Les invisibles de Paris. Gustave Aimard. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Aimard
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066328313
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sans bouger de place; ce n’est pas sans peine, allez que j’ai réussi.

      — Bien! bien!

      — Avec ça que la petite...

      — Dites: mademoiselle Thérèse! fit Olivier impatienté.

      — Oh! je veux bien... Avec ça que la petite mamz’elle Thérèse ne savait pas plus ce qu’elle voulait que la chatte d’en face. D’abord c’était oui... ensuite, non... Il a fallu voir quand je lui ai apporté les frusques, et qu’elle a dû entrer dans ce beau domino farci de dentelles noires... Ah! ouiche! saint bon Dieu! un vrai déluge de Niagara! quoi! J’en ai mouillé deux mouchoirs... mais je ne vous les compterai pas... C’est réglé, c’est payé... le blanchissage compris...

      — Avez-vous fini?

      — Faut bien que je vous dise, pour que vous sachiez sur quel pied danser avec elle... Ne la brusquez pas, hein! Foi de vraie femme... c’est innocent comme la brebis qui vient de naître... Parole d’honneur! c’est bien la première fois que ça se voit chez moi...

      — Taisez-vous donc, ou tout au moins parlez plus bas.

      — Oh! il n’y a pas de danger... la petite ne se doute pas que...

      — Maudite bavarde!

      — Enfin, suffit. Elle ne connaît que cette entrée-là... et, vous le voyez, maison honnête, mon enseigne le dit assez: Rose Machuré, revendeuse à la toilette, fait dans le neuf et dans le vieux, achète les reconnaissances du Mont-de-Piélé et...

      — Au diable! Voulez-vous monter chez elle, ou je monterai, moi?

      — Faut que je vous dise... Après avoir pleuré comme une Madeleine, sans raison pour ça, ma foi! la pet... non, mam’zelle Thérèse s’est décidée. Domino, masque et gants noirs... gants noirs, remarquez, on sait son monde! Si ça avait été une baladeuse de la Chaumière, je lui aurais collé des gants blancs nettoyés... mais...

      — Allez toujours, dit Olivier, qui rongeait son frein, mais qui, réflexion faite, voulut entendre jusqu’au bout le verbiage de Mme Rose Machuré.

      — Oh! ce ne sera pas long. J’ai mes affaires aussi, moi; tout le monde les a... Enfin, quoi!... elle est prête et mise comme une princesse en goguette. Ça m’a donné un mail... mais ça y est. Vous pouvez vous flatter d’avoir la main heureuse, m’sieu Olivier! Il n’y a pas moyen de trouver plus sage et plus rangé. Vous me recommanderez à vos amis et connaissances, pas vrai?

      — Avez-vous tout dit?

      — Pour ce qui regarde mam’zelle Thérèse? à peu près... mais- pour vous, m’sieu Ollivier, si j’ai un conseil à vous donner...

      — Mère Machuré, gardez vos conseils et retenez bien ceci: Mlle Thérèse est une jeune fille pour laquelle je professe le plus grand respect...

      — Du respect!... au bal de l’Opéra! ricana la vieille.

      — Si je l’ai amenée dans votre immonde taudis...

      — Allez toujours... c’est réglé, c’est payé, les injures compris...

      — Dans votre immonde taudis, répéta Olivier, c’est qu’il me fallait dépister de redoutables limiers acharnés à sa poursuite.

      — Ah bah! si j’avais su...

      — Aujourd’hui qu’on a perdu sa trace, aujourd’hui qu’il n’y a plus de danger pour elle, même dans vos indiscrétions, je veux bien vous prévenir de ceci:

      — Voyons, voyons.

      — Oubliez que vous l’avez logée.

      — Nourrie et blanchie quinze jours durant...

      — Oubliez son nom, tout faux qu’il soit.

      — Ah! elle ne s’appelle pas... de son nom?

      — Perdez la mémoire de mes visites et de nos relations...

      — Hum! c’est difficile...

      — Et dans six mois... peut-être même avant six mois, vous recevrez une somme égale à celle que je viens de vous remettre...

      — Bon saint Jésus! c’est-il possible?

      — Sinon... Attendez-vous à tous les dangers, à tous les malheurs!...

      — Je suis une honnête femme!... fit la mégère en se redressant. Je ne crains rien... Oui dà !... c’est qu’on est en règle avec l’administration, m’sieu Olivier.

      — Vous vous attirerez la haine de gens plus puissants que... mais vous êtes avertie... Je vous en ai dit assez.

      — Parbleure! on se taira. Dès qu’il y a un billet de femelle...

      — Hein?

      — Un billet de cinq au bout de mon silence, il n’y a pas de danger que je lâche un mot...

      — Et maintenant... allez me chercher Mlle Thérèse.

      — Qui n’est pas plus Thérèse que mon œil. On y va... on y va...

      Et Mme Machuré, laissant sa porte entrouverte, rentra dans le corridor borgne qui précédait un escalier boueux, à peine éclairé par une veilleuse à demi éteinte.

      — Ah! madame la duchesse, si vous ne me teniez pas pieds et poings liés, je sais bien qui ne se chargerait pas de pareilles corvées, murmura Olivier, tout en frappant du pied avec impatience... Si jamais je suis libre... si jamais je...

      Mais il eut sans doute peur d’être entendu, car, sans achever la phrase commencée, il jeta un regard soupçonneux autour de lui, et se mordit les lèvres jusqu’au sang, de regret d’avoir laissé échapper ce peu de mots.

      L’absence de la Machuré ne fut pas de longue durée. Elle reparut peu d’instants après, suivie d’une jeune femme enveloppée dans un large manteau noir, un loup à barbe de dentelle sur le visage et laissant voir sous son manteau la jupe ou plutôt le bas d’un domino.

      Elle tremblait et semblait ne suivre qu’à regret la Machuré, qui éclairait le corridor à l’aide de sa lanterne sourde.

      Le jeune homme s’élança vers la jeune fille.

      — Venez, lui dit-il, en lui offrant son bras, le temps nous presse.

      La jeune fille prit le bras qu’on lui offrait, mais l’émotion fut plus forte que sa résolution, et elle fut forcée de s’arrêter.

      — Vous tremblez... vous frissonnez... De grâce, rassurez-vous!... Appuyez-vous sur moi... vous n’avez rien à craindre!

      — Mon Dieu! fit-elle d’une voix douce et suppliante... je vous demande pardon... je devrais être rassurée près de vous... je devrais me réjouir de quitter cette triste maison.

      — Merci pour moi, grogna la vieille.

      — Mais, reprit celle à qui nous donnerons encore le nom de Thérèse, ce costume, ces vêtements que je porte pour la première fois, cette solitude, l’heure à laquelle je me trouve près de vous!...

      — Veut-elle pas aller voir M. Musard, chez lui, dans la matinée? continua la Machuré.

      — Tout cela fait que je me demande si je suis bien éveillée...

      — Faut-il la pincer? demanda la vieille à Olivier.

      — Te tairas-tu sorcière!...

      — Oh! là ! là !

      — Mademoiselle, ajouta Olivier... prenez mon bras et soyez sûre que c’est celui d’un ami.

      — Connu! fit la Machuré.

      — Où me conduisez-vous?

      —