte que M. Bouvreuil ne pouvait plus sortir de cette boîte infernale. Il commença par crier, par appeler. Mais bientôt sa voix s’estompa. Une ombre l’altérait. Est-ce que la colère l’avait étouffé? Ou bien était-ce la raréfaction de l’air respirable?

      Lavarède ne se posa même pas cette question. Prestement, il décampa au plus vite, et, tout courant, s’en alla vers le pont où s’embarquaient les passagers de la Lorraine. Il était temps. Deux minutes plus tard, quatre hommes d’équipe, ou portefaix de la marine, arrivaient sur le quai des marchandises, précédés du douanier de tout à l’heure.

      – Tiens, fit-il étonné, le vieux n’est plus là.

      – Il se sera impatienté, dit l’employé, il sera parti. Il a aussi bien fait.

      Et les porteurs se mirent en mesure de charger la caisse.

      – Oh! oh! fit l’un d’eux… mais elle est lourde.

      – C’est vrai, elle pèse plus que tout à l’heure.

      – Ah çà, il y a vraiment quelque chose dedans?

      – Oui, ça remue.

      – Tenez, quand on soulève d’un côté, ça penche de l’autre.

      En effet, on entendait un lourd floc.

      – Mais ça roule.

      Le douanier prêta l’oreille.

      – Et on dirait que ça gémit.

      – Ah! ah! nous tenons le gibier.

      – C’est de la contrebande.

      – Pour sûr!

      – Emportons ce colis. Je vais d’abord y mettre les plombs, les scellés. On n’y touchera pas jusqu’à ce que le brigadier ait déjeuné. Il a donné ordre qu’on l’apporte au bureau du lieutenant des douanes. On ne l’ouvrira que devant cet officier.

      Ce fut fait aussitôt. Et le pauvre président du syndicat des actionnaires, qui, probablement, avait